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Angela Merkel sauve sa tête… mais pas forcément sa ligne politique et voilà les conséquences pour l’Europe (et pour Emmanuel Macron)
©CHRISTOF STACHE / AFP

Europe

Le ministre de l'Intérieur allemand Horst Seehofer a annoncé ce dimanche vouloir démissionner à cause du conflit qui l'oppose à Angela Merkel sur la crise migratoire. Finalement, un accord a été trouvé mais la coalition reste fragile et la chancelière allemande est plus fragile que jamais.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Alors que CDU et CSU peinent encore à s'entendre sur la question migratoire - un débat incarné par Angela Merkel et son ministre de l'intérieur Horst Seehofer, cette journée du 2 juillet avait pour objet de tenter une conciliation. Au regard de ces rencontres, comment anticiper la suite des événements ? Angela Merkel est-elle finalement parvenue - comme à son habitude -à désamorcer la crise ? 

Edouard Husson : Angela Merkel reste une redoutable négociatrice et elle a fini, non pas par laisser Seehofer aller au bout de ses menaces de démissionner mais par trouver un accord avec lui. Cepndant, il est frappant de voir comme la Chancelière a perdu l’initiative. L’opinion allemande s’est retournée contre elle, au cours de l’année 2016, non pas par refus de l’accueil de réfugiés; mais parce que la Chancelière ne cessait de répéter “Wir schaffen das”, “Nous allons y arriver” (à intégrer toutes les personnes que nous accueillons) mais qu’elle ne mettait aucun moyen supplémentaire, extraordinaire, à disposition des communes, des associations, des écoles etc....Vous aviez, d’un côté, le dévouement extraordinaire de la société allemande et, en face, le maintien de la limitation des investissements publics et des dépenses extraordinaires, alors que le pays s’est rarement porté mieux économiquement . Ensuite sont venus peser d’autres facteurs comme l’attitude contre-prductive des médias refusant de parler de l’intégration telle qu’elle se passait réellement, avec son cortège de réussites extraordinaires et d’échec flagrants. Aujourd’hui, la société allemande reste positive sur l’intégration: elle continue à croire que tout se passera bien pouvu qu’on y mette les moyens. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Seehofer a senti le sol se dérober sous ses pieds depuis dimanche: une majorité de l’opinion juge son attitude excessive après ce qui apparaît comme un compromis trouvé à Bruxelles entre Etats européens. Mais Angela Merkel, comme Horst Seehofer sont confrontés à une AfD qui a fait 12% aux dernières élections. A la fois cela ne traduit pas un rejet massif de l’accueil des immigrés mais c’est suffisant pour troubler durablement tout le jeu politique allemand. 

Dans le cas d'une poursuite des tensions entre CDU et CSU, (parti dont le renouvellement est en cours notamment sous l'impulsion de Alexander Dobrindt ) et d'une scission politique entre les deux partis, quelles pourraient en être les conséquences aussi bien du point de vue de la politique intérieure allemande que pour l'Europe ? Le maintien d'une CSU remaniée au sein de la coalition n'est-elle finalement pas plus problématique pour Angela Merkel ? 

Les tensions sont momentanément retombées parce que, même à la CSU, on reproche à Seehofer de vouloir être plus royaliste que le roi. Même les durs en matière de politique d’immigration lui ont demandé de reconnaître que l’on pouvait difficilement refuser l’accord de Bruxelles à partir du moment où Giuseppe Conte et le groupe de Visegrad l’avaient entériné. Il ne faut pas personnaliser à outrance le débat. Nous sommes dans un pays qui ressemble plus à la Grande-Bretagne qu’à la France en matière de force et de discipline des partis. A joué en faveur de la Chancelière le souhait de la CDU et de la CSU d’éviter une crise gouvernementale et d’avoir à affronter de nouvelles élections. Cependant, c’est un sérieux coup de barre à droite qui a été donné, à l’occasion du sommet de Bruxelles et du bras de fer avec Seehofer. Comment le SPD, membre du gouivernement lui aussi va-t-il l’accepter? Il n’aura vraisemblablement pas le choix; mais cela veut dire que la CSU sort renforcée au sein de la grande Coalition; et que la CDU est maîtresse du jeu - sur une ligne à la fois de maintien de la coalition et de durcissement des conditions d’accueil des étrangers. On pourrait dire que les deux perdants au sein du gouvernements sont Madame Merkel elle-même et le SPD; et les deux gagnants sont la CDU et la CSU. Madame Merkel, depuis qu’elle est devenue chancelière en 2005, avait eu tendance à déplacer le centre de gravité de son parti du centre-droit vers le centre-gauche. A présent, le vieil équilibre des forces politiques allemandes semble reprendre ses droits. 

Quels sont encore les risques qui pèsent sur Angela Merkel ? D'un statut d'inamovibilité qui la caractérisait avant les élections de 2017, le tendance politique a pu lui être défavorable depuis lors. Son action actuelle peut-elle permettre de renverser cette tendance ou s'agit-il plutôt d'une tendance plus lourde ? 

ngela Merkel aura du mal à finir son quatrième mandat de chancelière. C’est un peu comme Napoléon durant la campagne de France. Le brio manoeuvrier est toujours là, peut-être même n’a-t-il jamais été aussi affirmé; mais l’environnement est de plus en plus hostile. Ce qui la maintient au pouvoir, c’est la peur du vide, en Allemagne et en Europe. Cependant, plus ou moins ouvertement, en Allemagne comme en Europe, on reproche à Angela Merkel d’être à l’origine de la crise qu’elle s’emploie à contenir: n’est-ce pas son cavalier seul en matière d’ouverture des frontières qui a fait basculer la Grande-Bretagne d’une courte victoire du Remain annoncée par les sondages à une courte victoire du Brexit? N’est-ce pas son absence de concertation avc les partenaires européens sur la politique d’accueil des réfugiés qui a rendu possible des foires d’empoigne comme le récent sommet de Bruxelles? Depuis l’attentat de Berlin de la fin 2016, où l’on vit la Chancelière pour la première fois totalement désemparée face à une caméra, elle a perdu la maîtrise des évenements. Pour autant, aucune autre personnalité politique allemande n’a réussi à incarner, jusqu’à présent, un élément d’alternative crédible. Donc la société allemande et le système partisan gardent Angela Merkel, faute de remplaçant. Comme on disait à la fin de l’ère Schröder, en 2004-2005: “Avec lui, c’est impossible; mais sans lui c’est impossible aussi”. La Chancelière vient d’obtenir un répit jusqu’aux prochaines élections bavaroises, qui ont lieu le 14 octobre 2018. On verra alors si le durcissement de la CSU a porté ses fruits et permet à ce parti de garder sa prépondérance en Bavière. On verra alors qui, de Horst Seehofer ou des partisans du compromis ont eu raison. Pour regagner la majorité absolue en Bavière, la CSU doit faire en sorte de ramener l’AfD largement sous la barre des 10%. 

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