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Politique sociale : à la recherche du modèle qui inspire Emmanuel Macron
©Dimitar DILKOFF / AFP

Les hommes du Président

Emmanuel Macron doit prononcer le 13 juin son discours sur sa politique sociale. Et ce pour répondre aux attentes des certains membres de son propre parti, qui ne semble pas comprendre la logique de leur président.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Emmanuel Macron prononcera ce 13 juin un discours à la Mutualité qui visera à répondre aux attentes sociales qui se sont manifestées au sein même de LREM au cours de ces derniers jours. De sa campagne électorale aux actes et aux différentes déclarations faites par le président à ce sujet, notamment dans une interview donnée au point ou il répondait "exactement" à la question "Vous voulez passer du modèle d'«  assurance  » sociale dit «  bismarckien  », financé par des cotisations, au modèle de solidarité via l'impôt, dit «  beveridgien  », comment peut-on dessiner le probable "projet social macroniste" ? 

Philippe Crevel : En Europe, deux grands modèles de couverture sociale existent, le système « beveridgien » et le système « bismarckien ». Mais cette distinction est de moins en moins opérante en raison d’une convergence des systèmes au sein de nombreux pays. Le premier repose sur un système de nature étatique mettant en avant l’assistance quand le second est de nature professionnelle et assurantielle. Le premier est d’inspiration britannique et le second germanique. La gouvernance de l’un est politique quand l’autre est censé être paritaire.

En Espagne, au Royaume-Uni, au Danemark, en Italie, en Irlande, au Norvège mais aussi au Portugal, l’État assure un service national de santé. Les résidents de ces pays peuvent recevoir des soins majoritairement gratuits au sein d’hôpitaux publics ou auprès de praticiens qui sont souvent des fonctionnaires. Le parcours de santé est encadré tant par le passage obligatoire auprès d’un généraliste qu’au niveau géographique. À côté de l’offre publique, des structures privées peuvent exister mais elles sont à la charge des patients.

En France comme en Allemagne, le système est donc avant tout assurantiel et professionnel. Ce choix a été également fait par la Grèce, le Luxembourg, la Pologne, l’Autriche et la Belgique.

Pierre Laroque, l’un des pères de la protection sociale française, avait défini avec justesse les missions de la Sécurité sociale à l’occasion d’un discours prononcé le 23 mars 1945 à l’École nationale d’organisation économique et sociale. Il avait alors déclaré, « La Sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’il disposera en toutes circonstances d’un revenu suffisant pour assurer à lui-même et à sa famille une existence décente, ou à tout le moins un minimum vital […] Si donc cette garantie, pour être vraiment complète, doit viser toutes les familles, il n’en est pas moins vrai que la sécurité sociale est avant tout la sécurité des travailleurs, des familles, qui tirent leurs revenus du travail d’un ou de plusieurs de leurs membres ».

Cette construction d’inspiration bismarckienne n’a pas empêché l’État d’être un acteur majeur de la protection sociale en jouant plus ou moins directement sur le contenu des prestations et sur le montant des cotisations. Avec les ordonnances de 1967, il s’est immiscé dans la gouvernance des caisses de la Sécurité sociale. La technicité des dossiers, et la volonté d’orienter les dépenses sociales ont conduit à une étatisation rampante de la sphère sociale. L’introduction de la CSG, en 1991 et de la CMU en 1999 ainsi que la mise en place de la loi de financement de la Sécurité sociale à travers la réforme constitutionnelle de 1996 ont modifié en profondeur l’architecture de notre protection sociale. En matière de retraite, le Fonds de Solidarité de Vieillesse dépendant de l’Etat finance les dépenses de solidarité en matière de retraite.

Bilan des courses de plus de quarante ans de réforme, les régimes de base de la Sécurité sociale sont en grande partie étatisés et leur financement dépendent de plus en plus de l’impôt et de la CSG. Les liens avec les actifs s’estompent. Le paritarisme demeure puissant désormais seulement au niveau des complémentaires retraite et au niveau de l’assurance chômage. Il survit également au biveau des caisses familiales. La santé est de plus en plus sous le joug de l’Etat. Ce dernier est de toute façon incontournable en fixant les normes, les réglementations et enpesant fortement sur les cotisations. Les gouvernements en pouvant faire valiser les accords nationaux interprofessionnels par le Parlement dispose d’armes que les partenaires sociaux n’ont pas.

