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Ces milliards gagnés par l’Allemagne grâce à la crise grecque
©FILIPPO MONTEFORTE / AFP

Qui profite de qui ?

Selon les chiffres communiqués par le gouvernement allemand, le pays aurait bénéficié de 2,9 milliards d’euros d’intérêts en provenance de la Grèce depuis le début du programme "d’aide" octroyé au pays en 2010.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Comment expliquer une telle situation alors que l’idée la plus répandue est bien celle d’une Grèce qui aurait bénéficié du soutien de ses partenaires européens ? Quels sont les montants qui ont pu être touchés par la France au même titre ?

Michel Ruimy : Depuis 2010, date de début de la crise de la dette grecque, les créanciers publics ont consenti, au travers de 3 programmes d’aide, plus de 260 milliards d’euros à la Grèce. L’immense majorité de cette somme provient des autres Etats-membres de la zone euro, qui a fourni près de 230 milliards, le solde provenant du Fonds monétaire international (FMI). Le versement d’intérêts sur la dette est, en théorie, la norme.

Toutefois, la possibilité de gains se limite

  • d’une part, au premier programme de soutien, qui était une combinaison de prêts bilatéraux consentis par les autres Etats-membres de la zone euro - « Greek Loan Facility » - et de crédits octroyés par le FMI pour un montant total alloué d’environ 53 milliards d’euros dont près de 11,5 milliards d’euros octroyés par la France
  • et d’autre part, à la partie grecque du programme « Security Market Program » de la Banque centrale européenne (BCE) qui consiste en l’achat d’obligations d’Etat grecques sur le marché secondaire par la BCE via les banques centrales nationales. En l’espèce, les banques commerciales prêtaient de l’argent à la Grèce - près de 35 milliards d’euros -, qui était censée le rembourser à échéance, en échange notamment d’obligations et les institutions financières les revendaient sur le marché financier aux banques centrales.

Les deuxième et troisième programmes de soutien ne produisent pas de revenus pour les pays créanciers car ceux-ci se sont contentés d’apporter leurs garanties au Fonds européen de stabilité financière et des fonds propres au Mécanisme européen de stabilité.

Ce n’est donc pas une surprise de lire que l’Allemagne, comme d’autres pays européens dont la France, a engrangé des profits dans la mesure où elle est créancière de la Grèce.

Concernant la France, le Compte général de l’État 2013 nous apprend qu’elle a reçu de son débiteur un montant d’intérêts de 84 millions en 2010, 374 millions en 2011, 129 millions en 2012 et 108 millions en 2013. Les documents des années suivantes ne mentionnent pas cette information. Une étude précise des conditions des prêts bilatéraux permettrait cependant d’estimer les paiements d’intérêt.

Pour avoir une vision générale de la situation, la BCE a annoncé récemment que les sommes prêtées à la Grèce entre 2012 et 2016 lui ont rapporté 7,8 milliards d’euros en versements d’intérêts.

Ainsi, contrairement à tous les mythes, l’Allemagne et d’autres états, ont massivement profité de la crise grecque pour améliorer leurs finances publiques. Sauver la Grèce n’est pas facile, cela coûte cher mais cela peut rapporter gros !

Une nouvelle réunion de l’Eurogroupe se tenait hier concernant la Grèce, dans un contexte d’attente de concessions européennes en faveur d’Athènes sur la dette. Comment évaluer les décisions qui s'annoncent sur cette question, et comment les expliquer dans le contexte politique européen actuel ?

En 2013, la BCE et le FMI avaient mis au point un mécanisme pour que les sommes reçues soient redistribuées à la Grèce. Le système, qui reposait sur la bonne volonté des États européens à reverser, in fine, les profits engendrés sur la dette grecque que la Banque centrale européenne leur faisait parvenir, n’a jamais été appliqué du fait de la position de l’Allemagne. En effet, en 2015, les tensions étaient très vives entre la Grèce et l’Union européenne. Le Premier ministre grec Alexis Tsipras, dont le parti de gauche radicale Syriza venait de remporter les élections, essayait de renégocier le montant de la dette grecque… au grand désespoir des allemands. Les autres pays semblent avoir, ensuite, suivi l’exemple de l’Allemagne.

