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Loi bioéthique : la stratégie d’enfumage du gouvernement pour faire l’économie de débats fondamentaux
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

L'air de rien

Cinq ans après l’adoption de la loi autorisant le mariage pour les couples homosexuels le gouvernement prépare une loi bioéthique ouvrant la possibilité de la PMA. Et progresse lentement...

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Cinq ans après l’adoption de la loi autorisant le mariage pour les couples homosexuels le gouvernement prépare une loi bioéthique ouvrant la possibilité de la PMA (Procréation Médicalement Assistée) pour les couples de femmes désireuses d’avoir des enfants et la GPA (Gestation Pour Autrui) pour les couples d’hommes désireux, eux aussi,  d’avoir des enfants. Jean-François Eliaou, député de La République En Marche (LREM), chargé des questions de bioéthique au sein de l’Office parlementaire de l’évaluation des choix scientifiques et techniques, propose que la future loi soit « une loi cadre » n’entrant « pas trop dans  les détails. « Il faut », dit-il, « une loi  établissant de grands principes complétés par des décrets et des lois d’application » Avant d’ajouter « Si on modifie la loi il faudra le faire d’une main tremblante ».  Comment faut-il comprendre ce projet de faire une loi sans décrets d’application ?

Bertrand Vergely : Tout cela relève de la com. Soyons clair. Quand on dit en substance : « Nous allons faire une loi sur les questions bioéthiques. Mais rassurez vous cette loi sera purement générale et donc totalement sans conséquence sur la réalité concrète » il y a deux possibilités. 1) On ne sait pas ce que l’on dit, expliquer que l’on va faire une loi pour que celle-ci ne soit pas appliquée n’ayant aucun sens.  De ce fait, d’une incompétence rare on est inapte à légiférer et il est urgent que l’on arrête de faire de la politique.  2) On sait très bien ce que l’on fait. On va faire des lois bioéthiques que l’on va appliquer. Mais, pour ne pas affoler l’opinion qui est contre les décisions que l’on compte prendre, on noie ces décisions dans un nuage de brume en expliquant que l’on va demeurer dans la généralité.  Manifestement, c’est la deuxième solution qui a été choisie. 

Les questions bioéthiques qui se posent aujourd’hui concernent 1) la recherche sur l’embryon et les cellules souches afin de les modifier et ainsi d’éviter des maladies rares et très invalidantes, 2) le diagnostic prénatal, 3) l’euthanasie et le suicide assisté, 4) la PMA, la GPA et d’une façon générale la mise en place de la théorie du genre et derrière elle du transgenre, 5) le transhumanisme et la création d’un homme augmenté. Un point commun relie ces cinq questions : impossible de rester neutre, abstrait, général. Si, par exemple, demain, l’euthanasie est légalisée, ce sera pour pratiquer celle-ci et non pour en faire une permission que l’on n’applique pas.  Il ne faut donc pas penser que le gouvernement qui va légaliser la PMA, voulue par Emmanuel Macron lors de sa campagne présidentielle, va se contenter  d’une loi générale. Il va faire une loi très concrète, très pratique. Pour une raison très simple : ne pas être à la traîne de ce qui se passe ailleurs. 

Il y a quelques années, ouvrant le journal télévisé de 20h., Laurence Ferrari a déclaré à propos du mariage homosexuel : « La France est en retard ». Sous-entendu : « Qu’est-ce que la France attend pour le légaliser ? » Il y avait à l’époque une poignée de pays qui l’avait légalisé. Mais, ruse habile, la France était présentée comme l’un des derniers pays à ne pas l’avoir fait. 

Aujourd’hui « ne pas être en retard » est l’argument utilisé pour justifier la PMA et non pus simplement le mariage gay. Ce qui est, là encore,  finement joué. Quand on a une vue primaire de l’existence est appelé Bien ce qui se fait, ce qui est socialement accepté, ce qui est mondialement accepté. Beaucoup de personnes hésitent à propos de la PMA et de la GPA. Quand ils décident de ne plus dire non un argument les motive : c’est accepté. C’est socialement accepté. C’est mondialement accepté. Ah ! disent-ils, si c’et accepté, ça change tout. Le gouvernement le sait. Il en use. Quel est le but d’Emmanuel Maron ? Que la France soit compétitive. Et que, grâce à cela, on puisse dire France is back ! Dans cette course à la compétitivité la PMA est un atout majeur. Imaginez que le mariage gay n’ait pas été voté en France. Des voix se récrieraient pour dire : « Comment ? La France n’a pas légalisé le mariage gay ? Mais, c’est nul ! » La PMA va être légalisée sur ce principe. Pour ne pas paraître en retard au niveau mondial. Des voix s’élèvent contre ? On les calme en leur disant : « Calmez vous. Ça ne va pas se faire. Ou si ça se fait, ça se fera si peu ». Témoin les propos du député LREM Jean-François Eliaou.  

Si, au lieu de rester dans le compromis comme à leur habitude, les députés de La République En Marche (LREM) sont amenés à prendre position au sujet de ces questions bioéthiques, quelles conséquences cela va-t-il avoir  pour le quinquennat d’Emmanuel Macron ? 

