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Retour de l’inflation en France et en Allemagne : pourquoi la peur qu’elle suscite est bien plus dangereuse que le phénomène lui-même
©DANIEL ROLAND / AFP

Pas de panique

Selon les chiffres publiés ce 31 mai par l'INSEE, l'inflation serait remontée à 2% au mois de mai, un niveau inédit dans le pays depuis plusieurs années, et qui serait notamment la conséquence de la hausse des prix du pétrole.

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet est économiste senior chez Pictet Wealth Management, en charge de l'Europe, depuis septembre 2015. Auparavant, il était économiste chez Credit Agricole CIB entre 2005 et 2015. Spécialiste de l'économie européenne, et de la politique monétaire de la BCE en particulier, ses travaux portent notamment sur le cycle du crédit, les politiques monétaires non-conventionnelles et leurs conséquences pour les marchés financiers.

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Atlantico : Une situation qui connaît un développement comparable en Allemagne, avec un chiffre annoncé de 2.2%. Alors que la BCE a pu être critiquée en 2008, mais également en 2011, pour une mauvaise interprétation de tels chiffres, quels sont les risques de voir l'autorité monétaire européenne sur-réagir par rapport à ces publications ? 

Frederik Ducrozet : Le risque de voir la BCE sur-réagir à un chiffre d’inflation sur un seul mois est nul. Il est vrai que les données publiées cette semaine pour l’ensemble des pays de la zone euro ont été meilleures qu’attendu, moins en termes d’inflation totale (tirée effectivement par les prix de l’énergie et de l’alimentaire) qu’en termes de tendance de fond des prix à la consommation de nature « domestique ». 

Mais, l’horizon de temps sur lequel la BCE fonde son analyse, ses prévisions et formule ses décisions de politique monétaire est le moyen terme, soit 2 à 3 ans en pratique. Or, le staff des économistes de la BCE prévoit une inflation à 1.4% en moyenne pour les deux prochaines années en zone euro, avant de remonter à 1.7% à l’horizon 2020, soit encore quelque peu éloignée de la cible de 2%. Enfin l’inflation sous-jacente a certes rebondi à 1,1% en mai, mais elle reste très loin des projections du staff, à 1,8% d’ici 2020. C’est la raison la plus évidente pour laquelle la BCE devrait se montrer prudente en orchestrant un processus de normalisation monétaire très graduel.

Il y a d’autres explications, et les erreurs de 2008 et 2011 en font partie. Plus généralement, l’idée d’hystérèse qui prévaut au sein du Conseil de gouverneurs, selon laquelle la faiblesse de la croissance européenne au cours de la dernière décennie risque de se traduire par un affaiblissement plus durable du potentiel de croissance à long terme, est également compatible avec une banque centrale plus prudente que ce que sa fonction de réaction historique suggérerait.

Comment faire la part des choses entre les différentes mesures d'inflation ? Qu'est-ce que les publications de cette fin de mois de mai nous apprennent du contexte économique ? 

La cible d’inflation BCE est définie sur la base de l’inflation harmonisée totale publiée par Eurostat, qui doit être « en-dessous, mais proche de 2 % » à moyen terme. Toutes les autres mesures de l’inflation, notamment celles qui visent à capturer les tendances de fond dans l’économie en excluant les éléments les plus volatiles de l’indice des prix à la consommation, sont également utilisées par la BCE pour définir les perspectives à moyen terme. Voilà pour la version officielle.

En pratique, Mario Draghi s’est progressivement écarté d’une doctrine centrée sur l’inflation totale (ou les agrégats monétaires), que Jean-Claude Trichet aimait à justifier en disant que les citoyens européens doivent conduire leur voiture et se nourrir, et qu’il était donc normal d’inclure les prix du pétrole et des aliments dans la cible de la banque centrale. Pour la BCE de Draghi, il s’agit de s’équiper d’outils plus précis et plus robustes pour mesurer l’inflation sous-jacente au-delà des fluctuations parfois très importantes des prix importés ou du taux de change. 

En l’occurrence, la BCE ne décidera d’arrêter ses rachats d’actifs qu’une fois qu’elle sera raisonnablement confiante dans sa capacité à maintenir ce qu’elle appelle un « ajustement soutenu du chemin de l’inflation ». Pour cela, l’accent a été mis depuis plusieurs années sur d’autres mesures de l’inflation, y compris un « super core » restreint aux catégories de biens et services dont les prix sont les plus sensibles aux fluctuations de l’activité domestique. 

En quoi de tels chiffres pourraient-ils cependant mettre une pression importante sur les preneurs de décisions ? L'indépendance de le BCE peut-elle réellement ignorer certaines pressions politiques qui pourraient surgir suite à la publication de ces chiffres ?

Le risque, de ce point de vue, est centré sur l’Allemagne, où l’écart entre la réalité économique et le réglage monétaire de la BCE est le plus important. Le taux de dépôt négatif de la BCE (-0,40%) et la taille de son bilan (4 600 milliards d’euros) sont régulièrement l’objet de critiques virulentes outre-Rhin, et de ce point de vue la situation ne fait qu’empirer au fur et à mesure que le temps passe.

Ces critiques sont infondées – la BCE décide de la politique monétaire pour l’ensemble de la région, sans compter que l’Allemagne figure parmi les grands bénéficiaires des mesures non-conventionnelles – mais elles peuvent se comprendre dans un pays en excédant d’épargne. La BCE a longtemps œuvré pour expliquer les fondements de sa politique qui, soit dit en passant, était beaucoup moins controversée au début des années 2000 quand elle était adaptée aux conditions économiques en Allemagne, alors l’enfant malade de l’Europe. 

La politique monétaire fait, toujours, des gagnants et des perdants si l’on oppose créanciers et débiteurs, entre pays ou au sein d’un même pays. Elle peut également produire des effets indésirables dans des situations de crise. Mais aucun de ces arguments ne justifierait aujourd’hui un resserrement monétaire pour faire taire les critiques. 

La vraie question porte sur la stratégie monétaire optimale à moyen terme et de ce point de vue, on pourrait au contraire avancer qu’un politique accommodante reste justifiée tant qu’un certain nombre de déséquilibres n’ont pas été résorbés, y compris en tolérant une inflation supérieure à sa cible pendant un certain temps. 

Dernier point, absolument essentiel dans le contexte actuel, les allemands et leurs alliés du Nord devraient saisir l’occasion pour soutenir des réformes institutionnelles beaucoup plus ambitieuses en zone euro. Ce n’est que dans une union monétaire plus efficace et plus stable qu’ils pourront espérer que la BCE revienne à terme à un fonctionnement plus « normal » et des taux d’intérêt plus élevés pour leurs épargnants.

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