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Héros qui se dresse face à la barbarie : mais à qui appartient vraiment Arnaud Beltrame ?
©BERTRAND GUAY / AFP

Bonnes feuilles

Trèbes, 23 mars 2018. Le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame prend la place d’une otage retenue dans un supermarché. Portrait d’un homme de devoir. Face à la propagande de l’État islamique, la France avait besoin de son héros, dont le courage a été salué dans le monde entier. Extrait de "Arnaud Beltrame, le héros dont la France a besoin" de Jacques Duplessy et Benoît Leprince, aux éditions de L’Observatoire.

Jacques Duplessy

Jacques Duplessy

Après avoir travaillé au quotidien Ouest France, Jacques Duplessy a décidé de se consacrer aux reportages et à l’investigation. Il publie dans différents journaux et magazine, dont Paris Match, VSD, Le Canard Enchaîné, Le Point. Auditeur de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IHEDN), il a été conseiller éditorial du livre Libérez Tombouctou, journal de guerre au Mali(Tallandier, 2015).

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Benoît Leprince

Benoît Leprince

Benoît Leprince est journaliste à Paris Match où il est rédacteur en chef des éditions numériques.

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L’étendue et la quasi-unanimité de l’émotion sont révélatrices d’une attente. Peut-être parce que notre période se manifeste par une pénurie de héros. Sur la chaîne LCI, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik analyse : « Beaucoup d’hommes ou de femmes ont des comportements héroïques dont on ne parle jamais ; ils ne seront jamais des héros. En revanche, cet homme, en se sacrifiant, va engendrer une foule de récits, de livres, de réflexions, donc on va lui donner ce statut de héros, qui est sa place. […] Avoir besoin de héros, c’est un signe de faiblesse, c’est qu’on a besoin de quelqu’un qui va nous réparer1 . »

Un temps représenté par le French Doctor, la figure du bénévole humanitaire, nouveau chevalier des temps modernes, est passée de mode. Le destin des moines de Thibhirine a beaucoup marqué l’opinion publique. Ayant voulu jusqu’au bout partager le sort de la population algérienne victime du terrorisme et dialoguer avec les musulmans, ils ont été assassinés en 1996 dans des circonstances qui restent à éclaircir. Plus récemment, la figure de Stéphane Hessel a émergé après la publication en octobre 2010 du manifeste Indignez-vous !. Résistant, ancien ambassadeur de France, le succès incroyable de son petit livre appelant à une France plus solidaire, vendu à plus de 11 millions d’exemplaires en France et à l’étranger, a révélé le besoin d’un mentor et d’une parole désintéressée : à 93 ans, personne ne pouvait le suspecter de vouloir faire carrière ! À l’époque, il déclarait à l’AFP : « Ce succès est encore un étonne‑ ment pour moi, mais cela s’explique par un moment historique. Les sociétés sont perdues, se demandent comment faire pour s’en sortir et cherchent un sens à l’aventure humaine. »

Chez nos militaires, les figures de héros récents sont devenues rares. Il y a bien eu le général Philippe Morillon, commandant de la force des Nations unies en Bosnie, baptisé par les médias « général courage » en  1993, quand on a cru qu’il avait sauvé l’enclave musulmane de Srebrenica assiégée depuis près d’un an par les Serbes. « Je découvre sur place des mil‑ liers de gens livrés à la rue, dans la neige », témoigne le général sur France Télévisions. Philippe Morillon réalise un coup d’éclat qui lui coûtera son commandement. Outrepassant son mandat, il déclare la ville sous protection de l’ONU. L’image fera le tour du monde. « Ils ont retrouvé l’espérance et ont vécu dans une explosion de joie l’arrivée du convoi qui les a sauvés de la famine. » Mais, en juillet  1995, 7  000  musulmans bosniaques seront massacrés par les miliciens serbes dans une sanglante opération de « purification ethnique ». Quarante  ans plus tôt se détachait la figure du général Bigeard, le plus décoré à ce jour de l’armée française, ancien résistant, héros des guerres d’Indochine et d’Algérie et personnalité controversée – il a marqué Arnaud Beltrame dans son parcours. Nos guerres d’aujourd’hui dans la bande sahélienne, en Syrie ou en Irak sont lointaines et désincarnées ; leurs combattants, anonymes. Et quand ils apparaissent dans les médias, leurs visages sont le plus souvent floutés. Depuis l’attentat de Magnanville en juin 2016 où deux fonctionnaires du ministère de l’Intérieur ont été tués à leur domicile, seuls les grades et les prénoms des soldats ou des policiers sont révélés. Difficile dans ces conditions de faire émerger des figures marquantes…

