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LR : la descente aux enfers s’accélère silencieusement mais sûrement
©BERTRAND GUAY / AFP

Pagaille

Laurent Wauquiez fait figure de cible des critiques internes aux LR, quelques mois après sa prise de pouvoir à la tête du parti. Dans le même temps, Valérie Pécresse souhaite incarner une alternative, tandis que Nicolas Sarkozy devrait rencontrer 5 députés LR critiques de Laurent Wauquiez, comme le révélait le JDD ce 27 mai.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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"Il ne règne que par l'humiliation, la menace et l'intimidation" relatait L'Obs le 22 mai dernier, qui le décrivait encore enfermé "dans une forme de paranoïa". Laurent Wauquiez fait figure de cible des critiques internes aux LR, quelques mois après sa prise de pouvoir à la tête du parti. Dans le même temps, Valérie Pécresse souhaite incarner une alternative, tandis que Nicolas Sarkozy devrait rencontrer cinq députés LR, critiques de Laurent Wauquiez, comme le révélait le JDD ce 27 mai. Les LR sont-ils engouffrés dans un processus d'implosion lente ?

Christophe Boutin : Le projet de Laurent Wauqiez est clair : s’affirmer comme le dirigeant de la principale force d’opposition à Emmanuel Macron, à même de lui contester la présidence de la République en 2020. Au vu des scores qu’il obtient dans les différents sondages, il en est loin, et ce pour plusieurs raisons.
La première est que, contrairement à ce qui s’était passé avec Nicolas Sarkozy en 2007, il peine, même en rappelant les fondamentaux du nationalisme gaulliste, à attirer à lui un électorat de droite qui a été peu à peu séduit par le FN. Alors que la situation pouvait sembler favorable à cette évolution, l’échec à la présidentielle de 2017 ayant disaient certains fragilisé ce parti et notamment sa dirigeante, quand l’arrivée d’un homme nouveau à la tête de LR allait au contraire attirer, les sondages montrent que le FN semble attirer toujours le même nombre d’électeurs. Il semble en fait que sur trois points au moins – mais essentiels de nos jours - ces électeurs fassent plus confiance à Marine Le Pen qu’à Laurent Wauquiez : lutte contre l’immigration ; sécurité ; rejet de la construction fédérale européenne.
La seconde raison est que, tandis qu’il n’arrive pas à progresser à droite, Wauquiez doit tenir compte de ses pertes au centre. Séduite par Emmanuel Macron et par son programme, une partie de la droite centriste, quand elle n’est pas carrément passée chez LaREM, accepterait en effet volontiers de collaborer avec ses représentants, que ce soit sur le projet européen – c’est-à-dire en accompagnant l’évolution fédéraliste de l’Union européenne – mais aussi au niveau local.
La troisième raison, celle sur laquelle vous insistez plus particulièrement, à juste titre, est une forte contestation interne, très volontiers relayée par les médias. Cette contestation repose sur des questions de personnes mais aussi sur des oppositions idéologiques, et nous pouvons en retenir deux : celle, d’une part, qui oppose l’approche critique de l’Union européenne, demandant une « Europe des nations » à l’approche qui soutient au contraire le projet fédéraliste de l’Union ; et celle, d’autre part, qui oppose un libéralisme d’entrepreneurs à un libéralisme de financiers.
Ceci dit, on peut être surpris et par la violence des termes du conflit et par la place qui lui est donnée. Pour le comprendre, rappelons que dans l’optique macronienne LR reste un danger potentiel : ce parti a toujours un socle d’élus non négligeables ; il a ses électeurs attitrés ; il est toujours moins « clivant » que FN et FI, les deux autres opposants majeurs au Président. Cela veut dire, dans l’hypothèse de la présidentielle, qu’un candidat LR présent au second tour pourrait attirer plus largement qu’un candidat FN ou FI, et qu’il faut donc éviter qu’il soit second au soir du premier tour. Il est certain dans ce domaine qu’un remplacement de Laurent Wauquiez par Valérie Pécresse ne changerait rien, et que les critiques continueraient avec la même virulence sur le nouveau dirigeant. Pour autant, cette tactique suppose que l’on continue à rendre impossible toute alliance entre les diverses formations de droite – y compris donc avec le FN -… ce que garantit Wauquiez.

Du point de vue des idées, les oppositions semblent de plus en plus irréductibles entre les partisans d'une vision europhile, proche de celle portée par Emmanuel Macron, et ceux qui souhaitent porter une vision plus critique, faisant ainsi resurgir l’opposition UDF-RPR des années 90. Concernant les réformes sociales, une telle opposition peut également voir le jour, notamment entre Guillaume Peltier qui a pu montrer son opposition aux réformes de l'ISF et de l'Exit Tax, tandis que d'autres soutiennent Emmanuel Macron sur ce point. Ces tensions idéologiques, classiques au sein du parti, ne sont-elles pas renforcées - rendant toute coopération impossible - par la polarisation politique française actuelle découlant de l'élection d'Emmanuel Macron ?

