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Quand Emmanuel Macron tente un rapprochement avec Vladimir Poutine
©LUDOVIC MARIN / AFP

Essai

Près d'une année après la visite française de Vladimir Poutine en France, Emmanuel Macron s'est rendu, ce 24 mai, en voyage officiel à Saint-Pétersbourg pour rencontrer son homologue russe. Les deux chefs d'Etat aborderont à cette occasion les questions relatives internationales relatives à l'accord nucléaire iranien, à l'Ukraine (et les nouvelles informations relatives au MH17) ou encore au conflit syrien.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Près d'une année après la visite française de Vladimir Poutine en France, Emmanuel Macron s'est rendu, ce 24 mai, en voyage officiel à Saint-Pétersbourg pour rencontrer son homologue russe. Les deux chefs d'Etat aborderont à cette occasion les questions relatives internationales relatives à l'accord nucléaire iranien, à l'Ukraine (et les nouvelles informations relatives au MH17) ou encore au conflit syrien. Au regard de la conférence de presse tenue par les deux hommes, quels sont les points d'opposition qui subsistent et les points de rapprochement envisageables ? 

Florent Parmentier : le lieu de la rencontre est en effet symbolique d’une certaine idée de la Russie, puisque Saint-Pétersbourg est à la fois la plus européenne des villes de Russie, mais également une porte de l’Eurasie pour les Européens. C’est également la ville natale de Vladimir Poutine et une ville martyr, mais le faste du Palais de Constantin rappelle son rôle historique de capitale de la Russie.

En venant, Emmanuel Macron a dû tenir un équilibre entre plusieurs obligations dans la conférence de presse ;à l’occasion d’un échange qui a pu être direct et franc, le Président français a rappelé sa ligne de conduite : la nécessité de parler à tout le monde, l'affirmation d'un rejet du néoconservatisme, ce dont témoigne par exemple l’évolution de la position française sur la Syrie, la volonté de ne pas paraître naïf ou peu soucieux des valeurs quant à sa relation avec la Russie. Si le Président français s’est exprimé beaucoup plus longuement que son homologue russe, il a néanmoins pu faire passer ces différents messages dans la conférence de presse.

Cyrille Bret :La visite officielle du président français en Russie ces jours-ci est hautement symbolique : le président nouvellement et triomphalement réélu de Russie recevra le président Français après un an de mandat dans sa propre ville natale, Saint-Pétersbourg, ville martyre de l'invasion allemande de la Deuxième Guerre Mondiale, création de l'empereur Pierre 1er conçue comme une fenêtre de la Russie sur l'Europe et sur l'Occident. A l'occasion du Forum économique de Saint-Pétersbourg, enceinte pour les responsables politiques et économiques patronnée par la présidence russe, il s'agit de marquer au président français la volonté de continuer le dialogue en dépit des divergences profondes et des différends aigus dans les relations bilatérales ainsi que dans les relations UE-Russie. Les enjeux de cette rencontre sont nets : au moment où les Etats-Unis s'engagent dans une vague de sanctions nouvelles envers la Russie, au moment où la président Trump se replie sur ses alliances historiques avec l'Arabie Saoudite et avec Israël en dénonçant l'accord nucléaire de 2015 avec l'Iran, l'UE en général et la France sont les interlocuteurs irremplaçables de la Russie pour continuer à faire vivre l'accord et pour préserver ce qui peut l'être des équilibres sécuritaires sur le continent. Les points d'opposition sont évidents entre les deux présidents : sur l'annexion de la Crimée, sur le rôle de la Russie en Ukraine orientale, sur le soutien au régime de Bachar Al-Assad probablement coupable de crimes de guerre, mais aussi sur les ingérences russes en Europe, les pouvoirs publics français sont constants dans la fermeté malgré le passage de flambeau entre Hollande et Macron. Et, du côté russe, la France apparaît comme trop alignée sur les Etats-Unis en Syrie, trop hostile au régime Al-Assad et trop dure concernant les sanctions. On peut voir ces relations sous deux angles : soit elles sont dégradées donc la rencontre est formelle, soit elles sont à un point bas et il est essentiel de continuer à discuter, sans illusions mais sans découragement non plus.

En quoi la sortie de l'accord iranien par les Etats unis peut-il être perçu comme une opportunité par Moscou d'une rapprochement avec les européens ? La perspective de la Coupe du monde de Football, qui débutera le mois prochain en Russie, est-elle également un élément permettant un tel "rapprochement" ? La rencontre entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine peut-elle être vue en ce sens d'un rapprochement ? 

Florent Parmentier : effectivement, l’attitude de Trump sur l’accord nucléaire iranien, quand il s’additionne à sa dénonciation de l’accord de Paris sur le climat, ainsi qu’à ses menaces sur le multilatéralisme en matière commerciale, sonne pour les Européens comme un désaveux profonds. Même les pays les plus américanophiles ne comprennent pas le dédain dont Donald Trump fait preuve à l’égard de l’Europe et des intérêts européens, d’autant que son désintérêt pour l’OTAN au début de son mandat était également mal perçu.

