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La France, Start-up Nation ? Pourquoi Emmanuel Macron se trompe dans son objectif comme dans son ambition
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Start-Up Nation

Avant de se rendre au salon VivaTech jeudi, Emmanuel Macron reçoit ce mercredi 23 mai les grands noms de la technologie mondiale à l'Elysée, à l'instar du patron de Facebook, Mark Zuckerberg. L'occasion de leur faire part de son projet de faire de la France une "Start-Up Nation".

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Ce mercredi 23 mai, Emmanuel Macron recevra Mark Zuckerberg, patron de Facebook​, et qui sera, derrière la volonté d'une discussion "franche" sur les questions de confidentialité, l'occasion de reprendre le flambeau de la "start-up nation" souhaitée par le président. Pourtant, derrière ce projet pour la France la réalité de la situation semble bien différente. Avec une moyenne d'âge de la population active qui sera de 40.6 ans en 2022 (INSEE), le fait que seuls 35.1% des 25-64 ans avaient un diplôme du supérieur en 2017, et que l'économie digitale ne représente encore que 3.09% (OCDE 2016) des emplois en France, Emmanuel Macron n'est-il pas en train d'oublier une très large majorité des Français pour le projet qu'il souhaite pour le pays ?

Alexandre Delaigue : On peut être un peu partagé par rapport à cette idée de "start-up nation" et sur la focalisation sur les nouvelles technologies. D'un côté, l'aspect positif est qu'il s'agit d'un discours qui, quoi que l'on puisse penser de sa cohérence, dresse quelque chose qui est orienté vers l'avenir. Plus qu'un propos qui serait orienté vers le regret du passé, une forme d'idéalisation de la société française des années 50-60 avec des secteurs d'activité traditionnels, on est au moins sur une vision de l'avenir, beaucoup plus que sur une volonté de préservation du passé. On ne peut donc pas être totalement négatif sur cette perspective.

Maintenant, est ce que l'on peut réellement envisager une économie qui ressemble à cela ? Beaucoup de facteurs montrent que cela va être extrêmement difficile. Le premier est l’exemple de la start-up nation la plus citée, qui est Israël; dont on peut voir les aspects positifs avec le développement du secteur des technologies etc. Mais à côté de cela, on est malgré tout dans une économie extrêmement inégalitaire dans laquelle le secteur développe bien-sur certaines activités mais a aussi pour effet de ne pas bénéficier au reste de l'économie du pays. Donc on risque d'obtenir quelque chose d'assez inégalitaire, au mieux, avec quelques entreprises très performantes. Ou alors, ce que l'on risque aussi, ce serait de développer quelques petites start-up un peu subventionnées et simplement poussées par un gout pour la modernité, et puis au passage, on renonce à quelque chose qui serait beaucoup plus légitime qui serait de dire que l'évolution de l'économie française va consister à rester globalement comme elle est et que ce dont on a besoin serait de la maintenir en l'état et d'améliorer l'existant en se préoccupant par exemple du défi du vieillissement, ou de l'amélioration de la formation. Nous n'avons pas tant besoin de nouvelles technologies et d'entreprises avec des grandes fortunes qui se font sur des nouvelles technologies plus ou moins fumeuses, mais au contraire de bien faire fonctionner l'existant et d'améliorer son fonctionnement tout en s'appuyant sur des technologies qui en pratique peuvent très bien être inventées ailleurs. On n'a pas forcément besoin d'inventer nous même les technologies, on peut tout à fait les utiliser, bénéficier du fait que d'autres pays vont se développer, et se spécialiser dans l'économie mondiale avec nos propres caractéristiques plutôt que d'essayer de produire des caractéristiques qui ne sont pas celles que l'on peut avoir pour la société et l'économie française.  

La croissance de l'emploi en France, selon les chiffres de la DARES, a bien plus été le fait des secteurs de la santé, de l'aide sociale, culturelle et sportive, (aides-soignants, infirmiers, sages-femmes, ce qui peut refléter les besoins d'une société en état de vieillissement. A l'inverse, les entreprises de la "tech" semblent bien plus disposées à employer les profils les plus jeunes. De façon plus cohérente, et au regard de la réalité démographique du pays, quel serait le projet, ou le discours, le plus cohérent pour la France de 2017 ? Quel décalage avec la start-up nation ? 

