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Marine Le Pen a obtenu 17,9 % des suffrages lors du premier tour de l’élection présidentielle.
Marine Le Pen a obtenu 17,9 % des suffrages lors du premier tour de l’élection présidentielle.
©Reuters

SOS Antiracisme

Le FN s'est imposé en tout juste trente ans comme une force majeure que ses concurrents politiques peinent à combattre. Membre du Haut conseil à l'intégration, Malika Sorel revient sur les ratés de la lutte "anti-FN", de l'anti-racisme contre-productif à l'impossibilité d'aborder sereinement la question de l'immigration.


Atlantico : Marine Le Pen a obtenu 17,9 % des suffrages lors du premier tour de l’élection présidentielle. Libération titrait sa Une de mercredi avec une photo en noir et blanc de Nicolas Sarkozy et une citation censée être tirée de son discours de la veille : « Le Pen est compatible avec la République ». En quoi le FN garde-t-il une spécificité en termes de rapport à la République par rapport à d’autres partis français ? Pourquoi ce parti serait-il moins démocratique ou moins républicain que d’autres partis d’extrême gauche opposés à la démocratie parlementaire tels le NPA ou la LCR, voire qu’Eva Joly qui ne se situe guère dans la tradition républicaine lorsqu’elle propose un jour férié pour Kippour et l’Aïd-el-Kebir ?

Malika Sorel : Lorsqu’en 1984 le Président de la République François Mitterrand demande aux chaînes publiques d’accueillir et de recueillir la parole de Jean-Marie Le Pen, lequel est immédiatement invité dans l’émission politique culte d’alors, “L’Heure de vérité”, il donne par ce geste ses lettres de noblesse républicaines au Front National. En janvier 2011, Pascal Perrineau, l’un de nos analystes politiques les plus avertis, a rappelé (dans l’émission “2000 ans d’histoire” de France Inter) que cet épisode avait joué un rôle de premier plan dans la propulsion du Front National.
À moins que François Mitterrand n’ait fait un calcul machiavélique consistant à introduire un fauve dans l’arène politique et faciliter son ascension, avec mission de dépecer l’adversaire politique du Parti Socialiste – la droite. Si le Front National était incompatible avec la République, il se serait agi là d’un acte gravissime et éminemment répréhensible, puisqu’il aurait sciemment mis en danger notre espace politique républicain, et donc notre démocratie.
Votre question sur l’appréciation de ce qui est républicain et ce qui ne l’est pas, au travers des exemples que vous citez des Verts, du NPA ou de la LCR, est au faciès si l’on peut dire. Cela me semble assez peu républicain.
La deuxième partie de votre question met en évidence le fait que l’appréciation de l’atteinte aux principes républicains est fonction du positionnement politique des auteurs de ces atteintes. C’est préoccupant.
Je crois qu’à une époque où l’on tente régulièrement de brouiller les repères des Français, et surtout des plus jeunes qui n’ont pas eu la chance d’évoluer dans une société apaisée et au fait de sa propre identité, il nous faudrait faire un grand travail de pédagogie pour restituer aux citoyens le vrai sens des principes et des valeurs du pacte républicain, qui est la synthèse de l’histoire politique et culturelle du peuple français.

Que pensez-vous des résultats du mouvement anti-raciste ? La diabolisation du FN s’est-elle révélée finalement contre-productive en étouffant tout débat sur l’immigration ?