Dans ce contexte, les Européens ne peuvent se contenter d’une politique de suivisme traditionnel : ils doivent, comme leurs partenaires, trouver de nouveaux partenaires sur des points divers, sans chercher un alignement des positions sur tous les sujets essentiels. Sur l’Iran et la Syrie, des points de convergence peuvent exister, dans la nécessité de ne pas nucléariser l’Iran ou de lutter contre Daech. Maître des horloges, tacticien habile, le Président russe peut se poser comme une puissance responsable et prévisible sur certains sujets où les Européens ne partagent pas la politique de Donald Trump ; le conflit en Ukraine n’avancera pas vers une pacification d’ici les prochaines élections en 2019, mais d’autres choses peuvent se faire.

Reste que les enjeux de la dernière candidature de Vladimir Poutine étaient moins de nature géopolitique qu’économique ; à défaut de mettre fin au régime de sanctions, le Mondial permettra à la Russie d’essayer de changer une image internationale très fortement dégradée en Europe. A titre d’exemple anecdotique, ces dernières années les représentants de la Russie sont systématiquement sifflés lors de concours internationaux comme l’Eurovision ; il est intéressant de noter qu’Emmanuel Macron n’exclue pas de se rendre en Russie si l’équipe de France va loin dans cette compétition, après les quarts de finale. Il se démarque ici de l’Angleterre, dont les dirigeants ont décidé de ne pas s’y rendre suite à l’affaire Skripal.

Cyrille Bret : En ce qui concerne la préservation de l'accord sur le nucléaire iranien, les Européens en général, la France en particulier ainsi que la Russie ont un point de convergence limité mais évident. Toutes les chancelleries européennes oeuvrent à un maintien de l'Iran dans l'accord et la Russie travaille elle aussi au même but. Mais cette oeuvre commune est purement défensive pour le moment. Aucun partenariat permettant de sortir de la situation de méfiance et de la spirale des sanctions et des contre-sanctions n'est en vue.
En ce qui concerne la Coupe du Monde de football, la présidence russe joue gros sur cet événement qui placera la Russie, un mois durant sous les yeux des médias internationaux. Pour sa réussite, la Russie ne peut compter sur ses seules forces. Un attentat, une émeute, des incidents avec des supporters européens ou encore un boycott de la compétition par les plus hautes autorités publiques européennes seraient un coup dur pour l'immense opération de communication que la Russie engage avec cet événement. Bien sûr, le sport ne fait pas la paix : on le voit avec les revers que subisse l'esprit des Jeux Olympiques d'Hiver de Pyeongchang. Mais le sport peut donner l'occasion d'amorcer des gestes d'apaisement. 

Les positions européennes sont elles suffisamment alignées sur la question des relations avec la Russie ? Quelles sont les divergences qui peuvent notamment être constatées entre Paris et Berlin sur ces relations ? Celles-ci peuvent-elles se rapprocher ? 

Florent Parmentier : il y a des sujets sur lesquels les Européens sont extrêmement homogènes, comme le rejet de la peine de mort ou la lutte contre le réchauffement climatique. D’autres sujets font en revanche référence à des préférences distinctes parmi les Etats-membres, comme le conflit israélo-palestinien ou l’appartenance de la Turquie à l’Union européenne. Ces différences sont parfois surmontables, et parfois il est difficile de s’accorder sur des positions satisfaisant le plus grand nombre.

La Russie est clairement un sujet qui divise les Européens, mais une politique commune avait pu être établie à l’occasion du conflit ukrainien, en matière de sanctions. La diversité des opinions passe même parfois au sein d’alliances considérées comme homogènes : au sein du groupe de Visegrad, Pologne et Hongrie sont souvent rapprochées, mais la Hongrie a souvent une politique plus pragmatique que la Pologne, considérant que la Russie ne changera pas sa géographie et qu’il est donc plus naturel de chercher à trouver des accords plutôt que d’installer une hostilité durable à ses frontières. L’Allemagne a, ces dernières années (mandats Sarkozy et Hollande), été souvent plus pragmatiques que les Présidents français prompts à critiquer la Russie, même si Angela Merkel n’a pas hésité à prendre ses distances quand elle pensait que c’était nécessaire, notamment pendant la crise ukrainienne.

La question est donc moins la diversité des opinions de départ que la manière de fabriquer du compromis entre Etats-membres, qui ne soit pas le plus petit dénominateur commun. Les Européens doivent définir une politique mêlant rapports de force, volonté de dialogue et définition de nouvelles perspectives. Sans état final recherché, il est toutefois difficile d’avancer une stratégie cohérente pour les Européens…

Cyrille Bret : Face à la Russie, l'Union européenne présente un visage de moins en moins uni. Si, dans les premiers temps de la crise ukrainienne, un certain consensus s'est dégagé pour adopter et reconduire des sanctions, aujourd'hui les partisans d'un démantèlement partiel ou total des sanctions contre la Russie sont de plus en plus nombreux et déclarés. Aux gouvernements idéologiquement proches de la Russie comme la Hongrie se sont progressivement ajoutés des Etats dont la culture et l'économie sont historiquement liées à la Russie comme la Grèce et Chypre. Facteur aggravant, la nouvelle coalition de gouvernement en Italie achève d'instiller un dissensus en Europe concernant la Russie. C'est largement une illusion : pour que la Russie accepte de composer sur des dossiers aussi délicats que l'Ukraine et la Syrie, seule une UE unie et forte peut se faire entendre et être "intéressante" pour le partenaire économique et le rival stratégique qu'est devenue la Russie.

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