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General Electric : la descente aux enfers
©SCOTT OLSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Fleuron industriel en détresse

Le groupe General Electric, créé en 1892 et deuxième capitalisation boursière mondiale en 2005, poursuit une incroyable descente aux enfers que plus rien ne semble pouvoir arrêter.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Engagé depuis la fin de l’an dernier dans une folle politique de désengagements appelée par les analystes « recentrage sur le cœur de métier » le groupe General Electric, créé en 1892 et deuxième capitalisation boursière mondiale en 2005, poursuit une incroyable descente aux enfers que plus rien ne semble pouvoir arrêter. Sorti de l’indice Dow Jones le 19 Juin 2018, General Electric entraine dans la tourmente les activités que lui avaient cédées les sociétés françaises CGE, Alstom, Thomson… tout au long d’une histoire tumultueuse débutée au siècle dernier. Le manque de réactivité des dirigeants français, politiques ou industriels, illustre l’état de décrépitude stratégique et  conceptuelle dans lequel nous sommes tombés, devenus incapables d’observer, de réfléchir et de décider, uniquement bercés par les félicitations médiatiques et les postures . 

Les sociétés françaises liées à l’électricité ont été accrochées à l’essor des sociétés américaines au point d’en être d’abord des filiales, puis des associées avant de prendre leur autonomie. C’est ainsi que se créent la Compagnie Générale d’Electricité, Thomson, puis Alsthom…et ainsi de suite. General Electric est une puissance mondiale incontournable et les sociétés européennes (françaises, allemandes et anglaises ) tournent autour de leurs licences et de leur force de frappe. On ne compte pas les allers-retours des productions entre l’entreprise phare et ses démembrements devenus indépendants . De 1981 à 2001 , sous la direction du charismatique Jack Welch, General Electric domine le monde et étend son empire quotidiennement, une pieuvre géante qui tire toutes les ficelles techniques et surtout financières avec son organisation géante GE Capital . En 1987 General Electric échange la marque RCA ( Radio Corporation of America -les disques grand public) contre l’imagerie médicale de notre groupe Thomson. Cette activité sous le nom de General Electric Healthcare deviendra une des plus rentables de General Electric avec 19 Milliards de dollars de chiffre d’affaires dans le monde (tandis que le label RCA ne vaut plus grand-chose !). Jack Welch dispose d’une organisation tentaculaire dont il maitrise l’avancée à travers une philosophie commune, des produits catalogue à la pointe de la technique et des capacités de financement pour les clients potentiels  . Ce qui peut paraitre désordonné pour un commentateur financier ne l’est pas pour un technicien, on fabrique le meilleur produit et c’est celui-là qui vous convient car il est moins cher en acquisition et en maintenance.   
La crise financière de 2008 est mal digérée par son successeur qui , à la demande de la sphère financière, se lance dans des acquisitions et des cessions dans tous les sens, pensant satisfaire par le mouvement et l’agitation le monde des médias. La séduction marche excellement en tout cas dans notre pays qui voit en cette nouvelle boulimie de mouvements un « sauveur suprême », ami pour toujours de la France et de ses fromages. La vente d’Alstom Energie est ainsi plébiscitée par des élites nationales coupées des réalités et aveuglées par l’intérêt d’un illustre industriel américain pour notre appareil industriel. Cette histoire est pitoyable, c’est celle d’un pays dévasté par la trahison de ses élites comme l’avait si bien décrit Marc Bloch au siècle dernier. Mais la défaite avait déjà commencé bien avant, avec l’abandon des licences de GE et l’achat des turbines à gaz d’ABB en 1999, la vente des moteurs électriques, la compression du groupe Alstom, la séparation avec Alcatel, l’opération Alcatel-Lucent : un manque permanent de lucidité avec une perte des compétences et la sortie bien rémunérée de dirigeants ayant oublié leurs responsabilités -le bien commun et celui de  leurs salariés-. 
2017 sonne le glas d’une politique chaotique qui va jusqu’à acheter Baker Hughes dans les services pétroliers et les financiers prennent le pouvoir avec l’aide du fonds activiste Trian Fund Management , c’est-à-dire que la logique industrielle disparait et la dispersion des actifs commence à fonctionner dans la satisfaction de la doctrine « pure player » qui a tant nui aux entreprises de production. De huit activités, on était passés à six, et maintenant à trois dans des agrégats qui tiennent plus de la communication (inventaire à la Prévert) que de la réalité : on vend du vent et les gogos achètent. General Electric est en train de disparaitre et le « cœur de métier «  à savoir Aéronautique, Electricité et Energies Renouvelables est un cache-misère dont les cadres et les ouvriers ont bien conscience. 
L’activité « Santé » dont le siège est en France va être satellisée , elle marche très bien , sa vente va permettre de rassurer à court terme des actionnaires exigeants et pressés, la cession des activités pétrolières est programmée et tous les jours on effeuille la marguerite dans la triste habitude des dépeçages industriels . Plus personne n’y croit, sauf quelques commentateurs dont c’est le métier d’avoir la foi . 
Pendant ce temps là que pouvons-nous faire, il ne sert à rien de se lamenter ! 
Si nous pensons que nous pouvons recréer une industrie du matériel électrique et médical à partir de start-ups géniales, il suffit d’attendre la mort du mastodonte et de soutenir les jeunes pousses. C’est un pari risqué car les centres de production existent, avec les outils de maintenance des appareils existants et donc la connaissance intime du marché et de ses évolutions. Je ne doute pas que le mode de production va se transformer pour répondre aux usages et que tout ne pourra pas être préservé, mais je pense que nous avons besoin des machines existantes et des hommes qui les utilisent si nous voulons rebâtir une industrie compétitive sur notre sol. C’est vrai du secteur nucléaire, du médical, de l’hydraulique et d’une manière générale du secteur électrique . On ne peut pas bâtir une nouvelle industrie en ignorant l’ancienne. L’Alliance de l’industrie du futur avec ses « vitrines de l’industrie du futur » le montre bien , elle intègre des sociétés comme Faurecia, les Fonderies de Sougland, Latécoère, Saunier-Duval, Baud Industries, entre autres : on doit s’appuyer sur des compétences techniques et sur la connaissance de l’évolution des marchés ! 
En conséquence il est urgent pour notre avenir de nous concentrer sur l’avenir des installations de General Electric en France , on a déjà compris que l’hydraulique était en difficultés puisqu’ils divisent par deux le potentiel technique de Grenoble, mais il faut regarder aussi le médical, les turbo-alternateurs du nucléaire, les « smart grids ». S’ils cherchent des repreneurs il faut mobiliser les forces vives du pays, s’ils abandonnent les productions en France, il faut proposer, étudier, discuter, comprendre. Pour avoir cru au Père Noel en 2013, on a vendu Alstom Energy à un bateau ivre, mais on a refusé de le regarder, maintenant le doute n’est plus permis, l’aveuglement a ses limites. 

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