Depuis 30 ans, les associations qui luttent contre un prétendu racisme endémique des Français se sont appliquées à délivrer aux populations de l’immigration un message qui ne pouvait que les conduire à se dresser contre la société française. En dressant des catégories de personnes les unes contre les autres, elles ont injecté, chemin faisant, haine et ressentiment des uns envers les autres. Comment espérer en effet créer un sentiment de fraternité en répétant inlassablement aux uns qu’ils sont victimes des autres, et que leurs échecs leur sont imputables ?
Pour ne citer que la sphère économique, la sociologue Jacqueline Costa-Lascoux a mis en évidence que dans le recrutement des jeunes de l’immigration, « l’ignorance des codes sociaux et culturels au travail est l’obstacle le plus évident à l’embauche ». Malgré cela, au lieu d’œuvrer à transmettre à ces jeunes ces codes sociaux et culturels, on s’est focalisé sur la traque des employeurs, avec au final la violation du principe républicain d’égalité hérité de la Révolution française, par l’instauration à l’insu des citoyens de la discrimination positive, rebaptisée pour l’occasion “Charte de la diversité en entreprise”.
C’est le même comportement qui a été déployé à l’école. Au lieu de se focaliser sur la transmission de l’intégralité des programmes aux enfants de l’immigration et le renforcement de leur accompagnement, on a préféré introduire le différentialisme culturel et revoir les exigences à la baisse. On s’étonne ensuite qu’ils soient tant représentés dans les chiffres de l’échec scolaire. Mais là encore, évoquer l’échec scolaire de ces enfants et tenter d’attirer l’attention sur leur fragilité est devenu impossible : aussitôt, les ayatollahs de la pensée unique s’élèvent pour empêcher toute réflexion et tout débat. Qui pense au sort de tous ces jeunes qui sortent du système scolaire sans aucune qualification, qui seront pour nombre d’entre eux inemployables, et dépendront ensuite toute leur vie de la solidarité nationale ?
Depuis des années, toute tentative d’évocation, sans même oser parler de traitement, de sujets qui touchent à l’immigration et à l’intégration déclenche un phénomène d’hystérie collective qui empêche toute réflexion critique. Des partis de gouvernement, qui tente d’évoquer ces sujets et qui crie au diable ? Vers qui les populations de l’immigration auront-elles, et c’est humain, tendance à se tourner ? Vers le Parti Socialiste, qui n’a même pas eu le courage républicain de voter la loi interdisant le voile intégral, celui qui avait tant mobilisé les mouvements féministes français lorsqu’il s’agissait de l’Afghanistan. François Hollande se retrouve, dans les faits, pieds et poings liés par une immigration qui vote massivement pour la gauche.
Dans son rapport intitulé « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? », le cercle de réflexion Terra Nova, dans un cynisme politique sans précédent, recommande à la gauche de tourner le dos à la classe ouvrière qu’elle estime en déclin, et de se focaliser sur « la population des Français issus de l’immigration » qui « est en expansion démographique », allant jusqu’à préciser que par le seul fait des naturalisations, « ce sont entre 500.000 et 750.000 nouveaux électeurs, naturalisés français entre 2007 et 2012, qui pourront participer au prochain scrutin présidentiel ». Ce même rapport pointe le fait que ces populations votent dans leur écrasante majorité pour la gauche, ce qui avait déjà été mis en évidence dès 2005 par deux chercheurs de Sciences Po, Sylvain Brouard et Vincent Tiberj. On comprend dès lors la raison qui pousse François Hollande à octroyer le droit de vote aux étrangers.
Les problèmes d’intégration n’ont pas été traités puisqu’il a été impossible de les aborder sereinement. Ils n’ont de ce fait aucune chance de se résorber. La récente étude « Banlieue de la République » publiée par l’institut Montaigne met clairement en évidence le fait que la politique de rénovation urbaine, qui recueille tant d’assentiment et qui a englouti plus de 40 milliards sur 10 ans, ne constitue pas une réponse. Comment s’en étonner ? Elle ne traite aucune des sources des problèmes relatif à ce sujet de l’immigration intégration. C’est notre société qui en paie aujourd’hui les conséquences. Les Français identifient désormais de plus les mouvements anti-racisme comme co-responsables, aux côtés de bien d’autres acteurs, de ce drame.
Il est urgent qu’un audit du financement des associations soit effectuée afin que l’argent du contribuable se concentre sur celles qui sont véritablement engagées dans le soutien scolaire et dans la diffusion des principes républicains. Et il y en a beaucoup qui méritent d’être encouragées et félicitées pour le travail méritoire qu’elles effectuent au quotidien sur le terrain.