     Parmi les députes de la LREM il y en a certainement qui sont opposés à la PMA. Mais ils se feront une raison et finiront par se ranger en suivant la majorité de leur parti qui est pour. Si tous les députés de la LREM étaient contre, il va de soi que cela perturberait quelque peu Emmanuel Macron. Mais, comme tel n’est pas le cas, celui-ci n’a aucune raison de s’inquiéter. En revanche, ce qui est sûr, c’est que les questions sociétales le mettent mal à l’aise. De sorte que, plus elles seront réglées vite, mieux ce sera. Plus en profondeur, ce que redoute Emmanuel Macron, ce que redoute la classe politique, une partie de la société française et le microcosme médiatico-artistico-intellectuel, c’est une Manif Pour Tous bis à l’occasion de la PMA. François Hollande a feint d’ignorer cette Manif. Tout a été fait pour la minimiser. En fait, celle-ci a traumatisé durablement la société française. Comme l’argumentation des pro-Mariage-Pour-Tous prend très vite l’eau dès qu’elle essaie de s’expliquer, il y a une peur des pro-Mariage. D’où leur fébrilité pour que très vite le mariage gay devienne un droit, la PMA et la GPA aussi. Afin qu’on ne puisse plus rien dire, dire quelque chose contre revenant à être contre la loi, contre le Droit, contre l’État de Droit, contre la Démocratie. Emmanuel Macron n’a pas envie de voir ressurgir une nouvelle Manif Pour Tous. Si celle-ci ressurgit avec la même force il sera certainement très embarrassé. 

Les questions bioéthiques clivent la société. Le gouvernement peut-il l’ignorer ? N’est-il pas quelque peu naïf de sa part de penser qu’il sera possible d’éviter les débats de fond en restant au niveau des généralités ? 

Le gouvernement ainsi qu’Emmanuel Macron savent parfaitement que les questions de bioéthique clivent la société. Raison de plus pour les ignorer et éviter les débats de fond. Prenez les cinq questions posées par la bioéthique à savoir : la recherche sur l’embryon, le diagnostic prénatal, l’euthanasie, la PMA et l’homme augmenté. Il n’y en a pas une qui soit réjouissante, pas une que l’on ait envie d’applaudir des deux mains, toutes étant marquées par la violence. Prenez la PMA. Ses défenseurs disent : c’est merveilleux les couples de femmes vont pouvoir être des familles comme les autres. Faux ! L’enfant issu de la PMA n’aura pas de père. Il sera orphelin. On l’aura privé de père à sa naissance. Derrière l’égalité que voit-on ? Mensonge. Violence. On se garde de le dire et de rentrer dans le sujet en analysant les détails, comme le dit le député LREM Jean-François Eliahou. Même chose avec l’euthanasie. Ses défenseurs disent : cela va mettre fin à la souffrance de certaines agonies. Sauf que pour mettre fin à ces agonies on va pratiquer le geste de tuer. Façon la plus violente qui soit de mettre fin à la souffrance. Il faut regarder la réalité en face et oser dire la vérité. Ce qui est en train de se passer n’est pas de l’ordre du progrès mais de la rupture. Jamais deux hommes et deux femmes n’ont pu faire d’enfants. Avec ce qui se met en place cela va être possible. Il s’agit là d’une autre humanité. On se garde de le dire. Google a décidé, sans demander son avis à qui que ce soit, de surveiller le monde entier. Sans que l’on nous demande notre avis on est en train aujourd’hui de nous imposer la théorie du genre en appelant le sexe le genre. Tocqueville prévoyait une dictature douce pour les démocraties. Nous y sommes. France is back ! Mais avec elle The brave new world  is coming. La France est de retour certes, mais le meilleur des mondes arrive. 

Aujourd’hui n’assiste-t-on pas à un recul du politique à propos des questions sociétales, le politique se contentant de satisfaire l’opinion publique afin d’avoir la paix ? 

Les seules politiques intéressantes sont les politiques dans lesquelles on pense et il y a de la pensée. Or, où est la pensée aujourd’hui ? On assiste à une anesthésie de la pensée et, avec elle, à une régression culturelle majeure. Regardez la façon dont les défenseurs de l’homme augmenté s’y prennent pour nous vendre ce dernier. Ils procèdent en trois temps. 1) D’abord, une image choc sous la forme d’une réussite technique spectaculaire permettant un progrès médical. 2) Ensuite, un recours à l’intimidation sur le mode Tu ne vas quand même pas dire non au progrès, enfin 3) quand quelques objections commencent à faire vaciller le recours à cet argument Ais qu’est-ce que tu veux qu’on y fasse ? C’est inéluctable. Le progrès a été inventé pour mettre fin au fatalisme. Nous sommes aujourd’hui progressistes sur un mode fataliste. Le progrès n’est pas ce qui s’oppose à la fatalité. Il est devenu la fatalité à laquelle nous sommes non pas invités mais sommés e nous soumettre. Cela porte un nom : cela s’appelle l’irrationnel. Il y a une raison à cela : la raison qui nous gouverne est inspiré non pas par l’expérience de la présence débouchant sur l’esprit mais par la quête du pouvoir. Nous sommes devenus un monde frileux qui, ayant peur de perdre son confort, s’agenouille devant les pouvoirs qui lui promettront de dormir en paix. Les grèves qui ont cours en témoignent, défendre les avantages acquis étant leur seul but. 

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