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En marche à un rythme d’enfer vers... le délicat dilemme de la phase 2 du quinquennat Macron
©LUDOVIC MARIN / AFP

Casse-tête

Après l’enchaînement de réformes de ce début de quinquennat, la question pourrait être résumée ainsi : se reposer sur ses lauriers ou transformer (vraiment) la France ?

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Atlantico : Le quinquennat d'Emmanuel Macron est mené à un rythme d’enfer et enchaîne les réformes dans tous les domaines, au point que certains élus  En marche estiment que le programme pourrait être terminé en 2 ans. Si c'est le cas, quelles sont les suites possibles? Une phase de redistribution est–elle envisageable?

Philippe Crevel : Tout Président de la République a comme objectif, sa réélection. Or, depuis l’instauration du quinquennat nul n’a réussi la passe de deux. Sur les huit Présidents de la République, seuls trois ont été réélus. Le Général de Gaulle le fut en 1965 mais, à ses yeux, de manière médiocre. François Mitterrand et Jacques Chirac eurent droit à un second mandat mais grâce à la cohabitation. Emmanuel Macron a décidé de réaliser à un train d’enfer ses réformes afin de pouvoir engranger leurs bienfaits éventuels durant la seconde partie de son mandat qui devrait donner lieu à plus de redistribution. Il faut relativiser la notion de train d’enfer car si beaucoup de sujets sont abordés, la prudence est de mise en ce qui concerne les réformes structurelles. La réforme est avant tout dans l’image plus que dans le fond.

Pour en revenir à l’idée d’une fin de séquence en 2019, il faut se remémorer le calendrier électoral. Si de 2017 à 2018, le Président de la République bénéficie d’une période sans élection, il en sera autrement entre 2019 et 2022. Chaque année sera rythmée par une élection, 2019, élections européennes, 2020, élections municipales en 2020, élections départementales et régionales en 2021 et élection présidentielle en 2022. Pour La République en Marche, les élections locales constituent un véritable défi du fait de la faiblisse de ses réseaux locaux. De ce fait, la tentation sera grande de faire des cadeaux électoralistes pour éviter de cuisants échecs. Nicolas Sarkozy comme François Hollande avaient été sanctionnés par les électeurs aux élections intermédiaires, ce qui avait lesté lourdement leurs chances de gagner ou de concourir à la présidentielle.

Il n’en demeure pas moins qu’oser dire que tout aura été réalisé en deux ans est bien présomptueux. Est-ce que les finances publiques seront  assainies ? Est-ce que les impôts auront baissé ? Est-ce que le nombre de fonctionnaires sera-t-il été réduit de 120 000 comme le Président de la République l’avait promis ? Est-ce le système éducatif est réformé ? Si après un an de mandat, beaucoup de dossiers ont été ouverts, il est trop tôt pour affirmer qu’ils fussent bien traités. La réforme des retraites est encore à l’état d’esquisse, celle sur la formation professionnelle peine à prendre corps. Pour la SNCF, beaucoup de bruit pour pas grand-chose. La réforme du statut ne sera réelle que d’ici une vingtaine d’années quand en revanche, le contribuable doit prendre à sa charge la dette de l’entreprise publique.

Erwan Le Noan : L’enthousiasme de ces élus En Marche, si les propos sont vrais, mériterait d’être mesuré. Pendant la campagne, Emmanuel Macron avait publié un livre dont le titre était « Révolution ». A ce stade, il a enchainé des réformes, importantes mais pas toujours profondes ni structurelles ; on est donc très loin d’une révolution. A ce jour, rien de substantiel n’a été fait sur la fiscalité ou la dépense publique. La fonction publique n’est toujours pas réformée. Dans l’Education, on ne voit toujours pas poindre l’autonomie des établissements qui était promise. La réforme des universités n’est pas non plus un bond dans le 21e siècle. Si le projet d’Emmanuel Macron est toujours la refondation du pays, il n’en est même pas aux prémisses ; il devrait donc saisir l’opportunité offerte par une conjoncture économique favorable pour accélérer les réformes économiques.

Le discours favorisant une redistribution se fait de plus en plus entendre, visiblement, au sein de la majorité. C’est une mauvaise idée : pour redistribuer, il faut avoir créé de la richesse ; or, à ce jour, aucun levier structurel n’a été mis en œuvre pour créer durablement une croissance forte. Cela n’interdit pas au Président d’aborder les questions sociales ; mais avant de redistribuer il faut les rendre efficaces.

Les prévisions de croissance ne tablent pas sur une conjoncture plus favorable dans les deux ans à venir, ce qui risque de rendre les résultats des actions engagées décevants… La phase 2 du quinquennat peut-elle conduire le gouvernement à défendre un "faux bilan"? Quels sont les risques dans le contexte des futures échéances électorales?

Erwan Le Noan : Le Gouvernement devrait profiter du contexte économique favorable pour engager des réformes difficiles et libérer le pays de la dépense publique et de la fiscalité. Il n’en fait rien pour le moment. Une fois que la croissance va ralentir et que les échéances électorales vont se rapprocher, il sera toujours plus difficile de réformer ; et toujours plus tentant de faire quelques « cadeaux » à telle ou telle catégorie d’électeurs, comme l’ont fait tous les gouvernements.

