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PMA : le gouvernement saura-t-il entendre les discrètes mais bien réelles réserves du Conseil d’Etat
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Ouverture ?

Le Conseil d'Etat a rendu un rapport ce 11 juillet en prévision des lois de bioéthique. Au cœur de ce dernier : la PMA qui pourrait être prochainement ouverte aux couples de femmes ou aux femmes seules.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Selon les informations publiées par le journal l'Opinion, Emmanuel Macron s'apprêterait à ouvrir la possibilité à toutes les femmes la procréation médicalement assistée, dans un projet de loi qui écarterait les questions de GPA et de fin de vie. Au regard des éléments disponibles sur les intentions du gouvernement, comment évaluer la prise de position actuelle du gouvernement sur cette question ?

Bertrand Vergely : Le gouvernement qui s’apprête à lancer la discussion sur la légalisation de la PMA au début de l’Automne est pris entre deux feux. D’un côté, la légalisation de la PMA pour toutes les femmes est une promesse de campagne d’Emmanuel Macron lors de la campagne pour les élections présidentielles de 2017. Sur un sujet aussi sensible que la PMA il est impensable  qu’il fasse machine arrière. La PMA pour couples de femmes étant une des grandes revendications des homosexuels militants, faire volte face en la matière en abandonnant cette promesse serait interprété comme un acte homophobe et une victoire insupportable du clan conservateur.   Par ailleurs cependant, si le gouvernement ne vaut pas ne rien faire il ne veut pas non plus trop en faire. D’où la distinction qui est faite entre PMA et GPA au nom de la non-marchandisation de l’enfant. Si Emmanuel Macron veut bien être de son temps et respecter le droit à l’égalité de tous les couples il ne peut tout de même pas faire comme si le clan conservateur anti-PMA et anti-GPA n’existait pas. Aussi pour lui faire plaisir coupe-t-il la poire en deux en disant oui à l’enfant pour les couples de femmes et non à l’enfant pour les couples d’hommes. 

     Le moins que l’on puisse dire est que la position du gouvernement est embarrassée et que celui-ci découvre aujourd’hui les difficultés liées au projet de créer de nouvelles familles afin d’être en phase avec la société. Les critiques du mariage pour tous avaient pourtant prévenu. « Attention. Vous n’imaginez pas où vous mettez les pieds. Si vous installez le mariage pour tous, le mariage étant fait entre autre pour avoir des enfants, comment allez vous faire ? Et que va devenir l’enfant ? ». À l’époque les pro-mariages pour tous n’ont rien voulu savoir en n’ayant que deux mots à la bouche « Tolérance » et « Égalité ». On émettait des réserves à l’égard du mariage qui se profilait ? On était un réac homophobe d’extrême droite. On était l’infâme. 

     Aujourd’hui, force est de constater que les critiques du mariage pour tous  n’avaient pas complètement tort. On n‘en veut pour preuve que le nid de contradictions dans lequel va rentrer ce projet de PMA et que le Conseil d’État a pointé avec beaucoup de finesse. On peut en pointer cinq. 

     -- Première contradiction. Elle est signalée par le Conseil d’État. Il faut arrêter de parler d’égalité. On ne fait pas un enfant pour avoir le droit de le faire. Faisons un enfant pour le droit de le faire, l’enfant n’est plus respecté en tant qu’enfant, en tant que personne. Il devient un prétexte dans une bataille sociétale où il s’agit de se faire reconnaître. Dans le pays des Droits de l’Homme  il s’agit là d’une contradiction criante. Alors que l’égalité  été faite pour lutter contre le mépris de l’homme et son oppression voilà qu’elle se met à servir une logique totalement déshumanisante à l’égard de l’enfant. 

     Deuxième contradiction. La séparation entre PMA et GPA. Comment ne pas voir que c’est là terriblement discriminant pour les couples homosexuels masculins alors que l’on veut par ailleurs aller dans le sens de ce qui lutte contre les discriminations ?  Aujourd’hui, le gouvernement propose de légaliser la PMA. Mais demain, sous la pression des revendications anti-discriminations il va être obligé de légaliser la GPA sous peine d’apparaître comme un gouvernement homophobe à l’égard des homosexuels masculins. 

