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Macron face aux évêques de France : entre spirituel et identitaire, le président saura-t-il transcender la contradiction entre l’aspiration à la spiritualité et celle à l’identité ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Ambiguïté à lever

Cette ambiguïté sur le rôle que l’on souhaite reconnaître au christianisme en France aujourd’hui pèse sur le président mais aussi sur l’Eglise et les catholiques eux-mêmes. Peut-être sera-t-elle éclairée par le discours qu’Emmanuel Macron doit prononcer ce lundi soir au Collège des Bernardins

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Julien Leclercq

Julien Leclercq

Julien Leclercq vient de publier « Catholique débutant » aux éditions Tallandier. Il dirige également la revue numérique http://lenouveaucenacle.fr

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Atlantico : Aujourd’hui lundi, à l’invitation des évêques de France, Emmanuel Macron sera reçu aux Bernardins. Quand il s’agit du catholicisme, le Président est dans une position difficile. Selon Michael Darnton, son discours devrait mettre en avant l’importance du spirituel tout en insistant sur l’identité chrétienne. Cela reflète-t-il les enjeux du catholicisme contemporain ?

Julien Leclercq : Tout à fait, et je pense que l’intuition d’Emmanuel Macron est juste. Elle témoigne d’une grande sagesse. La négation du fait religieux et la mise à l’écart du sacré n’ont aucun sens dans l’action politique. Il ne devrait pas y avoir une fracture entre d’un côté le politique garant d’un certain laïcisme et de l’autre les croyants aux revendications toujours plus grandes. Je pense aussi qu’Emmanuel Macron panse les plaies ouvertes sous le quinquennat de François Hollande, un président qui a tout simplement ignoré voire méprisé les Chrétiens français en ne les écoutant pas lors de la Manif pour tous notamment. La flamme du catholicisme contemporain doit être ravivée sur le plan « spirituel », avec un retour à la foi et une meilleure transmission du trésor des évangiles. L’identité, au sens où l’entend le pape Jean-Paul II, est incontournable. Dans Mémoire et identité, il rappelle combien le patriotisme est un devoir et que la spiritualité chrétienne est un des fondements essentiels de l’Europe. 

Je suis en revanche gêné par l’utilisation « politicienne » du terme d’identité. Sur le fond, cela n’a rien de choquant, mais le terme a été galvaudé pour ne pas dire vidé de sa substance. L’expression a été employée à des fins électorales et pour des raisons qui – me semble-t-il – ne sont pas fidèles au message du Christ. On ne peut brandir l’étendard du christianisme pour exclure celui qui est différent. C’est pourquoi je préfère évoquer « l’âme chrétienne de la France » afin de mettre en valeur notre héritage chrétien dans toute sa splendeur, qui doit nous inspirer plutôt que nous inviter à nous retrancher derrière nos barricades. Nous pouvons tout à fait nous affirmer chrétiens pour éventuellement accueillir notre prochain. Le fanatisme islamique profite pleinement de ce vide spirituel.

