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Ces morts dûs à la salmonelle : faut-il avoir peur du fromage cru ?
©GERARD JULIEN / AFP

Dilemme identitaire

Selon une enquête menée par Radio France, une dizaine de personnes seraient décédées (sur 80 cas au total), entre 2015 et 2016, à la suite de la consommation de fromages au lait cru fabriqués en Franche Comté (Morbier, et Mont D'or), et contaminés à la Salmonella Dublin.

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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Atlantico : Selon une enquête menée par Radio France, une dizaine de personnes seraient décédées (sur 80 cas au total), entre 2015 et 2016, à la suite de la consommation de fromages au lait cru fabriqués en Franche Comté (Morbier, et Mont D'or), et contaminés à la Salmonella Dublin. Quels sont les risques présentés par le fromage au lait cru ? 

Bruno Parmentier : Malgré tous nos efforts, manger reste une activité à (faible) risque ! Nous sommes heureusement très loin de la situation des années 50, où on estimait qu’il y avait autour de 15 000 décès par intoxication alimentaire et par an en France ; actuellement on estime que ces pathologies tuent encore entre 220 et 250 personnes par an, dont un tiers à cause des salmonelles, un autre tiers des Listeria, le dernier tiers se répartissant entre eux Campylobacter et Norovirus. Même si c’est une infime part des 600 000 cas de décès annuels de notre pays, cela reste scandaleux et doit absolument être diminué ; pour ce faire, il importe de tirer les meilleures leçons de chacun des accidents qui se produisent, et de prendre des mesures chaque fois plus efficaces.

Or en France, bien que nous soyons particulièrement sourcilleux sur le sujet de la sécurité alimentaire, nous avons nos contradictions, et en particulier nous continuons à apprécier et défendre bec et ongles nos fromages au lait cru, fleurons de notre gastronomie. Ils représentent environ 10 % de notre énorme consommation de fromage ; qui imaginerait qu’on puisse bien vivre chez nous sans manger de temps en temps du Morbier ou du Mont d’or (qui étaient en cause dans ce cas précis), ou du Comté, Reblochon, Beaufort, Brie, Camembert, Picodon, Roquefort ou autre Crottin de Chavignol ? Nous sommes même furieux contre les nord-américains qui interdisent formellement toute importation de ces produits sur leur territoire, en les jugeant dangereux (nous leur rendons la pareille en refusant l’importation de viande de poulet trempée dans l’eau de javel, qui pourtant sécurise beaucoup le consommateur d’outre-Atlantique !).

Notons toutefois que la grande majorité des gynécologues déconseille formellement à la femme enceinte ces petits plaisirs gastronomiques… les gérontologues devraient évidemment faire la même chose, mais comment empêcher une personne âgée de continuer à manger ce qui lui a fait plaisir depuis 70 ans, surtout lorsqu’il s’agit de produits typiques locaux. Et c’est bien ce qui s’est passé en 2015-2016 lorsqu’une dizaine de personnes, majoritairement âgées et en mauvaise santé, mais gros consommateurs de Morbier et de Mont d’or, en sont malheureusement décédées !

Le fait de fabriquer du fromage avec du lait qu’on n’a pas fait préalablement bouillir permet de garder une flore bactérienne qui produit lors de l’affinage toute une palette d’arômes et de saveurs exquises, mais présente l’inconvénient de conserver intactes, effet collatéral, quelques salmonelles indésirables… En général, ces salmonelles sont détruites par l’acidité de l’estomac, mais ce processus peut malheureusement être enrayé chez les personnes dont les défenses immunitaires sont moins efficaces, comme les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées.

Notons toutefois qu’on enregistre également des incidents avec des produits à base de lait chauffé ou thermisé, lorsqu’il est mis en contact avec une contamination externe ; c’est exactement ce qui s’est passé dans la tour N°2 de séchage de lait maternisé de Lactalis-Craon !

Peut-on, en l'espèce, considérer que des dysfonctionnements ont pu avoir lieu, notamment dans l'information du public ? 

