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Sommet Franco-Allemand : Paris et Berlin enfermés dans une bulle de plus en plus éloignée de la réalité européenne
©LUDOVIC MARIN / AFP

A l'ouest

Le sommet franco-allemand sera l'occasion de montre une nouvelle fois leurs convergences pour Angela Merkel et Emmanuel Macron. Mais l'agenda très technocratique qui est au programme montre une certaine incompréhension très partagée de ce qu'est l'Europe.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Le sommet Franco-Allemand se tiendra ce 19 juin, à Berlin,​ à l'occasion duquel les ministres des deux pays aborderont la tenue prochaine du Conseil européen et les réformes qui y sont associées. De plus, une annonce concernant l'harmonisation fiscale de l'impôt sur les sociétés entre les deux pays est également à l'ordre du jour. Comment expliquer un tel agenda pouvant être perçu comme "technocratique", notamment sur cette question d'harmonisation fiscale, alors même que l'Union européenne semble être dans une situation de réelle urgence, de Berlin à Paris, en passant par Rome ?

Christophe Bouillaud : L’harmonisation fiscale, c’est en effet une vieille idée qui traine dans les méandres européens depuis des lustres. On en parle, on en parle, et on ne la fait jamais vraiment. Cela fait partie dans ce cas précis d’un plus vaste projet d’union franco-allemande qui lui aussi ressort périodiquement. En effet, puisqu’il parait impossible d’avancer à 27 sur ce sujet, les deux poids lourds économiques de la zone Euro voudraient mettre presque à égalité leurs deux systèmes fiscaux et sociaux, pour ensuite imposer de fait cette norme commune franco-allemande à tous les autres. C’est la même idée qui a présidé à l’institution d’un SMIC en Allemagne. En effet, ce pays n’en avait pas. Du jour où il en a un -ce qui a été décidé sous Merkel-, puisque la France et l’Allemagne ont  la même monnaie, l’Euro, il devient possible de fixer un jour prochain un SMIC unique franco-allemand, qui deviendrait alors la norme pour tous les autres. Avec l’harmonisation fiscale à deux, c’est la même idée. Malheureusement, le diable est dans les détails. En fait, en pratique, il est très difficile de mettre vraiment à égalité des mécanismes sociaux et fiscaux construits par l’histoire longue des deux derniers siècles. C’est pour cela d’ailleurs que l’harmonisation des normes avait été abandonnée comme méthode dans les années 1970-80, et qu’on avait adopté pour avancer dans l’intégration économique la reconnaissance mutuelle des normes – sous réserve d’un socle minimal commun. 

Comment expliquer un tel intérêt pour cette question de l'harmonisation fiscale entre Paris et Berlin ? Quels sont les véritables enjeux pour Paris​ et Berlin ? En quoi sont-ils, ou non, déconnectés de la situation actuelle ? 

C’est d’abord un moyen de communiquer sur le fait que l’intégration économique franco-allemande doit continuer – donc qu’au-delà des craintes exprimées dans les médias, tout va pour le mieux entre la France et l’Allemagne. 

Ensuite, sur le fond, les deux Etats ont besoin de recettes fiscales supplémentaires en provenance des entreprises. Cela est vrai bien sûr pour la France, mais aussi pour l’Allemagne. Si cette dernière veut mener à bien la remontée en capacités opérationnelles de ses forces armées, il va lui falloir des ressources fiscales nouvelles si elle ne veut pas faire augmenter son endettement public. Même remarque pour ses infrastructures vieillissantes. Face aux menaces d’être livré à eux-mêmes en matière de défense par l’administration Trump, il y a un moment où les gouvernants allemands et français ne peuvent plus tolérer de subventionner les paradis fiscaux internes à l’Union européenne, comme l’Irlande ou le Luxembourg. Il y va de leur puissance. Mais aussi de leur stabilité politique interne : à force d’augmenter les impôts sur leurs classes moyennes, d’affaiblir leur Etat Providence, et d’accepter une détérioration du sort des salariés via le chômage de masse ou le précariat, ces deux pays sont confrontés à une radicalisation d’une partie de leur électorat. 

Donc, de ce point de vue, l’harmonisation fiscale franco-allemande pourrait donc être bien utile. Cela permettrait de reconstituer des marges d’action pour les deux Etats – au détriment certes des multinationales, y compris les leurs, et surtout de tous les autres Etats européens qui vivent de ce détournement de ressources fiscales depuis le centre économique européen. 

Mais il est vrai que ce n’est qu’un moyen qui, à terme, pourrait permettre de mettre en œuvre des politiques publiques susceptibles de réconcilier les populations avec l’Union européenne. En fait, cette harmonisation fiscale aurait dû être faite dès les années 1990 dans la foulée de la création du « Grand Marché » et de la zone Euro. Aujourd’hui, il est bien temps de s’en soucier… 

Quelles sont les racines de cette double vitesse, entre réalité politique vécue par les populations, et prise de conscience, puis prise de décision des dirigeants européens ? ​

Il me semble que l’une des sources majeures de cette double vitesse a été le caractère de moins en moins populaire des partis politiques dans l’Europe contemporaine. En principe, un parti issu si possible d’une mobilisation de la base est censé représenter les demandes d’une partie de la population auprès des gouvernants. Depuis les années 1970, partout en Europe, les partis représentent de moins en moins bien les classes populaires (ouvriers, employés, agriculteurs, etc.). Ils ont même tendance à être plutôt des morceaux de l’Etat qui cherchent des électorats pour se légitimer électoralement, comme l’avaient théorisé les politistes Katz et Mair dès le milieu des années 1990. Ces partis, en symbiose avec les élites d’Etat, ne sont donc pas aperçus – ou n’ont pas voulu s’apercevoir - que les politiques qu’ils menaient étaient très défavorables à ces groupes populaires – ou, au moins, étaient perçues par ces groupes comme très défavorables. 

A cette première raison, valable dans chaque Etat séparément, s’ajoute la lenteur de la prise de décision européenne qui suppose toujours de trouver des compromis et d’accorder des délais aux Etats récalcitrants. C’est le paradoxe européen : un système institutionnel qui s’est bâti sur le compromis entre Etats, le droit et le parlementarisme transnational au moment même où, sous la pression des circonstances de la vie moderne, les Etats allaient tous vers le primat de l’exécutif, vers la dictature de l’urgence, voire la dictature au nom de l’urgence.  

Quoi qu’il en soit, nous ne sommes désormais au stade où ces groupes délaissés par les grands partis de gouvernement ont trouvé leurs représentants, essentiellement dans la droite radicale, l’extrême-droite,  ou le populisme, et où les nouveaux représentants de ces classes délaissées arrivent au pouvoir, comme en Autriche ou en Italie. Maintenant, les partis de gouvernement traditionnels paniquent, comme on le voit dans le cas de la CSU en Bavière, et ils essayent de satisfaire leurs électeurs déçus. C’est bien tard. Et il n’y a pas d’exécutif européen fort pour sauver l’affaire en s’imposant à tout le monde…

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