Bertrand Vergely. Pour comprendre cette visite d’Emmanuel Macron aux Bernardins à l‘invitation de l’assemblée des évêques catholiques de France, il importe  de se remettre dans le contexte psychologique et politique qui règne aujourd’hui. Du fait du terrorisme et des attentats terroristes il est sans cesse question de l’islam. Du fait d’un certain nombre d’exactions antisémites ainsi que du crime récent qui a eu lieu, sans compter la mémoire de la Shoah, il est sans cesse question du judaïsme. Légitimement, les évêques catholiques tiennent à rappeler que, s’ils respectent l’islam et le judaïsme, le catholicisme existe aussi. En outre, le fait qu’ils invitent Emmanuel Macron n’est pas anodin. En le recevant, les évêques tiennent incontestablement à signifier qu’ils soutiennent la République et son effort pour mettre en place une laïcité permettant une coexistence pacifique entre toutes les grandes religions. Face à l’extrémisme musulman qui rejette la République et ses lois, ils font preuve d’une laïcité active. Il y a quelques années de cela, sous la présidence de Jacques Chirac, ce dernier avait été reçu à Strasbourg par un imam déclarant «  Vous êtes ici chez nous ». Cet imam, voyait sa mosquée comme un État dans l’État. Beaucoup de musulmans en France, malheureusement, ne se sentent pas Français. Les évêques catholiques se sentent français et tiennent à le rappeler. S’agissant du spirituel et de l’identitaire je ne crois pas que cela soit la façon dont les choses se présentent pour le catholicisme. Pour l’immense majorité des catholiques aujourd’hui ce qui prime c’est l’amour, la fraternité, le partage, l’ouverture à l’autre, l’ouverture au monde, l’accueil de l’étranger, du migrant, le souci des pauvres, des faibles, de ceux qui souffrent, le prochain. Thèmes archi-rebattus dans les sermons et les discours tant du pape, des évêques, des prêtres que des militants associatifs. De ce fait, cela relativise le spirituel ou bien encore l’identitaire. La quête spirituelle existe, mais elle est jugée trop abstraite, trop élitiste, pas assez morale, pas assez humaine aux yeux de nombreux croyants qui attendent de l’Église qu’elle s’engage socialement. L’identitaire existe, mais il est trop marginal, trop connoté conservateur voire ultra-conservateur, par ces mêmes croyants qui attendent de l’Église qu’elle ne soit pas « tradi » mais de son temps.

En ce sens, qu’est-ce qui caractérise le catholique aujourd’hui ? Principalement, le désir d’être bien dans sa peau, bien dans son époque, bien dans sa religion grâce à une religion ouverte. Il y toutefois, des moments où le spirituel identitaire et l’identitaire spirituel surgit. Quand le fanatisme laïc   s’en prend aux crèches, au port d’une croix, à une croix placée sur une statue de Jean-Paul II sur un parking en Bretagne  ou bien encore au projet de débaptiser les vacances de Pâques et de Noël ainsi que le weekend de Pentecôte. Là, soudain, les choses se crispent. Même chose quand il est question des valeurs ou bien de la famille. Le relativisme et l’individualisme ne passent pas. L’enfant sans père ou sans mère pour satisfaire le désir d’enfant de couples de même sexe ne passe pas non plus. D’où le problème du catholicisme aujourd’hui. Celui-ci a beau faire des efforts pour aller vers la modernité, celle-ci ne faisant aucun effort pour aller vers lui, les catholiques se retrouvent en porte-à-faux Pour l’heure, ils vivent en étant dans une patience liée à l’espérance. Ils se disent qu’un jour viendra où les choses changeront. Du fait de l‘inspiration divine. Bien évidemment Emmanuel Macron n’évoquera pas ces questions sensibles. Normalement il devrait s’en tirer en expliquant qu’il respecte tous les courants de pensée dont celui des croyants. Il devrait souligner également la richesse de la tradition chrétienne sur un plan culturel en montrant, comment, avec d’autres traditions, elle a nourri la France.

La formule « en même temps » (en même temps nécessité spirituelle et identité catholique) si chère à Emmanuel Macron peut-elle fonctionner dans ce cas-là ? 

Bertrand Vergely. Emmanuel Macron a-t-il comme projet de faire cohabiter le spirituel et l’identitaire ? Pragmatique, ces objectifs sont trop loin de lui et de sa culture. En revanche, en habile politique il va sans aucun doute manier la distance avec le religieux et les enjeux idéologiques liés à celui-ci en ne rentrant pas dans la discussion à propos des valeurs et de la morale tout en expliquant qu’il respecte le christianisme en général et les catholiques en particulier au nom du patrimoine historique ou de la richesse culturelle. L’exercice du « en même temps » serait impossible si Emmanuel Macron poursuivait un projet délibérément identitaire ou bien encore délibérément spirituel. Or, celui-ci n’ayant aucun de ces objectifs comme projets manier le « en même temps » n’est nullement difficile.