Ce que l'on peut noter ici est que les entreprises du secteur technologique, non seulement embauchent plutôt des jeunes qui correspondent peu aux caractéristiques de la société française mais en plus elles recrutent extrêmement peu de personnes. Ce sont des entreprises qui sont très peu intensives en main d'œuvre. On peut citer des entreprises comme Whatsapp par exemple, qui a été cédée à Facebook alors qu'elle avait moins de 100 salariés. On peut voir des entreprises, même les plus grosses, qui avec quelques dizaines de milliers de salariés, si on prend le cas de Facebook, servent plus de 2 milliards de clients au niveau mondial. En d'autres termes, le secteur de la technologie a non seulement tendance à plutôt recruter des profils jeunes mais a aussi tendance à peu recruter. L'alternative que l'on peut avoir c'est un système extrêmement dual comme celui que l'on a chez Amazon ou vous avez quelques employés très bien payés et une masse de gens qui sont employés soit dans des call centers ou dans des entrepôts pour un travail qui est très peu rémunéré et qui assez souvent, même aux Etats-Unis, vivent en dessous du seuil de pauvreté. Une économie extrêmement duale comme celle-ci est quelque chose qui est économiquement et politiquement explosif et qui n'est pas souhaitable par rapport à ce qu'est la société française. Pour l'instant, le fait que les inégalités n'aient pas trop augmenté dans le pays a été quelque chose d'avantageux.

De quoi avons-nous besoin ? Avons-nous véritablement besoin de nouvelles technologies alors qu'une grande partie de nos besoins sont en effet liés au vieillissement, des besoins liés à la santé ? Les secteurs qui vont véritablement être intensifs en main d'œuvre, ce sont ceux qu'une candidate malheureuse, Martine Aubry, avait appelé l'économie du "Care" qui correspond à toute cette activité qui consiste à s'occuper des gens, à trouver des activités pour les séniors, parce que leur taux d'activité va augmenter. Pour quelles activités ? On peut difficilement envisager qu'ils trouvent leur place dans un secteur de la haute technologie. On a toute une série d'emplois de service à inventer, toute un système de redistribution à réinventer pour permettre le développement d'initiatives, et favoriser de nouvelles activités. C'est aussi développer une nouvelle protection sociale autour de ce type de choses. De ce point de vue-là, les débats que l'on rencontre autour du revenu universel, de la garantie d'emploi, sont beaucoup plus propices à l'idée de traiter les questions d'avenir que la focalisation sur une économie de la haute technologie qui ne peut pas assurer l'emploi futur et qui n'a pas vocation à le faire. Ce n'est pas quelque chose de souhaitable sauf si nous voulons aboutir à une économie des 10% et des 90%, avec 10% qui gagnent énormément et les 90% qui n'arrivent pas à s'en sortir. Il faut avant tout se préoccuper de la grande masse de la population, de ses besoins et de ses capacités. Sous cet angle-là, trouver des modèles économiques alternatifs peut être intéressant et beaucoup plus profitable que de se concentrer sur la haute technologie.

Quid des jeunes sans diplômes , qui ne se reconnaissent pas dans ce modèle d'une part, et ceux dont les études ne les dirigent pas vers la création d'entreprise, d'autre part  ? Quels sont les risques pris par Emmanuel Macron en fondant autant d'espoirs sur une part minoritaire de l'emploi et de l'activité du pays ? Les avantages politiques d'un tel discours peuvent-ils permettre de compenser ces risques ? 

Au moins, cela est un discours qui est orienté vers l'avenir. Mais effectivement, au-delà de cela, c'est un peu vide. Autour de toutes ces start-ups qu'est-ce que l'on observe, à quoi ressemble réellement l'univers des start-ups à la française ? Pour l'essentiel, ce sont des entreprises de services qui fournissent, avec un discours d'enrobage technologique, des choses qui existaient depuis très longtemps. Ce ne sont pas des entreprises qui changent des secteurs majeurs. Livrer des repas à domicile avec une application ou servir de chauffeur ne peut pas être clairement jugé comme des activités qui font l'avenir de toute une économie. En effet, cela peut fournir des emplois à une grande quantité de la population peu qualifiée mais est ce qu'offrir cette perspective est quelque chose qui peut être satisfaisant ? Comment se satisfaire d'une économie ou les seuls emplois que l'on propose sont des emplois extrêmement qualifiés d'un côté et de l'autre côté le fait de porter avec un triporteur des repas de grands restaurants à de riches parisiens. Cela paraît extrêmement difficile. D'autant plus que cela fait perdre des capacités que les gens pourraient avoir et que l'on ne va pas exploiter d'une manière efficace de cette manière-là. Au contraire, il faudrait favoriser des initiatives différentes sans se focaliser sur le secteur de la haute technologie. Il y aurait ici tout un discours sur la déréglementation de l'activité, pour permettre beaucoup plus d'expérimentations dans de nouvelles activités. Un tel discours pourrait apparaître aussi comme libéral et modernisateur sans cette espèce de focalisation sur des technologies qui ne peuvent pas assurer l'emploi d'une part et qui, d'autre part, n'ont rien à offrir à une grande partie de la population.

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