Philippe Crevel  : Les faits économiques sont têtus. La France sort exsangue de plus de 30 ans d’errements économiques. François Mitterrand a instillé le virus de la dépense sociale qui représente plus du tiers du PIB. Jacques Chirac, surtout après les grandes grèves de 1995, a géré son temps. Nicolas Sarkozy a fait ce qu’il a pu dans la tourmente économique. François Hollande a, au nom de la synthèse, jamais choisi réellement une ligne économique pour le pays.  Pour redresser la barre, il faut plus que deux ans. La croissance potentielle, celle qui ne dépend pas de facteur extérieur est très faible, autour de 1 %. Elle est la conséquence du vieillissement de la population et du sous-investissement des dernières décennies. Elle est le produit de nos faibles gains de productivité, des 35 heures, de notre désindustrialisation, de notre mauvaise spécialisation économique et de notre médiocre système de formation. On ne réforme par décret. Ce n’est pas parce que des lois sont adoptées que la France se portera mieux. Ce n’est pas en construisant des villages de Potemkine que notre pays renouera avec la croissance et l’emploi. Si le Président de la République joue la monte et se met à avoir le calendrier électoral comme seul objectif, il sera certainement battu en 2022 car le bilan sera un trompe-œil. Dans chaque électeur, il y a un royaliste coupeur de tête. Les Français sont nostalgiques de l’époque des rois. Ils rêvent d’un souverain qui guérisse les écrouelles mais s’il n’a pas les talents escomptés, la peine capitale est exigée. Certes, le Président de la république pourra mettre en avant qu’il a respecté son programme à quelques nuances près. Il pourra indiquer que de toute façon il n’y a pas d’alternative sauf à mettre le pays en danger. Néanmoins, cela pourrait entraîner une volonté de défoulement au sein de la population. Par ailleurs, au regard du déficit, de la dette, du chômage, la France dispose de peu de marges de manœuvre pour contrer une éventuelle nouvelle crise économique à la différence de l’Allemagne ou des Pays-Bas. Or, nul ne peut affirmer que d’ici 2022 il n’y aura pas une nouvelle secousse de forte intensité en Europe ou dans le monde. De ce fait, il est imprudent de se mettre en mode électoral dès 2020 et de jouer la dichotomie du mandat.

Le gouvernement a évoqué des réformes sociétales à partir de 2019, telles que la PMA / GPA et l'euthanasie. Cette stratégie peut-elle s'avérer payante ou au contraire risquée ?

Philippe Crevel  : Dans la seconde partie d’un mandat, l’objectif est de rassembler, de fédérer et non de cliver .Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand,  François Hollande comme Lionel Jospin en tant que Premier Ministre de cohabitation ont passé leurs grandes réformes sociétales durant les deux premières années de leur mandat et non à la fin.

Le socle électoral d’Emmanuel Macron est à la fois urbain et modéré. Il penche légèrement à droite. Certes, les électeurs des grandes villes sont ouverts sur les grands sujets de société mais ceux de droite sont opposés à la GPA et à la PMA. Il n’est pas certain que le Président gagne beaucoup de voix en menant des combats sociétaux mais il risque sans nul doute d’en perdre. A partir de 2019, il est fort à parier qu’il essaiera d’avoir un discours en faveur des territoires, des campagnes des collectivités locales, afin d’améliorer son score et de marginaliser Les Républicains. Son objectif sera de faire prendre conscience à l’électeur que ce sera lui ou le chaos, lui ou les extrêmes comme en Italie. Pour cela, il doit aspirer les voix du bloc central et réaliser quelques prises de guerre. La République en Marche devra engager sans nul doute des alliances locales pour faire bonne figure aux élections et surtout pour constituer un bloc en vue de 2022. Les grandes villes Paris, Lyon et Marseille seront des dossiers capitaux pour l’avenir des marcheurs tout comme les régionales de 2021. Le Président veillera à ce que ses candidats ne soient pas défaits à plate couture et à ne pas se retrouver notamment à Paris avec un maire, comme en 1977, qui pourrait être un concurrent de première importance pour l’élection présidentielle. A Marseille, il pourrait certes opter pour une opération kamikaze en facilitant indirectement l’élection de Jean-Luc Mélenchon ou Marion Maréchal Le Pen en vue de déstabiliser la droite républicaine. Valérie Pécresse et Xavier Bertrand seront courtisés tout en étant ouverts à des alliances. En effet, leur réélection à la tête de leur région nécessitera un accord avec le parti du Président. En Ile de France, la République En Marche est puissante. Dans les Hauts de France, Xavier Bertrand face à Marine Le Pen devra s’appuyer sur une large coalition.

A partir de 2020, la politique risque donc  d’accaparer le Président sous réserve que les évènements internationaux, économiques et sociaux ne se rappellent à son bon souvenir. Nicolas Sarkozy et François Hollande ont dû gérer deux crises durant leur mandat, celle de 2008 pour le premier et la crise des dettes souveraines pour le second.

Erwan Le Noan : Avant de parler de stratégie, on ne peut retirer au Président et son gouvernement d’être, peut-être, très sincères sur ces sujets. Pour autant, ils ne peuvent ignorer qu’ouvrir ces débats aura pour effet de radicaliser une partie de l‘opinion et de réveiller une partie des esprits les plus militants. Si le Gouvernement est cynique, cela ne pourra pas lui faire de tort d’avoir une extrême gauche caricaturée par ses blocages et manifestations ; et une droite qui se ‘radicalise’ sur les questions sociétales. Si ce scénario survient, LREM sera gagnant puisqu’il incarnera le seul parti de gouvernement crédible

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