JL : Sur le plan politique, Emmanuel Macron peut tout à fait reconnaître l’inspiration catholique de la France. C’est de toute façon une donnée historique et philosophique incontournable, et l’ancien élève de Paul Ricoeur (philosophe qui a fait dialoguer à merveille la foi et le raison) ne peut que l’admettre. Le « Et en même temps » m’inquiète en revanche sur un tout autre point : la PMA pour tous et sans doute la GPA ensuite. Je crains qu’Emmanuel Macron ne se rende aux Bernardins pour cajoler les catholiques pour, « et en même temps », accélérer la destruction du modèle familial. Il y a un jeu d’équilibriste. Il peut donc tout à fait transcender les deux approches en reconnaissant cette nécessité spirituelle tout en rendant hommage à l’âme chrétienne de notre pays, mais je redoute les effets de manches et autres pantomimes pour masquer une série de lois sociétales qui ne manqueront pas de braquer les Chrétiens. 

Dans la société française, à leur échelle, comment les catholiques peuvent-ils concilier l’ancrage dans une tradition millénaire, intellectuellement omniprésente et la nécessité d’une revitalisation spirituelle dans un pays de plus en plus athée ?

JL : La tradition chrétienne est incontournable. La France s’est édifiée autour de ses églises. Il s’agit non seulement d’une donnée historique, mais aussi d’un héritage qui nous oblige. La pratique religieuse s’est certes effondrée durant ces trente dernières années, mais l’Eglise a connu bien pire dans l’Histoire … Benoît XVI présente le catholicisme comme une contre-culture, et a notamment déclaré en 2009 : « Ce sont les minorités créatives qui déterminent l’avenir ». N’oublions pas qu’il y a 2000 ans, ils n’étaient que douze ! Catholique, je ne peux pas me réjouir de l’athéisme comme du relativisme ambiant. Mais je vois cela comme un appel vibrant à l’engagement et au témoignage. L’ancrage dans cette tradition millénaire est justement une façon de garder l’espérance : il y a eu tant de héros catholiques, tant de saints, tant de croyants qui ont traversé des épreuves bien plus périlleuses que nous devons leur rester fidèles !

Bertrand Vergely. Je crois que la question de la tradition millénaire n’est pas une préoccupation du catholicisme. Même si les catholiques sont attachés à la présence de l’église dans le paysage et dans l’histoire. Je crois en revanche que l’église comme facteur d’éducation et de morale dans la société d’aujourd’hui est une préoccupation pour eux. Je pense donc qu’allier le sens de la tradition avec l’engagement spirituel dans la modernité n’est pas un problème pour eux parce qu’ils ne se posent pas la question de leur rôle ainsi. Il y a, dans cette galaxie qu’est le catholicisme, de nombreux groupes, de nombreuses associations, de nombreuses communautés qui se consacrent à l’engagement chrétien dans le monde d’aujourd’hui ainsi qu’à l’évangélisation. Dans ces mouvements, le mot tradition est remplacé par celui d’Évangile et la spiritualisation avec le monde d’aujourd’hui par le mot Homme. Mettez ensemble l’Évangile et l’Homme. Vous faites le lien entre tradition et modernité. Ce qui néanmoins ne résout que très provisoirement les choses. Que la question des crèches, du port de la croix, d’un édifice religieux, des noms de Noël et de Pâques vienne à se poser. Que l’idéologie officielle se mette à aller dans le sens du relativisme ou d’un bouleversement total des données de la famille voire bientôt de l’homme avec l’apparition du transhumanisme et des robots humanisés, le ton change. Sur un mode qui n’est ni « tradi » ni directement spirituel, on assiste à une réaction forte. Emmanuel Macron le sait. C’est la raison pour laquelle il va aller voir les évêques catholiques de France en maniant diplomatiquement la discrétion à l’égard des sujets importants et une considération à la fois conséquente et de bon ton à l’égard du catholicisme. Dira-t-il que celui-ci a forgé la France ? Si tel est le cas, ce sera un changement notoire par rapport à l’ère Chirac-Jospin où la France avait refusé que l’on inscrive dans la Constitution Européenne qu’elle a des racines chrétiennes.

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