Sauf développement ultérieur à partir d’informations nouvelles, on ne peut pas dire cela aujourd’hui. C’est toujours très compliqué, et donc long, de faire des recoupements lorsque des gens sont hospitalisés pour cerner des causes communes à leur maladie. Dans ce cas en l’occurrence, une fois que les autorités ont compris que le Morbier et le Mont d’Or avaient probablement été tous deux porteurs de l’agent pathogène, ils n’ont pas pu trouver un seul morceau de fromage à faire retirer du circuit commercial car, compte tenu des dates limite de consommation très courtes sur ce type de produit (entre 30 et 50 jours), tous les lots réputés contaminés avaient déjà été mangés et les fromages qui étaient en rayon se sont révélés sains…

Il était alors logique de redoubler de prudence et de multiplier les contrôles pour que cela ne se reproduise pas. Et c’est visiblement ce qui a été fait, en particulier par les entreprises concernées qui ont vite compris qu’elles jouaient là leur survie. Les contrôles sur les fromages avant leur mise sur le marché ont été multipliés par 5 et les contrôles sur le lait avant d’arriver à la fromagerie par 2. De plus ils ont individualisé les contrôles sur le lait, producteur par producteur (auparavant on contrôlait le camion qui avait collecté le lait chez plusieurs producteurs, ce qui prenait du temps lorsqu’il y avait un prélèvement suspect pour en refaire chez chaque producteur). Et enfin ils ont décidé que toute vache ayant produit une seule fois du lait contaminé serait immédiatement abattue, ce qui n’était pas une pratique systématique auparavant.

Il me semble qu’en l’occurrence, on a nettement progressé grâce à cet incident. Ressortir cette affaire trois ans après comme un scoop montrant l’irresponsabilité de je ne sais qui (le producteur, le fromager, le distributeur, l’organisme de contrôle, l’État ?) ne me semble pas absolument indispensable…

Doit-on considérer que la consommation de fromages au lait cru suppose une prise de risque ? 

Manger comportera toujours une part de risque, à nous de nous organiser pour la diminuer au maximum… cela suppose une organisation sans faille, une volonté de fer, une mobilisation de tous et la répression de ce qui trichent.

Mais on a toujours l’impression que le risque provient des autres, et en particulier de l’irresponsabilité et la culpabilité des grandes multinationales. Pourtant, dans la très grande majorité des cas, il s’agit d’un choix personnel. 

Oui, redisons-le, les enfants, les femmes enceintes, les gens qui sont malades et les personnes âgées affaiblies ne devraient pas manger de fromage au lait cru. Ils ou elles risquent des diarrhées, douleurs abdominales, nausées, vomissements, fièvres allant jusqu’à la fièvre typhoïde ou paratyphoïde et diverses complications touchant d’autres organes. Faut-il pour cela les interdire dans notre pays comme d’autres l’ont fait ? Bien sûr que non !

Car, si on le faisait, il faudrait continuer sur la lancée, ne faudrait-il pas alors interdire formellement la consommation de champignons qu’on cueille soi-même dans la campagne, alors que chacun sait qu’on peut tomber gravement malade, voire mourir, à cause d’une simple erreur de jugement ? (30 g d’amanite phalloïde, un champignon au goût agréable qui ressemble à beaucoup de champignons comestibles, suffisent pour mourir !). Les 1 000 graves intoxications annuelles enregistrées dans notre pays sont quand même fort préoccupantes…

Et l’alcool, qui continue à faire 49 000 morts par an, ne devrait-on pas en interdire la production, la vente et la consommation ? Et que dire du tabac, qui, lui, tue 79 000 personnes chaque année ?

Allons jusqu’au bout, comment protéger les Français et leurs familles lorsqu’ils gardent beaucoup trop longtemps des produits sensibles et non emballés dans leur réfrigérateur et s’auto intoxiquent eux-mêmes, ce qui reste et de loin la principale cause d’intoxication alimentaire dans notre pays ?

L’enjeu est d’abord culturel et va bien au-delà des simples problèmes de santé publique : les crises sanitaires, derrière leur apparente irrationalité, permettent de mieux saisir la façon dont le peuple perçoit les autorités, que l’on pourrait résumer par les affirmations suivantes : les incertitudes ne sont pas assez prises en compte dans nos systèmes de décision ; les pouvoirs publics ne réagissent que lorsque le risque est avéré ; les enjeux économiques sont plus importants que les enjeux sanitaires ; les prises de décisions ne sont pas transparentes ; les réglementations ne sont pas fiables, il y a beaucoup d’entorses et de fraudes ; l’évolution du système agroalimentaire est inquiétante ; les pouvoirs publics et l’administration ne contrôlent rien et abandonnent le pouvoir aux multinationales, etc. On est là bien loin du pauvre Morbier !

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