En effet, LR paye encore l’alliance contre nature - au moins au sein d’un parti unique, car sinon des alliances ponctuelles, sur des textes comme pour des élections, étaient toujours possibles et fonctionnaient fort bien - entre le RPR et l’UDF. D’un côté, un parti d’abord nationaliste dans ses analyses, que ce soit en politique étrangère, en économie, sur l’Union européenne ou en matière défense, et un parti surtout pour lequel le politique prime sur le reste. De l’autre, un parti où c’est l’économique qui prime, et ce dans une approche très libre-échangiste que l’on qualifierait volontiers aujourd’hui « d’ultra-libérale » ou de « mondialiste », une approche renforcée plutôt que tempérée par une morale démocrate chrétienne réduite à un gloubi-boulga de ces bons sentiments qui n’ont jamais fait de bonne politique.
C’était le temps du « bipartisme à la française ». À droite, l’UMP, à gauche le PS, aux extrêmes le FN et le PC. Grâce aux primaires, merveilles de la démocratie, on allait élire à droite comme à gauche les candidats les moins clivants, des Juppé et des Hollande, qui s’affronteraient dans des débats titanesques tenant en haleine les EPHAD, avant de faire après l’élection la même politique, la « seule possible », dont des extrêmes parfois caricaturales mais surtout volontiers caricaturées suffiraient à rappeler la nécessité.
Et puis… et puis le merveilleux système a volé en éclat, en partie au moins parce que François Hollande a non seulement tué un PS sur les cendres duquel Macron a pu prospérer, mais aussi parce que son immobilisme a valorisé l’activisme du jeune premier auprès d’un centre qui trouvait Fillon trop à droite et faisait naturellement confiance à l’ancien banquier.
Dès lors, la question se pose : faut-il, pour lutter contre cette OPA et revenir un jour aux affaires – si l’on ose écrire -, récupérer les électeurs de droite partis au FN, ou ceux du centre partis chez LaREM ? De la réponse à cette question découle des choix de personnes et de programmes. Mais encore faut-il fidéliser son propre électorat… et se poser la question de savoir ce qu’il est. Or dans le pâté d’alouette UMP, les proportions du cheval RPR et de l’alouette UDF étaient inversement proportionnées à la base et au sommet… ce qui ne rend pas cette tâche de clarification facile.

Des oppositions idéologiques à celles des personnes, quelles sont celles qui menacent le plus les LR ? Au regard des tensions actuelles, quels sont les différents scénarios possibles pour le parti ?

On aimerait penser qu’en politique les oppositions de personnes sont secondaires par rapport aux oppositions idéologiques, mais on a tellement vu de haines recuites contribuer à faire le jeu de l’adversaire qu’il est permis de se demander si, dans la réalité, ce n’est pas l’inverse. Puisque les contradictions sont maintenant évidentes, pourquoi rester ensemble ? Mais tout simplement, comme chez certains couples, pour conserver la maison. Divorcer, pour LR, c’est perdre un parti dont on pense qu’il est toujours une arme efficace, diviser des élus, fragiliser un électorat. Il est peut-être plus rentable de faire durer une illusion qui rapporte des sièges et des subventions plutôt que de tenter une aventure séparée. Mais ne manque à la scène que le Chat de Gabin et Signoret.
Pour autant, au regard de cet intérêt qu’aurait la structure partisane elle-même, il est permis de se demander si LR – et plus largement la droite - va échapper au bouleversement qu’a connu la gauche : le rejet des politiciens démonétisés, des structures dépassées, au profit du « mouvement ». Peut-on alors faire soi-même sa révolution pour éviter d’être emportée par elle ? Encore faudrait-il travailler alors sur ce changement, en termes de structures, de programme et de têtes, et les guerres intestines n’en laissent pas l’occasion.
Ce qui est certain en tout cas, c’est que la clarification idéologique va se faire naturellement à LR. D’abord, sur la position à adopter face à l’Union européenne, pour les élections de 2019. Ensuite, sur la question des alliances locales – avec LaREM et/ou avec le FN et d’autres – pendant et après les élections de 2020. Soit ce sera le respect de la doxa médiatique (« L’Europe c’est la paix » en 2019 et « Mieux vaut perdre les élections que son âme » en 2020), et l’on pourra peut-être encore cacher la poussière sous le tapis, soit il y aura des choix plus tranchés de la part de la direction actuelle, mais cela renforcera alors le conflit ouvert , avec une dynamique dont on ne peut présager l’issue.

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