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Prime à la déloyauté : si vous voulez vraiment une augmentation, changez d’emploi
©MEHDI FEDOUACH / AFP

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La Resolution Foundation a constaté que la croissance de la rémunération chez les Britanniques atteignait 10% pour ceux qui quittaient leur emploi. Les individus qui changent de travail peuvent s'attendre à un "bonus de déloyauté". Est-ce aussi le cas en France ?

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Une étude de la Resolution Foundation a constaté que la croissance de la rémunération chez les Britanniques atteignait 10% pour ceux qui changeaient d’emploi, tandis que ceux qui restaient à leur poste recevaient une augmentation de salaire de seulement 2,5%. Concrètement, les travailleurs qui changent d'emploi peuvent s'attendre à un "bonus de déloyauté". Est-ce aussi le cas en France ? Existe-t-il des exemples concrets ? 

Eric Verhaeghe : Je suis assez partisan de ne pas introduire trop de morale dans ces phénomènes qui sont des réalités d'abord dictées par les lois du marché. Dans la pratique, la révolution numérique crée une pénurie de main-d'œuvre qualifiée. On ne manque pas de bras difficiles à utiliser, d'où l'émergence de travailleurs pauvres dans les pays qui ont réduit les allocations chômage ou l'indemnisation, et d'où un chômage de masse dans les pays, comme la France, qui indemnisent plus généreusement. En revanche, des salariés dynamiques, compétents, aptes aux nouveaux emplois sont beaucoup plus rares et sont donc de mieux en mieux rémunérés. Ils constituent une valeur prisée sur le marché du travail. Ils bénéficient par ailleurs d'un effet de dominos. A mesure que les organisations se digitalisent, leurs débouchés s'élargissent et leur rôle devient plus important. Ces salariés sont tous dotés d'un fort pouvoir de négociation de leur salaire. Quand ils sont recrutés dans une entreprise à un niveau donné, l'entreprise en question budgétise rarement des augmentations fortes pour eux dans les années suivantes. Leur forte adaptation au marché du travail leur permet de mieux valoriser leur potentiel en négociant un salaire plus élevé dans une autre entreprise. Autrement dit, quitter son employeur pour négocier son salaire devient un mode normal de relations dans un univers de pénurie de main-d'œuvre. 
En France, le phénomène est un peu moins marqué pour diverses raisons, même s'il se produit chez nous. La première raison est qu'il existe une "armée de réserves" de chômeurs qui exercent une pression sur les salaires. On l'a vu lorsqu'Emmanuel Macron a évoqué l'idée d'étendre l'allocation chômage aux démissionnaires. Beaucoup de salariés français hésitent encore à démissionner et à tenter leur chance ailleurs, parce que le marché du travail y est moins fluide qu'en Grande-Bretagne. Deuxièmement, les augmentations de salaires dans les entreprises capables de recruter avec de fortes évolutions salariales sont plus importantes que 2,5%, même si ce chiffre reflète assez bien les augmentations générales. Il ne prend pas en compte les augmentations individuelles accordées au cas par cas aux meilleurs salariés. Il n'en reste pas moins que la meilleure façon de faire évoluer sa carrière est de quitter son entreprise et de se trouver un poste beaucoup mieux rémunéré. C'est ce que vous appelez la prime à la déloyauté. 

Comment expliquer que l'infidélité est plus récompensée que la fidélité à une entreprise ? 

Ceci tient à la concurrence que se livrent les entreprises sur la masse salariale et sur les salaires, concurrence qui est à la base du capitalisme. Un employeur n'est pas là, contrairement à ce qui est souvent dit dans les discours sentimentalistes, pour récompenser ses salariés. Il est là pour obtenir d'eux la production la plus importante au meilleur coût. Son intérêt est donc de garder les meilleurs, ou les mieux adaptés, et de faire partir les autres. Son intérêt est aussi de recruter les meilleurs qui sont employés par ses concurrents. D'où le principe, probablement immoral, de mieux rémunérer les nouveaux qu'on veut attirer, et de moins augmenter les moins bons qui travaillent depuis longtemps dans l'entreprise. Peu à peu, d'ailleurs, une nouvelle morale se met en place, qui laisse à penser que l'ancienneté dans l'entreprise est signe d'incompétence. Si l'on admet l'hypothèse que les meilleurs n'ont pas de problème pour être recrutés ailleurs et pour améliorer leur sort, on en déduit que ceux qui restent sont les moins bons. 
D'où le paradoxe de notre société, où une ancienneté trop longue dans une entreprise, surtout au même poste, devient suspecte dans une carrière et prépare peu à peu à une éviction involontaire. Le fonctionnement du capitalisme contemporain est celui-là: les meilleurs peuvent partir facilement, et bénéficient d'un turn-over important. Les moins bons sont licenciés au bout d'un certain nombre d'années passés dans le même poste. Dans la pratique, le bon n'attend pas que l'entreprise lui demande de partir pour partir. Ils prend les devants et négocient sa carrière au bout de deux ou trois ans dans un poste. 
Il faut comprendre ce qui se joue derrière tout cela. Peu à peu se dessinent les contours d'un capitalisme de la déloyauté, au sens où vous l'entendez. Si le salarié ne prend pas les devants pour quitter son entreprise, son entreprise lui demandera tôt ou tard de partir. Mais voyons le bon côté des choses: ce mécanisme démontre les vertus de la concurrence pour les salaires. 

Quel est le risque de ce genre de pratique pour les entreprises ? Quelle serait la démarche la plus saine a adopter pour les entreprises ? 

Le principal risque est évidemment de perdre du savoir-faire acquis parfois au terme d'une longue expérience. Or l'acquisition de ce savoir-faire représente un coût. Des entreprises comme la SNCF en savent quelque chose. Certains cheminots sont partis avec une connaissance approfondie du réseau et de son état. Leur départ est difficile à remplacer. La transmission du savoir-faire en entreprise est un enjeu qui est exacerbé par la concurrence sur les recrutements. Il est difficile de bâtir un projet d'entreprise quand tous ceux qui l'ont conçu partent au bout de quelques mois et sont remplacés par des gens animés d'une autre vision ou d'un autre état d'esprit.
Pour lutter contre cela, les capitalistes français ont souvent fait le choix de l'encadrement des salaires par des accords de branche. Prenez l'exemple du Syntec, c'est-à-dire, pour aller vite, de l'informatique, la convention collective barémise les salaires et encadrent les termes de la concurrence entre entreprises. On pense souvent que cette réglementation évite une concurrence à la baisse. Dans la pratique, elle encadre aussi la concurrence à la hausse. 
La particularité de notre époque tient à la révolution technologique qui raréfie fondamentalement la main-d'œuvre qualifiée. Le principe de la perte du savoir-faire s'applique beaucoup moins bien désormais. De nombreux salariés anciens sont dépassés par le progrès technique et pèse sur les marges des entreprises. Beaucoup d'entre eux, par crainte de perdre leur emploi, s'opposent à la digitalisation des procédures. D'où des stratégies anti-corporate qui expliquent que beaucoup de salariés cherchent à profiter de leur employeur pour préserver leur situation. C'est le Fuck my boss bien connu, exposé même par Marlène Schiappa dans son livre sur le congé maternité.  
Dans ces cas-là, l'entreprise a effectivement intérêt à investir en recrutant des nouveaux à des salaires élevés. 

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