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Pourquoi la loi Elan ne se donne pas les moyens de ses ambitions de "libération de la construction" et de "protection des plus fragiles"
©Reuters

Logement

L'Assemblée nationale examinait le projet de Loi Elan "loi sur l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique" ce vendredi 1er juin, dont les objectifs fondamentaux, selon le ministère de la Cohésion des territoires, est de "libérer la construction et protéger les plus fragiles".

Pierre Madec

Pierre Madec

Pierre Madec est économiste au département analyse et prévision à l'OFCE.

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L'Assemblée nationale examinait le projet de Loi Elan "loi sur l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique" ce vendredi 1er juin, dont les objectifs fondamentaux, selon le ministère de la Cohésion des territoires, est de "libérer la construction et protéger les plus fragiles". Au regard du texte présenté, les objectifs affichés sont-ils atteignables ? 

A l’image des crises du logement qui traverse la France (logement cher, crise de la mobilité résidentielle, accès des jeunes au logement, …), les objectifs affichés par le gouvernement, notamment au travers l’exposé des motifs de la loi ELAN, sont nombreux. Si des réponses sont apportées du côté réglementaire avec de nombreuses mesures visant à fluidifier le marché de la construction, peu de réponses sont apportées du côté du « stock » de logement. Pire, certaines mesures semblent contradictoires avec les objectifs affichés. Si l’on pose le constat que les loyers du parc privé sont trop chers et trop éloignés des loyers du parc social pourquoi baisser les loyers HLM ? Si l’on s’accorde sur le fait qu’il manque des logements sociaux dans les zones les plus chères comment expliquer la fragilisation engagée des acteurs du secteur ? Si l’on souhaite expérimenter dans de bonnes conditions l’encadrement des loyers tel que créé par la loi ALUR pourquoi ne pas l’étendre à l’ensemble des agglomérations en tension ? Il ressort globalement de la lecture du projet de loi d’une part un constat sérieux des problèmes de logement mais d’autre part des solutions qui sont clairement pas à la hauteur des enjeux notamment dans la protection des plus fragiles.

La question du handicap, et la fin de l'universalité de l'accès universel aux logements neufs a pu être critiqué aussi bien par la droite et la gauche, notamment en raison de l'accroissement du nombre de personnes âgées nécessitant de tels aménagements. Quels sont les aspects de cette loi qui pourraient avoir un impact négatif sur "les plus fragiles" ? 

Depuis 2005, l’ensemble des logements collectifs mis en construction se doivent d’être accessible aux personnes en situation de handicap. La loi ELAN propose de revenir sur cette disposition. Dans les futures opérations de construction de logements collectifs, seuls un dixième des logements (et au moins un logement) sera accessible aux personnes en situation de handicap tandis que leurs autres logements, évolutifs, pourront « être rendus accessibles à l’issue de travaux simples ». Cette modification législative, en plus de remettre en cause la Convention relative aux droits des personnes handicapées, pose de nombreuses questions. La première porte sur la définition même de « travaux simples » pour le moment non explicitée. La deuxième interrogation vise à connaitre l’identité de la personne que s’acquittera au final des travaux de mises en accessibilité. Enfin, demeure une question plus large sur la place des personnes en situation de handicap (et de leur lieu de vie) en France. En effet, de nombreux observateurs souligne qu’il n’y a nul besoin de construire 100% de logements accessibles étant donné le fait que ces logements ne seront pas tous habités par des personnes en situation de handicap. Certes. Mais le logement est-il uniquement un lieu où l’on réside ou est-il aussi et surtout un lieu où l’on vit ? N’est-ce pas après tout une bonne chose que les « valides » puissent recevoir chez eux des personnes qui le sont moins (amis, parents, grands-parents) dans des conditions décentes ? 

Concernant la question de la "libération de la construction", et le souhait du gouvernement de provoquer un choc d'offre sur le marché immobilier, les moyens mis à disposition sont-ils à la hauteur de l'enjeu ? 

Affirmer que c’est en construisant plus que l’on parviendra à faire baisser les prix est, hélas, une hérésie. La littérature économique s’est penchée depuis longtemps sur la réponse des prix immobilier à un accroissement de l’offre de logement. En France, celle-ci a été estimée à -1,5 au niveau national. Autrement dit, une hausse de 10% de l’offre de logement permettrait de réduire les prix de l’ordre de 15%. Premier problème, cette estimation est réalisée au niveau national et non local. Or, le plus souvent, l’accroissement de l’offre de logement va de pair avec une croissance de l’attractivité du territoire et donc une hausse des prix immobilier. Deuxième problème, même en pensant, et il le faut, qu’accentuer l’effort de construction en zone tendue est à même de faire baisser les prix, l’objectif de construction est irréalisable sur des territoires comme Paris par exemple. En croyant au « -1,5 », il faudrait construire à Paris plus de 150 000 logements pour faire baisser les prix de 10%. Compte tenu des contraintes foncières des villes sujettes aux tensions, ces objectifs ne pourront être atteints. De ce point de vue, la contraction des enveloppes budgétaires adressées au secteur social, levier important des opérations de construction, fait peser un risque sur l’ensemble du secteur de la construction, transformant la volonté du choc d’offre en un risque de désinvestissement massif de l’ensemble des acteurs. Si l’attention portée, dans le projet de loi ELAN, à la construction est notable et de bon sens, c’est bien la production de logements abordables supplémentaires qui constitue la solution aux maux du logement en France. Pour ce faire, la construction neuve est insuffisante. Il faut s'attaquer aux prix du "stock" de logements existant.

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