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Référendum sur l’avortement : pourquoi l’Irlande jouait beaucoup plus qu’une question de religion ou de société
©BARRY CRONIN / AFP

Catholicisme

En votant massivement pour l'abrogation de l'interdiction de l'avortement, les Irlandais ont coupé le cordon avec un catholicisme très présent dans leur identité.

Alexandra Slaby

Alexandra Slaby

Alexandra Slaby est Maître de Conférences en anglais à l’Université de Caen. Sa recherche est en études irlandaises et en histoire des idées culturelles. En 2010, elle a publié un ouvrage issu de sa thèse et qui est une mise à jour jusqu'en 2009 de la politique culturelle irlandaise: L'Etat et la culture en Irlande. Elle a récemment publié une Histoire de l'Irlande de 1912 à nos jours (Tallandier, 2016).

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Atlantico : Les irlandais se sont exprimés sur la question qui leur était posé sur l'abrogation du 8e amendement qui interdisait de légiférer sur l'avortement. 68% se sont prononcé en faveur et 32% contre dans un pays où le catholicisme "traditionnel" est encore très ancré dans les mœurs. Est-ce là la manifestation que l'Église n'est plus l'autorité morale qu'elle représentait dans le pays auparavant ?

Alexandra Slaby : Il y a un rapport particulier des Irlandais au Vatican, pour des raisons qui remontent aux origines du nationalisme irlandais du début du 19e siècle. Les nationalistes ont essayé de détruire cette réunification et le gouvernement britannique a fait appel au Vatican pour être une force de pacification en Irlande.  Il y a eu vis-à-vis du Vatican une méfiance, une distance qui s'est instaurée. Pour preuve au début de l'indépendance en 1922, les nationalistes irlandais n'ont pas voulu de nonce apostolique. Ils ne voulaient pas que Rome mette le nez dans les affaires des Irlandais. C'est donc une certaine tradition irlandaise d'avoir une pratique de la religion catholique "à la carte". Cette tendance latente pendant tout le 20esiècle a été amplifiée avec la série des rapports sur les abus dans les institutions religieuses en 2009 (jusqu'en 2014).

Cela a été le "coup de grâce" pour l'obéissance à l'institution et cela explique qu'il y a 78% de la population qui se définit comme catholique et 46 ou 48% qui sont pratiquants. Néanmoins, ils disent qu'ils peuvent être catholiques tout en prenant des distances vis-à-vis de l'institution. De son côté l'Église va condamner l'acte (en l'occurrence l'avortement) mais pas les personnes car la miséricorde s'applique.

Le résultat de ce scrutin est donc l'évolution logique de cette tradition et de cette histoire et juste avant ce référendum, on peut citer la campagne pour la légalisation du mariage homosexuel en 2015. A l'époque, elle avait essayé de faire valoir l'enseignement sur la famille et n'avait pas réussit à fournir un discours audible, attirant et positif. Depuis elle est restée silencieuse et a par exemple été absente de la campagne sur le référendum.

2/ Le résultat peut-il se résumer simplement à une question de religion n'est-ce pas là aussi une conséquence politique qui était prévisible avec le renouvèlement politique de ces dernières années ?

 Absolument, tout cela était en germe depuis plusieurs années maintenant. Les élections législatives de 2016 se sont terminées par une absence de majorité et la nécessité pour le Fine Gael de constituer un gouvernement de coalition avec des indépendants. Ces indépendants ont monnayé leur soutien par des exigences comme mettre sur la table des négociations l'abrogation du 8e amendement. C'était donc prévisible et ce projet était également porté par l'actuel Premier ministre Léo Varadkar qui a un profil nouveau dans la classe politique irlandaise (homosexuel, a un père indien…) et portait toutes les réformes "éthiques" que souhaitait la population. Sa présence a été un accélérateur de ces évolutions.

Dans le détail du scrutin, on remarque que le vote de la jeunesse en faveur de l'abrogation a été largement supérieur au résultat final (87 % des 18-24 ans et 83 % des 25-34 ans souhaitaient cette réforme). Cela veut dire que cette jeunesse est complètement mondialisée, "protestantisée" (chez les protestants ces questions sont laissées au libre choix des individus) … Cette génération est celle qui, avec la crise en 2008 a massivement émigré et qui est revenue avec le début d'une nouvelle "prospérité" et qui a une vision de la vie et de la morale qui est complètement différente par rapport à leurs ainés (60% des plus de 65 ans ont voté non au référendum).

3/ Quel pourra être la réaction des conservateurs ? À quoi s'attendre pour la suite

C'est très difficile à dire. Il n'y a pas vraiment de conservateurs au sens où on l'entend en France. Même chez les partis qui étaient officiellement anti-avortement il y a un rajeunissement de la classe politique et des militants et cela a des incidences. D'autant plus qu'il faut remettre cela dans le contexte irlandais d'un système de santé qui est très déficient. Les jeunes ont vu à l'étranger qu'il y avait de meilleure prise en charge et veulent changer les choses.

Pour moi ces évolutions sont inexorables. Elles sont liées au fait que la société est beaucoup moins homogène qu'avant et que tous les changements sont extrêmement rapides. Les évolutions que nous avons connu en France en 40 ans, eux, ils les vivent en 10.

Maintenant gardons en tête que les débats ne sont pas clos. Ils vont essayer d'arriver à un texte de loi avant l'été pour cadrer la pratique de l'avortement. Il faut voir maintenant dans quelle mesure les négociations vont se faire

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