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Réindustrialiser la France ? Un doux rêve quasiment impossible à réaliser
©AFP

Bonnes feuilles

Il n’y a plus de place dans le monde pour que tous les grands pays soient de grands pays industriels. L’industrie va donc se concentrer dans les pays qui, soit bénéficient d’un avantage en termes de coûts de production (Chine et autres pays émergents, en Europe, l’Espagne par exemple), soit présentent un avantage en termes de niveau de gamme (Allemagne, Corée du Sud, Japon) avec une concurrence de plus en plus féroce entre les pays autour de ces deux facteurs. Extrait du livre de Patrick Artus et Parie-Paule Virard "Et si les salariés se révoltaient", aux éditions Fayard (2/2).

Patrick Artus

Patrick Artus

Patrick Artus est économiste.

Il est spécialisé en économie internationale et en politique monétaire.

Il est directeur de la Recherche et des Études de Natixis

Patrick Artus est le co-auteur, avec Isabelle Gravet, de La crise de l'euro: Comprendre les causes - En sortir par de nouvelles institutions (Armand Colin, 2012)

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Marie-Paule Virard

Marie-Paule Virard

Journaliste et ancienne rédactrice en chef du magazine Enjeux-Les Échos de 2003 à 2008.  Elle a publié, avec Patrick Artus, à La Découverte deux livres à succès : "Le Capitalisme est train de s'autodétruire" (2005) et "Comment nous avons ruiné nos enfants" (2006).

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Pour lutter contre ces pathologies qui minent insensiblement la vie démocratique des pays riches, il faudrait être capable de faire reculer la bipolarisation des marchés du travail. Malheureusement, il faut bien admettre que les solutions ne relèvent pas des politiques économiques. Les politiques de relance habituelles (politiques budgétaires et/ou monétaire expansionnistes), tout comme le protectionnisme, sont inefficaces dans la lutte contre la bipolarisation des marchés du travail puisque partout la demande de services ne cesse de croître tandis que celle de produits industriels stagne, et même recule, dans les pays de l’OCDE (sauf aux États-Unis et en Allemagne). Difficile de créer des usines et des emplois pour fabriquer des produits qui ont de moins en moins de clients! Ainsi, pour ce qui concerne la France, la demande intérieure pour les produits manufacturés est aujourd’hui au même niveau qu’en l’an 2000, alors que sur la même période la demande de services a augmenté de 40%.

De nombreux pays aimeraient évidemment se réindustrialiser en raison des effets bénéfiques de l’industrie sur l’économie  : emplois qualifiés à revenus souvent élevés, niveau de productivité important, meilleure santé du commerce extérieur… Mais le défi est très difficile à relever. L’économie mondiale devient, on l’a dit, une économie de services, ce qui veut dire que l’industrialisation est un jeu à somme nulle : tel ou tel pays peut toujours tenter de se réindustrialiser en abaissant fortement ses coûts de production pour gagner des parts de marché aux dépens de ses voisins (c’est la stratégie de l’Espagne qui a taillé dans les salaires et investi massivement dans les secteurs exposés depuis dix ans), mais cette stratégie est, par définition, non coopérative et ne peut être utilisée par tous puisque, la taille globale de l’industrie mondiale étant pratiquement stable, si un pays accroît sa part c’est que d’autres voient la leur se réduire. Il n’y a plus de place dans le monde pour que tous les grands pays soient de grands pays industriels. L’industrie va donc se concentrer dans les pays qui, soit bénéficient d’un avantage en termes de coûts de production (Chine et autres pays émergents, en Europe, l’Espagne par exemple), soit présentent un avantage en termes de niveau de gamme (Allemagne, Corée du Sud, Japon) avec une concurrence de plus en plus féroce entre les pays autour de ces deux facteurs. Pour les autres, en particulier la France, l’Italie, le ­Royaume-Uni et les États-Unis, toute tentative de réindustrialisation s’annonce difficile puisqu’il faudrait aller reconquérir des parts de marché à des pays qui ont démontré leur aptitude à conserver une production industrielle de taille importante. 

Par ailleurs, les emplois directement liés aux nouvelles technologies à fort contenu en productivité ne représentent qu’une faible part de l’emploi total et se développent peu. N’oublions pas que même aux États-Unis et au ­Royaume-Uni, pays où les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont les plus développées, l’emploi dans ce secteur ne représente que 3,4% de l’emploi total (2,5% en France). L’idée selon laquelle le développement des start-up, des emplois dans le numérique, va régler le problème de la bipolarisation des marchés du travail relève de la grande illusion. Quant aux politiques redistributives, elles touchent, elles aussi, leurs limites dans un contexte de concurrence fiscale entre les pays. Augmenter la pression fiscale sur les salariés les plus qualifiés conduirait inévitablement à la délocalisation de ces emplois vers d’autres pays.

Alors que faire? Les utopistes mettent en avant le potentiel de création d’emplois non marchands, dans l’aide sociale, la culture, les associations et autres activités de l’économie collaborative. Mais peut-on raisonnablement compter sur les emplois non marchands pour remplacer les emplois marchands intermédiaires? Rien n’est moins sûr. Pour notre part, nous croyons qu’il est plus fécond de se demander si nos habitudes de pensée sont encore adaptées à l’évolution actuelle : crée-t-on davantage de « bons » emplois, c’est-à-dire des emplois plus productifs, à salaires plus élevés, dans les pays où il n’existe aucun obstacle à la fameuse dynamique schumpétérienne? Cela n’est pas démontré lorsqu’on regarde ce qui se passe en pratique au ­Royaume-Uni, au Canada ou en Australie, par exemple; ce qui suggère qu’il faut probablement réfléchir autrement. D’autant que l’irruption de l’intelligence artificielle dans nos économies constitue en soi une révolution qui annonce la transformation complète des conditions de travail et des modes de vie et qui, par l’inquiétude qu’elle suscite aujourd’hui, contribue à fragiliser des salariés vite enclins à se convaincre que les robots vont tout simplement « tuer » leurs emplois et fracasser leurs moyens d’existence. Et si cette crainte est loin d’être démontrée, on sait déjà que l’automatisation est un facteur supplémentaire de bipolarisation du marché du travail et de creusement des inégalités. Voici pourquoi.

Extrait du livre de Patrick Artus et Parie-Paule Virard "Et si les salariés se révoltaient", aux éditions Fayard

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