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Ristournes de GL Events à la campagne Macron : le rythme de la justice est-il normal ?
©Flickr

PNF, promptitudes et retard

D'après Médiapart, LREM aurait pu bénéficier de "cadeaux" via des remises de la société GL Events sur ses prestations. Comment interpréter la réaction de la justice sur ce dossier ?

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Atlantico : Comment évaluer la réaction de la justice suite aux révélations faites par Mediapart dans le cadre de l'affaire "GL Events", entreprise qui aurait fait bénéficier Emmanuel Macron d'importantes réductions sur ses tarifs lors de la campagne présidentielle 2017. Au regard des faits révélés, pourrait-on estimer que le Parquet National Financier devrait intervenir ?

Gérald Pandelon : D’abord, les faits. Le groupe « GL Events », spécialisé dans l’organisation d’événements, la gestion d’espaces et les services pour salons, dirigé par M. Bruno Lartigue, ancien conseiller spécial de la déléguée interministérielle à l’intelligence économique, aurait procédé à la location de diverses salles à l’ancien candidat, durant la dernière campagne présidentielle, faisant ainsi bénéficier à Emmanuel Macron, selon Mediapart, de réductions anormalement élevées. En outre, l’ancien directeur des relations institutionnelles de cette même société aurait proposé ses services au mouvement « En Marche ! » lorsque son fondateur briguait l’investiture suprême ; il s’agirait donc, en réalité, d’une stratégie de lobbying visant essentiellement à favoriser la candidature de notre actuel Président ; d’ailleurs, les deux hommes se seraient rencontrés alors même que le chef de l’Etat ne disposait que d’un portefeuille ministériel. Ensuite et au-delà de cette nouvelle polémique dont il faudra attendre ou non quel sera le sort qui lui sera réservé, le cas échéant, par le PNF puis éventuellement un juge pénal, cette information distillée par ce site d’informations témoigne, si besoin était, du niveau important, voire inquiétant car asphyxiant, de l’exigence de transparence dans notre pays. Un niveau de transparence qui, n’en déplaise à M. Edwy Plenel, n’est pas l’apanage de sociétés démocratiques saines mais celui, bien au contraire, des sociétés totalitaires, outre le fait qu’on peut d’ores-et-déjà se poser la question de savoir quelle est l’utilité concrète de révéler ce type d’informations aujourd’hui alors qu’elle est manifestement connue de Mediapart depuis toujours.

Car, au fond, que cache cet impératif systématique et inconditionnel de transparence absolue qui sévit en France tout particulièrement dans tous les domaines de la vie, sinon une haine de la liberté conjugués à une détestation des élites ? Quel en est d’ailleurs l’utilité puisqu’en réalité l’immense majorité du « peuple » se fout royalement de ce type d’affaires qui, dans son quotidien, constituent le cadet de ses soucis ? N’y aurait-il pas une forme larvée de haine pour la haine, une haine de classe, une haine des puissants, une haine de l’autre s’il n’est pas soi ? Qu’en toutes hypothèses, il s’agirait davantage d’un règlement de compte personnel qu’une nouvelle (non) affaire. D’ailleurs, les penseurs politiques de la transparence l’ont toujours appréhendé davantage sur un mode privé que spécifiquement politique. Selon Benjamin Constant (1767-1830), la publicité constitue une protection face au pouvoir de l'État. Dans Principes de Politique applicables à tous les gouvernements représentatifs (1815), Constant affirme que la vigilance de la nation doit s'exercer sur les responsables à tous les échelons.

Dans le cas de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) qui, lui, fait explicitement référence à la transparence, il s'agit avant tout d'une question d'ordre personnel, voire intime, qui éclaire notamment l'ambition poursuivie par l'auteur des Confessions (1770). Pour Rousseau, « la transparence est la vertu des belles âmes ». Dans Considérations sur le Gouvernement de Pologne (1771), Rousseau s'inspire de ce principe en préconisant que la vie citoyenne se déroule « sous les yeux du public ». C'est d'ailleurs cette idée qui explique la préférence de Rousseau pour les petits États à l'échelle desquels il est plus aisé d'appliquer un tel principe. Que les auteurs d’une telle information, loin de vouloir communiquer, auraient uniquement à l’esprit de se venger, de régler des comptes, et à rebours de leurs discours habituels et répétitifs prônant la tolérance, seraient les parangons de l’intolérance absolue ? Car une chose est d’informer, autre chose est de se venger il n’aura échappé à personne qu’il y a un léger contentieux entre M. Macron et M. Plenel), sous couvert d’information.  