Rien n’a changé depuis, du côté des banques centrales nationales alors que la position de la Grèce s’est adoucie : Alexis Tsipras a laissé partir, en juillet 2015, son ministre des Finances Yanis Varoufakis, qui faisait figure d’épouvantail aux yeux de Wolfgang Schäuble, son homologue allemand. Il a aussi accepté de mener la plupart des réformes économiques demandées par ses créanciers au prix d’une forte baisse de popularité.

Or, si les banques centrales nationales européennes ont profité de la crise grecque, les Grecs, eux, peinent à sentir les bienfaits de l’aide internationale octroyée depuis plus de 7 ans en dépit d’un retour à la croissance en 2017 : le montant de la dette n’a quasiment pas reculé depuis le début de la crise et il est même passé d’un peu moins de 150% à 180% du Produit intérieur brut

C’est pourquoi, dans cet environnement, le seul espoir financier pour la Grèce est aujourd’hui l’Eurogroupe - réunion des ministres européens des Finances - puisque celui-ci a, de nouveau, évoqué, l’an passé à pareille époque, le reversement de ces profits à la Grèce. De plus, il doit étudier la possibilité non d’effacer mais d’alléger la charge de la dette afin de faciliter le retour de la Grèce sur les marchés financiers d’autant que la sortie de ce pays de son programme d’aide sera un moment symbolique et politique très important pour l’Europe…qui en a bien besoin en cette période mouvementée.

Vraisemblablement, la Grèce devrait retrouver prochainement une part de souveraineté. Est-elle tirée d’affaire pour autant ? Loin de là. D’abord, les gestes de clémence des Européens sur sa dette seront conditionnés à un respect de la discipline budgétaire pour plusieurs décennies. Or, l’excédent budgétaire requis sur une aussi longue période ne paraît pas crédible, sauf à brider la croissance, et donc le désendettement. Ensuite, même si les Européens envisagent un - nécessaire - effacement partiel de la dette en repoussant au maximum les échéances de remboursement, cette énorme dette reste insoutenable.

Dans ce contexte, la proposition française d’adapter le montant des remboursements au rythme de la croissance va néanmoins dans le bon sens. D’autres pistes devraient être explorées, telles qu’accorder un effacement de dette en cas de « surperformance » budgétaire. Une chose est sûre : le salut de la Grèce ne viendra pas de son retour sur les marchés financiers et la question de la restructuration de sa dette se reposera un jour ou l’autre.

Notons le relatif apaisement des débats. Il faut dire que les Etats membres ont d’autres crises à surmonter notamment, celle de l’Italie, car ils savent que si les risques de dérive budgétaire de l’Italie venaient à se concrétiser, des conséquences bien plus graves pour la zone euro pourraient survenir.

Comment envisager l’avenir de l’économie grecque sans qu’une remise de dette ne lui soit octroyée, une demande qui a été notamment formulée par le FMI ?

La Grèce doit résoudre, avant tout, ses questions monétaires : une réduction significative de la valeur nominative de la dette publique cumulée, un moratoire sur le service de la dette afin que les sommes conservées soient affectées au redressement de l’économie, l’instauration d’une « clause de développement » - sur le principe de celle dont a bénéficié l’Allemagne au lendemain de la guerre, clause autorisant le pays à ne pas consacrer au service de la dette plus d’1/20ème du revenu de ses exportations - et la recapitalisation des banques, sans que les sommes en question soient comptabilisées dans la dette publique du pays. Leur résolution constitue un point de départ et non le contenu d’un projet de développement.

En effet, tout l’enjeu, pour la Grèce, est de retrouver des marges de manœuvre pour choisir ses propres options en matière de politique économique. C’est dans cet esprit que le gouvernement grec a dévoilé, il y a quelques semaines, une « stratégie globale pour la croissance », orientée vers l’investissement public et la création d’emplois. La difficulté est que le pays n’est pas libre. Pour la Commission européenne, il n’y aura pas de quatrième programme déguisé. De surcroît, les modalités de la surveillance post-mémorandum se dessinent déjà. Le FMI en sera partie prenante car il faut, selon Pierre Moscovici, Commissaire européen aux Affaires économiques, garantir aux créanciers et aux investisseurs que la Grèce continuera à respecter ses objectifs budgétaires convenus.

Avec ou sans troïka, il est interdit, dans l’Union européenne, de dévier de la loi d’airain de l’austérité.

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