L’acte d’Arnaud Beltrame intervient alors que la société semble toujours dans le désarroi face au terrorisme islamiste, les conséquences des départs de jeunes vers la Syrie, les attaques en France. Difficile de pointer les responsabilités et les causes de ce qui a mené à l’émergence de djihadistes plus ou moins improvisés.

Pour Wassim Nasr, journaliste et spécialiste du djihadisme, « au-delà des exactions et de l’horreur, il y a une idéologie. Dire simplement ce sont des barbares, des paumés, des fous, n’aide pas à comprendre le phénomène et tend même à le minimiser. Or, leurs actes prennent une dimension d’autant plus dangereuse quand on comprend qu’ils sont en réalité réfléchis. Il y a bien quelque chose à comprendre, une idéologie avec des ressorts religieux et dogmatiques. C’est important de chercher à savoir ce qui peut pousser un jeune né en France à rejoindre l’EI en Syrie, par exemple 1 ».

Le psychanalyste Fethi Benslama souligne2   : « Les deux tiers des “radicalisés” ont entre 15  et 25  ans, autrement dit, la période du passage de l’adolescence à l’âge adulte. À l’époque contemporaine, l’adolescence tend à commencer de plus en plus tôt et à se termi‑ ner de plus en plus tard, dans la vingtaine. C’est un moment de transition difficile. Elle est marquée par une quête des idéaux, par le désir de se transformer et de changer la société, par des fantasmes héroïques. Il faut avoir à l’esprit que cette quête des idéaux se trouve aujourd’hui face à un vide, depuis la fin des grandes utopies qui promettaient un avenir radieux. Or, l’islamisme sous sa forme la plus radicale est une utopie totale avec une dimension guerrière qui est le djihadisme. Lorsque certains jeunes en difficulté rencontrent l’offre de radicalisation, ils s’en saisissent comme une issue de secours par le haut. Ils se sentent porteurs d’une mission, ils deviennent les défenseurs d’une cause sacrée, prêts à se transformer en héros.

La radicalisation apparaît pour beaucoup d’entre eux comme un traitement miraculeux de leurs problèmes, un traitement qui donne sens à une vie qui n’en avait pas, qui partait à vau-l’eau. »

Devant cela, avec Arnaud Beltrame, c’est un contremodèle positif qui est proposé à nos concitoyens. Face au nihilisme désespérant des tueurs djihadistes, se dresse la figure positive du guerrier qui, par devoir, par fidélité à ses valeurs, accepte de pouvoir perdre sa vie pour que soit sauvée une innocente, pour que vive une certaine idée de la France. Non pas le héros qui souffre, mais celui qui se bat. Ce qui ajoute à l’impor‑ tance symbolique du geste d’Arnaud Beltrame, c’est le consentement de la famille à l’appropriation de son image par la France. La longue interview de sa mère par Ruth Elkrief sur BFM  TV témoigne de  sa part d’une sorte de dépouillement, à l’opposé de l’image attendue d’une mère éplorée. Sans haine, sans pathos, elle espère encore que son fils servira la France par-delà son tragique décès.

Extrait de "Arnaud Beltrame, le héros dont la France a besoin" de Jacques Duplessy et Benoît Leprince, aux éditions de L’Observatoire

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