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Plan handicap : vers une déception à la hauteur de l’ambition affichée par le gouvernement
©ALAIN JOCARD / AFP

Désillusion

Le président de la République avait annoncé, lors de la campagne pour l'élection présidentielle, vouloir faire du handicap la priorité du quinquennat. Un an plus tard, les associations représentant les droits des personnes handicapées considèrent cette politique comme un véritable recul, voire un " affront" , et notamment la proposition de loi du député Philippe Berta, discutée le 17 mai à l'Assemblée nationale.

Jean-Marc Maillet-Contoz

Jean-Marc Maillet-Contoz

Jean-Marc Maillet-Contoz est le créateur du magazine bimestriel spécialisé dans le monde du handicap : HANDIRECT, qui s'accompagne de deux site internet dont un sur l’emploi. Membre du Conseil d’administration de LADAPT et du Mouvement pour une société inclusive.

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Atlantico : Annoncée comme une priorité, la politique du handicap suscite des déceptions, qu'il s'agisse de la revalorisation de l'allocation adulte handicapé (AAH), ou de accessibilité des logements neufs, qui passera de 100% à 10% de ces logements. Quel bilan faites de vous de ces premières mesures ?

Jean-Marc Maillet-Contoz : Les différentes mesures qui ont accompagné la politique d'Emmanuel Macron sur le handicap sont assez ambigües et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elles n'ont pas fait naître de véritable satisfaction chez les personnes handicapées elles-mêmes comme au sein des associations les plus représentatives. La première mesure annoncée comme un symbole était celle de la revalorisation de l'AAH. Elle va augmenter de 50 € en novembre 2018 et de 40 € en novembre 2019. Soit une hausse de 90 € conforme à l’engagement d’Emmanuel Macron.  Sauf que les règles de calcul vont devenir plus défavorables pour les allocataires en couple, et que les deux allocations complémentaires à l’AAH vont fusionner... Résultat : plus de 65 000  bénéficiaires perdront entre 90€  et plus de 179€ par mois. 

L'accessibilité des logements est le thème le plus délicat et le plus polémique de ces 3 dernière années. En effet la loi de 2005 pour l'égalité des chances prévoyait un très ambitieux volet sur l'accessibilité, qui devait aboutir au 1er janvier 2015 à une société « idéale » sur le plan de la chaîne d'accessibilité. Le mépris des politiques, que ce soit aux niveaux des communes, des départements et du national, associé aux lobbyings « anti-loi accessibilité » des grands groupes de la construction, de l'urbanisme, des transports et de l'hôtellerie pour ne citer que cet aspect de l'accessibilité, ont réussi à mettre un coup d'arrêt à l'objectif du 1er janvier 2015. Tous les espoirs  ont été  à nouveau reportés et les obligations  d'accessibilité n'ont cessé de s'assouplir, voire de disparaître. Avec la Loi ELAN nous touchons le fond,  car elle va à l'encontre de loi de 2005 pour l'égalité des chances. Tout cela n'est basé que sur des aspects financiers et sur un regard archaïque du droit des personnes handicapées dans notre société, y compris de la part de ceux qui sont soi-disant les chantres de l'inclusion sociale. Or sans logement adapté  -logement qui est le socle de de la vie sociale et familiale-, comment faire ? Réduire à 10% les nombre de logements adaptés pour les nouvelles constructions, c'est réduire à néant le droit des personnes à mobilité réduite de vivre avec les mêmes chances dans la société. 

Nous dégringolons de plusieurs niveaux dans l'échelle de la dignité, car obtenir l'un de ces 10% de logements adaptés va relever de l'impossible. Il faut qu'au même moment ou le logement est disponible,  une ou plusieurs personnes handicapées en aient le besoin, que ce logement soit dans le périmètre de leur recherche, que leur situation personnelle, familiale et financière soit compatible avec cette offre. Autant dire que cette équation ne va pas se produire souvent. Cette mesure est méprisante pour les personnes handicapées et leurs familles, et humiliante au regard des années de lutte pour obtenir l'égalité des chances promise dans la loi de 2005. 

L'autre mesure du gouvernement très mal vécue concerne le 4ème Plan autisme, dévoilé en avril après 9 mois de concertation avec les associations. Désillusion, écœurement, colère, voilà ce que les associations concernées ont ressenti après l'adoption des mesures qui composent ce 4ème Plan.    

La proposition de loi du député Philippe Berta, discutée le 17 mai à l'Assemblée nationale, répond-elle aux attentes des personnes concernées ?

En partie oui, car elle supprime la barrière d'âge de 75 ans au-delà de laquelle il n'était plus possible, en cas de handicap, d'accéder à la prestation de compensation du handicap. Toutefois cette prestation ne concerne que les personnes handicapées avant l'âge de 60 ans,  alors que les besoins sont les mêmes que pour la population devenue handicapée avec l'âge... On repousse sans cesse le "5ème risque", qui correspond à la prise en charge de cette population vieillissante dont on sait pourtant qu'elle augmentera  considérablement dans les 30 prochaines années.

Enfin, la loi de 2005 avait acté une aide financière pour réduire le "reste à charge" supporté par les personnes handicapées à hauteur de 10 % de leurs revenus., en créant les Fonds Départementaux de Compensation du handicap Cette mesure, inscrite dans le Code de l'Action Sociale et des Familles, via l'article L.145–6, n'a jamais été appliquée, car aucun décret n'as été pris depuis, au grand désespoir de très nombreuses personnes concernées ! .