Nicolas Sarkozy avait réussi à faire reculer le Front national jusqu’à 10,44% en 2007. Comment expliquez-vous ce rebond de 2012 ?

Nicolas Sarkozy a été élu sur la promesse de restaurer l’identité nationale, de redonner enfin leur fierté aux Français qui ne supportaient plus le procès continuel en racisme et en intolérance qui leur était fait, alors qu’ils avaient dû accueillir, sans jamais avoir été consultés pour cela, plusieurs millions de personnes qui provenaient dans leur grande majorité de pays pauvres et de sociétés culturellement éloignées de la leur.
La promesse qui concernait la restauration de la valeur travail était dans leur esprit intimement liée à celle de l’assistanat. Chacun sait que ce sont en moyenne 500 000 emplois, majoritairement dans les métiers de l’hôtellerie, de la restauration et du BTP, qui ne trouvent pas preneurs tandis que de nombreux jeunes de l’immigration pointent au chômage. La solidarité nationale ne libère plus, mais aliène.
Nicolas Sarkozy a déçu car il n’a pas su répondre à la hauteur des attentes. Il a en outre attenté au sacro-saint principe du mérite républicain en se faisant le chantre de la promotion de la diversité et de la discrimination positive. On attendait de lui des réformes profondes comme celle du code de la nationalité qui est une nécessité absolue, il s’est mis à donner dans le superficiel en laissant penser que l’entrée au gouvernement de quelques personnes issues de l’immigration règlerait les problèmes de l’intégration des populations extra-européennes.
Et puis la crise financière lui est tombée dessus. Il y a consacré toute son énergie, avec des résultats que nul ne peut lui contester, mais en donnant le sentiment de délaisser tout le reste. Il a manqué de cohérence dans le traitement des sujets qui touchent à l’immigration. Il y a en effet un lien direct entre le niveau de la dette et des déficits et notre capacité d’accueil de nouveaux entrants. Il en est de même pour le taux de chômage. Le Front National n’hésite pas à assumer une totale cohérence dans sa façon d’aborder ces questions qui préoccupent les Français. Les quelques fois où le Président de la République a souhaité agir, il en a été empêché par l’instrumentalisation de l’immigration-intégration par une grande partie des médias, des associations, des syndicats, des intellectuels et bien sûr du Parti Socialiste. C’est probablement pour cette raison qu’il souhaite pouvoir faire appel au peuple par le référendum. C’est une très bonne approche. Le peuple doit pouvoir être consulté sur les sujets qui engagent l’avenir de la nation, et aussi pouvoir venir en renfort lorsque le Président se retrouve entravé dans l’exercice de ses fonctions.

Face à la stratégie de “dédiabolisation” mise en place par Marine Le Pen, le “combat politique” contre le FN doit-il évoluer, voire changer de nature ?

Lorsque l’on voit, sur le terrain, les difficultés qui entravent de plus en plus le vivre-ensemble jusqu’à parfois le rendre impossible, on réalise que ce qui se joue pour les citoyens aujourd’hui, c’est l’avenir de la cohésion nationale. Le peuple français va-t-il demeurer un et indivisible ou va-t-il se disloquer ?

Tout pacte social est indissociable de l’existence préalable d’un pacte moral qui constitue son socle. Le pacte moral, c’est un ensemble de principes et de valeurs qui ont été sculptés par l’histoire, qui lient les individus entre eux et qui en font un corps politique. L'ensemble de la classe politique doit donc oeuvrer à réhabiliter ce pacte moral.

L’avenir des partis politiques, et a fortiori le destin personnel des hommes et femmes politiques, n’est rien au regard de cet enjeu majeur qui, à coup de renoncements et de lâchetés, dans une époque marquée par le retour de l’esprit munichois, nous a amenés au bord du précipice. Les citoyens doivent s’élever au plus vite au-dessus des intérêts partisans et des clivages traditionnels. L’engagement au service de l’intérêt supérieur de la nation doit primer.

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