Hervé Lehman : Une chose est sûre, le parquet national financier est moins réactif que pour l'affaire Fillon, dans laquelle il avait ouvert une enquête le jour même de la parution de l'article du Canard enchaîné. Les révélations de Mediapart datent du 27 avril... Il est vrai que le parquet national financier ne s'est saisi ni de l'affaire Business France, ni de l'affaire des assistants parlementaires du Modem, ni de de l'affaire Ferrand. 

Cela pose évidemment une question: comment  fonctionne le parquet national financier? Créé pour lutter contre "la grande délinquance financière", compétent pour les affaires "d'une grande complexité ", ce que n'était pas l'affaire de l'emploi de Pénélope Fillon, il se saisit en réalité selon des critères mystérieux dont l'absence de lisibilité est malsaine pour la démocratie.  Rappelons que le candidat Macron était pour l'indépendance du parquet et que le président Macron est contre. 

Si les faits étaient confirmés, quelles seraient les suites à prévoir dans le cadre d'un fonctionnement normal de la justice ? 

Gérald Pandelon : Si une enquête préliminaire devait être ouverte, il faudra démontrer au regard des textes en quoi les faits, s'ils sont matériellement exacts, sont susceptibles de recevoir une qualification pénale. Il est vrai que la transparence en politique a élevé son niveau d'exigence à un point très important depuis quelques années, à telle enseigne qu'à ce rythme, puisque, comme dans bien des domaines, plus rien ne semble permis dans notre beau pays, il est possible de se poser la question, à terme, de la pérennité du politique puisque la fonction deviendra de plus en plus risqué sur un plan judiciaire. En effet, la situation a évolué progressivement à la suite notamment des rapports de la commission présidée par M. Jean-Marc Sauvé sur la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique (2011), puis de la commission présidée par M. Lionel Jospin pour la rénovation et la déontologie de la vie publique (2012) qui ont souligné les limites du droit français en matière de transparence. Les lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique (une loi organique et une loi ordinaire) ont ainsi pour objectif de compléter les obligations de transparence auxquelles sont soumis les responsables politiques, d'en confier le contrôle à une autorité indépendante, disposant de pouvoirs effectifs, et de renforcer les sanctions encourues.

C'est ainsi qu'a vu le jour une Haute autorité de la transparence de la vie publique, autorité administrative indépendante ayant vocation à remplacer la commission pour la transparence financière de la vie politique instituée en 1988. La loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique s'est également attachée à renforcer la transparence des procédures de décisions publiques et à réprimer plus rapidement et sévèrement la corruption dans la vie économique. Enfin, la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique complète les dispositions existantes, notamment sur :

- la situation patrimoniale du Président de la République (la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique peut publier un avis sur l'évolution de son patrimoine entre le début du mandat et la fin des fonctions présidentielles) ;

- l'exercice du mandat parlementaire : de nouvelles obligations sont prévues en matière de prévention et de cessation des conflits d'intérêts et de cumul de fonctions, notamment s'agissant de l'activité de conseil ; les parlementaires doivent en outre justifier, dès leur entrée en fonction, avoir respecté leurs obligations fiscales ; les frais de mandat des parlementaires sont désormais remboursés sur présentation de justificatifs ; la pratique de la « réserve parlementaire » est supprimée ;

- les conditions d'embauche et de nomination des collaborateurs du Président de la République, des membres du Gouvernement, des parlementaires et des titulaires de fonctions exécutives locales : il est désormais interdit pour ces derniers d'employer des membres de leur famille proche. 

- Autrement dit, au nom d'une transparence qui se donne pour justification un toilettage éthique du politique, ne verse-t-on pas progressivement vers un excès contraire, celui d'une impossibilité concrète de pouvoir exercer sereinement un mandat, autrement dit la fin du politique ?

Hervé Lehman : Si une infraction pouvait être reprochée à  Emmanuel Macron, comme d'ailleurs dans l'affaire Business France, il bénéficierait de l'immunité présidentielle jusqu'a la fin de son mandat, ou de ses mandats. Cette immunité ne bénéficierait pas à d'autres éventuels mis en cause. 

Il est cocasse que les révélations de Mediapart interviennent quelques jours après l'interview accordée à  Edwy Plenel. Cela fait penser au discours au Congrès de Versailles, lorsqu'Emmanuel Macron avait demandé, avec une certaine naïveté, qu'après le vote de la loi de moralisation la chasse aux scandales s'arrête. Avec la sacralisation des lanceurs d'alerte et de la transparence, il y a peu de chance que l'on sorte de l'ère du "balancequituveux".

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