Au lieu de prendre enfin ce décret, le texte du député Philippe Berta prévoit une simple expérimentation sur 3 départements! C'est un affront fait aux personnes handicapées et aux familles. Nous sommes en 2018, la maturité et les connaissances dans ce domaine sont acquises, l'heure n'est plus aux tests mais à l'action. Derrière tous ces discours  et ces atermoiements, des personnes restent dans la précarité et en souffrent,  et pas uniquement dans 3 départements. De plus, ce timing nous amène aux prochaines élections présidentielles, avec tout ce que cela suggère comme incertitudes.

Le nombre de demandeurs d'emploi en situation de handicap s'élève à 510 000 personnes. Il a augmenté  deux fois plus vite en un an que celui de l'ensemble des chômeurs. Les mesures annoncées dans ce domaine sont-elles en décalage avec la réalité ? 

Les mesures de la réforme du travail « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel » ont en effet un volet handicap qui se déroule en 3 phases, dont la première avec la Réforme OETH (Obligation d'Emploi des Travailleurs Handicapés)  et la contribution des entreprises. A ce jour, le gouvernement n'a publié aucun texte donc il est  difficile de savoir exactement ce qui en ressortira.  Pour l'instant, nous  avons constaté que les réformes annoncées sur l'accord d'entreprise,  l'obligation d'emploi des entreprises de moins de 20 salariés, la suppression des ECAP (emplois exigeant des conditions d'aptitude particulières), la révision du taux de 6%... ont toutes été abandonnées en cours de route.

Ne subsiste que la réforme sur les déductions faites aux entreprises qui font appel au secteur protégé, mais le mode de calcul envisagé n'est pas satisfaisant et il est difficile d'en savoir plus pour l'instant. Une chose est sûre,  le gouvernement ne semble pas à la hauteur de ses ambitions, notamment pour répondre à la situation de crise des chômeurs handicapés. Nous aurons certainement un beau rideau de fumée à la clé pour nous faire croire à une belle avancée sociale.

En matière d'emploi handicapé, quelle est la situation en France, souvent accusée de "mauvaise élève" ?

Je ne pense pas que l'on puisse qualifier la France de mauvaise élève  dans le domaine de l'emploi. N'oublions pas que nous sortons de 10 années de forte crise économique et que l'emploi en général s'est fortement dégradé. Les personnes handicapées ont elles aussi subi de plein fouet la destruction des emplois. On ne peut cependant que constater une situation compliquée  concernant l'accès à l'emploi des personnes handicapées. Si la discrimination à l’embauche est très forte, elle est le résultat d'une société française qui, dans tous les domaines, a systématiquement marginalisé cette population, en ancrant dans l’inconscient collectif l'idée qu'elle n'est pas apte à la vie sociale. Il y donc des générations de préjugés et de stéréotypes à faire disparaître, et cela va nécessiter encore un certain temps. Les politiques en faveur du handicap sont issues des mouvements caritatifs et de familles, qui ont surtout cherché à protéger plus qu'à inclure. La première politique concrète de discrimination positive pour le recrutement  ne date que juillet 1987. Or 30 ans à l’échelle d'une société, ce n'est rien du tout... 30 ans durant lesquels il a fallu faire comprendre  au secteur marchand l'importance et la nécessité de recruter des personnes handicapées sous peine de sanctions financières. Les entreprises se sont très longtemps méfiées de ces mesures même si les aspects solidaires, humains et citoyens étaient évidents. 

Toutefois l'entreprise  recherche d'abord et avant tout de la performance. Coté performance, il y avait un gros problème  de formation et initiale et continue pour la majorité des personnes handicapées. Dans les premières années qui suivirent 1987, beaucoup de personnes handicapées ont été embauchées pour faire bonne figure et placées de manière inamovible sur des postes sans intérêt -ce n'était évidemment pas 100% des cas. En parallèle de ce problème d'accès à l'emploi, il y a le problème tout aussi vaste et crucial de l'accès à cette formation initiale et continue. Jusque dans les années 2000, les personnes handicapées qui arrivaient sur le marché de l’emploi n'y avaient pas eu accès. A cela s'ajoute  l'accessibilité et l’aménagement des postes de travail, ainsi que l'acceptation des équipes. La majorité de managers sont encore très réticents à accueillir une personne handicapées même si le service RH et la mission handicap font pression. Les mesures d'accompagnement vers l'emploi et de maintien dans l'emploi, bien que portées par l' Agefiph et le réseau Cap Emploi, n'ont pas toujours étés très lisibles et comprises. Aujourd'hui la notion d’emploi accompagné est entrée dans la législation française et devrait permettre une totale inclusion dans l'entreprise des personnes handicapées dans l'entreprise. Là encore, même si l'intention est bonne il s'agit d'un dispositif intrusif pour l’entreprise,  qui en outre n'est pas suffisamment dotée financièrement  pour répondre à l'ensemble des besoins et des difficultés de ces personnes qui ont souvent 50 ans et plus.  Néanmoins, pour terminer sur une note positive, je dirai qu'il n'y jamais eu autant de personnes handicapées dans l'emploi et que l'accès à a la formation ne cesse d'évoluer. Dans les chiffres, il faut tenir compte des nouvelles demandes de reconnaissance du statut de travailleur handicapé, qui gonflent le nombre des personnes en recherche d'emploi. Enfin, il faut  reconnaître qu'un certain nombre d'entreprises grandes et petites comme d'administrations sont très performantes en termes de recrutement et de maintien dans l'emploi. L'Agefiph a adopté une nouvelle stratégie en février 2017 qui devrait aussi rapidement porter ses fruits (si l'Etat lui en donne les moyens). Certes les anglo-saxons et certains pays européens sont plus performants, mais cela ne signifie pas que la France est mauvaise élève, c'est tout au plus un élève qui apprend lentement

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