     Troisième contradiction. Elle concerne la filiation. Si le gouvernement légalise la PMA pour les couples de femmes ou pour les femmes seules il va devoir introduire dans l’humanité une révolution sans précédent à savoir une filiation purement juridique rompant totalement avec toute filiation biologique. Ce qui pose un problème juridique. Imaginons qu’un enfant soit l’enfant d’un donneur milliardaire. Si ce donneur reste inconnu, on prive l’enfant d’un bel héritage. On le lèse. Si le père donneur est connu, cet enfant pourra-t-il jouir de cet héritage au même titre que les enfants reconnus par le père donneur ? On s’insurge contre la filiation biologique en trouvant celle-ci ringarde. L’est-elle autant que cela ? La filiation biologique n’est-elle pas ce qui permet de garantir un certain nombre de droits notamment en matière d’héritage ? 

     Quatrième contradiction. Elle concerne les veuves qui décident d’avoir un enfant de leur conjoint défunt. Peut-on sans risque faire un enfant seule après que le mari dont on a gardé le sperme congelé soit mort ? Certes, l’enfant va avoir un père et la filiation biologique sera conservée. Mais ce père qui dit qu’il voulait un enfant ? Et qui dit qu’il aurait accepté d’être le père mort d’un enfant vivant ? De quel droit une femme peut-elle faire de son mari mort un père ?   

     Cinquième contradiction enfin. L’argent. Jusqu’à présent ce qui sépare la PMA de la GPA réside dans l’argent. La PMA est acceptable parce qu’il n’est pas question d’argent et de marchandisation alors que tel est le cas pour la PMA. Mais si demain du fait de la PMA légalisée les demandes de sperme affluent et que l’on n’arrive pas à fournir ne va-t-on pas devoir payer des donneurs pour satisfaire à la demande ? Et si c’est le cas quelle raison aura-t-on de faire encore une distinction entre PMA et GPA pour des raisons financières et marchandes ? 

     François Hollande en proposant le mariage pour tous n’avait certainement pas mesuré toutes les difficultés qui naîtraient de ce mariage. Quand il a promis de légaliser la PMA le candidat Macron a-t-il lui aussi mesuré toutes les conséquences de cette promesse ? Sans doute pas. D’où l’embarras du gouvernement. 

Le Mercredi 11 juillet le Conseil d’État a publié un rapport en prévision de la révision des lois bioéthiques, en indiquant ne pas s'opposer à l'extension de la PMA, mais tout en plaçant les politiques face à leurs responsabilités en montrant les profondes conséquences qu'une telle mesure pourrait avoir sur la société. Ainsi, dans le même rapport, le Conseil d'Etat indique :  « L’invocation du principe de précaution ou de l’intérêt de l’enfant ne constitue pas un élément juridique décisif et appelle une réponse plus politique que juridique. » mais tout en déclarant  « Le principe de l’égalité ne trouve pas à s’appliquer car il n’existe pas de droit à l’enfant, et en tout état de cause, la pratique de la GPA se heurte à des interdits spécifiques qui la distinguent de la PMA. ». Si ce rapport est perçu comme étant  "neutre", ne peut-on pas y voir plutôt une forme d'avertissement pour le gouvernement ?