Les projets d’Emmanuel Macron s’inscrivent dans ce mouvement engagé depuis 40 ans et qui s’est accéléré depuis 20 ans. En proposant de créer un système universel d’indemnisation du chômage financé par la CSG et de supprimer le reliquat de cotisations sociales finançant l’assurance-maladie, il opte pour un système d’assistance d’inspiration « beveridgienne ». La création d’un grand régime universel de retraite pourrait également conduire à une certaine forme d’étatisation. Cette grande mutation, si elle est menée à son terme, s’accompagne donc d’une réflexion sur le rôle des partenaires sociaux dans la gestion de la protection sociale. Par ailleurs, pour des raisons budgétaires et pour des raisons liées à l’évolution de notre société, le développement d’un système d’assistance libère un espace pour refonder un niveau d’assurance professionnel tel qu’il existe chez nos partenaires. L’État est en charge du premier pilier quand le deuxième est de la responsabilité des entreprises et des syndicats ; le troisième relevant de la responsabilité individuelle. Emmanuel Macron rêve de redessiner ainsi le paysage social français. L’assurance chômage et la retraite sont dans son viseur mais cela ne signifie pas qu’il réussira à les transformer en système d’assistance. Cette mutation est rendue possible par le rejet du paritarisme par une partie du patronat mais aussi par certains syndicats de salariés qui préfèrent la confrontation directe à la gestion.

Quelles seraient les conséquences d'un tel système pour les Français ? Alors qu'un système beveridgien consacre notamment la notion d'uniformité des prestations, quels en seraient les "gagnants" et les perdants" ? Quelles seraient les autres possibilités de réformes ? 

Ces quarante dernières années, l’Etat at-il été meilleure gestionnaire que la Sécurité sociale ? Non, c’est l’Etat qui a accumulé les déficits et les dettes. Certes, une partie est la conséquence d’exonérations de charges sociales. Sur les retraites, les partenaires sociaux se sont mis d’accord au niveau de l’AGIRC et de l’ARRCO pour équilibrer les comptes. Ces deux institutions n’ont pas le droit de s’endetter. Le transfert à l’Etat de la délivrance des prestations sociales n’est pas en soi un gage de bonne gestion. Jusqu’à maintenant, il y avait le lien entre cotisations et prestations. En passant au système beveridgien, le contribuable remplace le travailleur. Le risque est double, c’est celui de s’enferrer dans une société d’assistance et de permettre à l’Etat de faire évoluer à tout moment en fonction de considérations politiques le montant des prestations. Dans un tel système, les classes moyennes supérieures sont les perdantes. En effet, les pouvoirs publics maintiennent en règle générale le filet social pour les plus démunis mais plafonnent en fonction des revenus. De ce fait, les cadres seront amenés à être moins bien couverts que dans le système précédent qui avait tendance à les favoriser. Le système sera plus progressif et moins général. Il risque d’accentuer la polarisation de la société. Jusqu’à maintenant, les prestations sociales récompensaient le travailleur et avant tout le salarié. La généralisation de la complémentaire a démontré qu’elle a favorisé les salariés à faibles revenus travaillant dans les PME. En revanche, sous couvert de contrats solidaires, le niveau de remboursement des autres salariés a plutôt baissé. Le passage à un système beveridgien pourrait être l’antichambre de l’instauration du revenu universel, un filet de sécurité minimal pour tous ; à charge pour les autres de s’assurer ailleurs.

A quelles difficultés de mise en place pourraient on s'attendre dans une telle optique ? 

Les syndicats réformateurs comme la CFDT sont favorables au maintien du paritarisme et au lien prestations / cotisations. Or, ces syndicats soutiennent l’action du gouvernement. Le risque serait également de mécontenter les classes moyennes qui pourraient être tentées par le vote extrémiste. La fonctionnarisation du système de santé n’est pas un gage de bonne qualité. Il pourrait y avoir de lourde conséquence avec l’instauration d’un système à plusieurs vitesses, certes dans les faits, cela existe déjà.

Le passage d’un système à un autre en bousculant des droits acquis donnera lieu à des négociations épiques qui pourraient se traduire par des concessions importantes et coûteuses. Emmanuel Macron est souvent ambitieux dans les paroles mais plus prudents dans les actes. Il y a l’affichage et la réalité. Il est fort à parier que sa politique perpétue la marche vers l’étatisation mais sans réelle rupture. Peut être que l’inclinaison sera plus forte mais pas verticale.

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