Le Conseil d’État dit en substance ne voir aucun élément saillant et de ce fait décisif soit pour permettre soit pour interdire la PMA, la question étant pour lui plus politique que juridique. Cette démarche une fois de plus enfonce le clou de façon fine. Le Conseil d’État pourrait décider qu’il faut permettre la PMA ou qu’il faut l’interdire si l’enfant était le un droit. Mais tel n’est pas le cas, s’évertue-t-il à dire. Ainsi, on ne peut pas interdire la PMA pourquoi ? Parce qu’on ne peut pas empêcher une femme ou des femmes de désirer un enfant. Quand on désire un enfant, c’est la vie qui parle. Ce n’est pas le droit. En cela des femmes ou une femme qui désirent avoir un enfant ne sont nullement répréhensibles. Est-ce une raison pour permettre la PMA ? Non. Pour la bonne raison qu’une chose est de désirer un enfant une autre de le faire. Dès lors qu’une femme ou deux femmes ne se contentent pus de désirer un enfant mais décident de le faire l’enfant cesse d’être le fruit d’un désir pour devenir la réclamation d’un droit. Et là, une ligne jaune est franchie. Désirer un enfant ne donne pas le droit de le faire, le faire pur une femme seule ou deux femmes n’étant possible que si le droit s’en mêle en autorisant la médecine à fabriquer un enfant sans père réel.  En conséquence de quoi le Conseil d’État a raison, dans ce débat seule la raison politique tranchera. De ce fait, qu’est-ce qui l’emportera ? Le désir de ne pas déplaire à la majorité des Français qui aura été dessinée à partir de sondages. Si la PMA ne recueille que 20% d’adhésions, elle sera liquidée. Si elle recueille autour de 60% d’adhésions elle sera légalisée. En ce sens, qu’est-ce qui décidera en définitive de la PMA ? Une argumentation solide irréfutable ? Non. Une savante et minutieuse lecture des sondages. 

Quels sont les éléments qui pourraient avoir été trop rapidement écartés, aussi bien par le gouvernement que par le Conseil d'Etat ? 

Il y en a trois. Le premier c’est l’enfant. Dans l’affaire de la PMA, d’une manière générale l’enfant est le grand oublié, l’important étant, aux yeux de l’opinion publique et des medias le droit, l’égalité, la reconnaissance des couples lesbiens désireux d’avoir des enfants, la lutte contre l’homophobie. Aux yeux du gouvernement, l’important est la promesse du candidat Macron lors de sa campagne afin de rallier à lui les voix de gauche, la volonté d’être en phase avec la société et ses changements, la volonté aussi d’apparaître au niveau mondial comme dynamique, innovant, allant de l’avant. Enfin, aux yeux du Conseil d’État, malgré la finesse d’analyse de sa part il y a une frilosité préoccupante. Il est beau de dire que l’enfant n’est pas un droit. Reste que pour qu’il ne le devienne pas il n’y a qu’une seule façon d’y parvenir : interdire la PMA. Le Conseil d’État n’a pas eu l’audace de le dire. personne n’aura le courage de le faire. 

     Deuxième élément. Ce à quoi nous assistons c’est à l’enterrement de la famille dite traditionnelle. Sur ce point pas un mot. Alors qu’en étant la cellule de base de la société  la famille est l’une des institutions fondatrices du Droit,  on bouleverse celle-ci de fond en comble en ne la faisant plus reposer sur un homme et une femme ou bien encore un père et une mère. Et personne ne bronche.  La manière dont la famille dite traditionnelle a été défendue et l’est encore est, pour une part responsable de cet échec. En se focalisant sur la « nature » elle n’a pas vu l’enjeu réel qui n’est pas tant la nature que la disparition du couple homme-femme comme base de la vie et du père et de la mère comme fondement de la construction symbolique de notre humanité. C’est ce qui disparaît qu’il fallait penser. Pas la nature. Et là dessus rien de la part du gouvernement, rien de la part du Conseil d’État. 

     Enfin, personne ne parle de la vie. En revanche tout le monde parle du Droit.    Au XVIIIème siècle Locke est le promoteur de ce changement en faisant dériver l’homme du Droit et non de la vie, l’homme existant pour lui dès que l’égalité existe. La rupture avec la filiation commence là. Depuis, elle n’a pas fini. Bergson a bien essayé de montrer que l’homme venait de la vie et que c’est parce qu’il y avait vie qu’il y avait société. Nous faisons l’inverse. Nous pensons, depuis le XVIIème siècle que l’homme vient de la société et que c’est parce qu’il y a société qu’il y a vie. La raison de cette inversion ? Nous voulons pouvoir décider de tout sans obéir à quoi que ce soit, même à la vie. Cela donne l’enfant que je veux et que je décide et non l’enfant que la vie m’offre. Ce qui veut dire comme horizon de vie, moi, ma décision, ma volonté. C’est sans doute libre, très libre même. Mais c’est dur, Très dur. Et, à la longue, ce n’est pas vivant. 

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