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Le harcèlement sexuel supprimé
du Code pénal, un vide juridique honteux mais logique
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Pas touche !

Le Conseil constitutionnel a estimé que le harcèlement sexuel doit être retiré du code pénal. Il avait été saisi par un homme s’estimant injustement condamné et une association de défense des droits des femmes, qui considérait que sa définition est trop floue. Son abrogation immédiate a créé la polémique dans le monde politique et associatif.

Eric Morain et Isabelle Alonso

Eric Morain et Isabelle Alonso

Eric Morain est avocat au barreau de Paris.

Isabelle Alonso est écrivaine et chroniqueuse. Elle est une des fondatrices et fut la présidente (jusqu’en 2003) de l’association féministe Les Chiennes de garde.

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Atlantico : Un homme condamné pour harcèlement sexuel pour ce qu'il considère comme "une drague un peu lourde" a demandé l'abrogation de la notion de "harcèlement sexuel" dans le code pénal, du fait de son imprécision. Le législateur lui a donné raison, avec application immédiate, créant un vide juridique. Comment expliquer ce vide, dénoncé par les associations de défense des droits des femmes ?

Eric Morain : Quand il a déclaré inconstitutionnel le régime de gardes à vue pour les délits et les crimes de droit commun en juillet 2010, le Conseil constitutionnel a donné au législateur un délai pour réécrire la loi et ainsi éviter tout vide juridique. On remarque que lorsque le Conseil donne un délai, c'est qu'il met à mal les dispositions légales particulièrement ancrées dans le système juridique, dont l'abrogation aurait de fortes implications. C'est plus une incitation à une réforme qu'une abrogation pure et simple. C'est pas quelque chose qui peut se faire du jour au lendemain.

Dans ce cas, l'abrogation de cette infraction ne met pas en péril tout le système pénal français. C'est un appel au législateur à plus de rigueur. Ce n'est pas si périlleux qu'il faudrait mettre un délai. De toute façon, il ne fait aucun doute que le nouveau parlement qui sera élu en juin se saisira de cette question pour voter le plus rapidement possible un nouveau texte. 

Le Conseil a estimé qu'une abrogation différée aurait été contraire au principe de non rétroactivité de la loi pénale. Comment cela s'explique-t-il ?

Dans le cas de la garde à vue, il s'agissait de l'abrogation d'un système en vue de la mise en place d'une meilleure protection. Là, s'il y avait eu une abrogation différée, vous auriez la possibilité qu'un certain nombre de personnes dans les mois qui viennent soient poursuivies et condamnées sur la base de cet article qui aurait été abrogé un peu plus tard. Il y aurait donc une atteinte aux libertés. Voila pourquoi le Conseil n'a pas fixé de délai : cela aurait été une discrimination et une atteinte au principe de la non-retoractivité de la loi pénale, qui est un principe constitutionnel sauf dans le cas de la mise en place d'une loi plus douce.

Que vont devenir les procédures en cours ?

A la publication de la décision, cette disposition pénale ne peut plus être appliquée par aucune juridiction. S'il y a des poursuites en cours, elles seront abandonnées par le parquet, ou requalifiées d'une autre manière. S'il y a eu des condamnations définitives, elles sont acquises, puisqu'elles ont été décidées sous l'empire d'une disposition qui était valable. Enfin, s'il y a des procédures en cours de jugement, ni un tribunal ni une cour d'appel ne pourra prononcer une quelconque condamnation sur la base de cette disposition pénale aujourd'hui abrogée.

A force d'ouvrir le champ du harcèlement sexuel, le législateur avait-il nui au combat contre ces violences ?

La définition de ce délit, qui lors de son introduction dans le code pénal en 1992 répondait à un véritable besoin lié à de biens tristes réalités, a toujours été considérée comme imprécise, vague et trop large. L'interprétation qui en a été faite par les juges l'a démontré, tout comme le nombre considérable de plaintes classées sans suite par le parquet.

Ainsi, certaines de ces violences pouvaient être qualifiées d'atteintes voire d'agressions sexuelles et il y avait donc une sorte de requalification a minima au travers de ce délit de harcèlement, ce qui est une aberration. Par ailleurs les parquets peinaient à qualifier certains faits compte tenu de l'impression de la loi, ce qui entraînait une absence de poursuite et donc un mauvais signal pour les victimes de ces faits.

L’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), intervenante dans la procédure, demandait également l’abrogation du texte, mais avec une vision opposée à celle de l'élu. Pourquoi s'est-elle jointe à son combat ?

Pour les mêmes raisons, à savoir l’imprécision et le manque de clarté du texte actuel. Mais cette association souhaite dans le même temps que cette décision du Conseil constitutionnel ouvre la porte à un nouveau texte. Leur but n'est en aucun cas de supprimer définitivement la notion de harcèlement sexuel, qui doit pouvoir figurer dans notre code pénal aux cotés des autres types de harcèlement, comme le harcèlement moral ou le harcèlement téléphonique.

Atlantico a aussi interrogé Isabelle Alonso, écrivaine et chroniqueuse. Elle est une des fondatrices et fut la présidente (jusqu’en 2003) de l’association féministe Les Chiennes de garde.

Atlantico : Un homme s’estimant injustement condamné pour harcèlement sexuel et une association de défense des droits des femmes ont demandé son abrogation dans le code pénal, du fait de son imprécision. Le Conseil constitutionnel leur a donné raison, en décidant l'abrogation immédiate de la loi sur le harcèlement sexuel, créant de fait un vide juridique. Quelle est votre réaction ?

Isabelle Alonso : Il y a une manifestation ce samedi à 11h devant le Conseil constitutionnel, et tout démocrate cohérent doit y aller. Depuis des années l'AVFT demandait l'aménagement de cette loi qui était effectivement assez floue, et elle n'obtenait pas gain de cause. Il a suffit qu'un type qui a été condamné pour harcèlement la ramène et il obtient gain de cause tout de suite et à effet immédiat. C'est à vomir, c'est une honte. Et je pèse mes mots !

Le Conseil constitutionnel a vu se succéder depuis sa création en 1959 70 hommes et 5 femmes. Déjà que l'esprit de la loi est très masculin, mais en plus le jury pour la défendre est masculin egalement. Pour eux, qu'est-ce que le harcèlement ? Ils ne savent même pas de quoi on parle. Il y a eu des réactions des politiques ; qu'ils viennent manifester et on verra s'ils sont sincères.

Cette loi avait été élargie en 2002 afin de prendre en compte plus de critères. N'a-t-elle pas ainsi dilué la réalité du harcèlement sexuel ? A partir de quand doit-on considérer que l'on entre dans ce qu'il est convenu d'appeler du harcèlement sexuel ?

Isabelle Alonso : Entre un harceleur et un violeur, il y a une différence de degré, pas de nature. Un harceleur s'estime rarement "justement condamné". Il s'estime rarement "justement mis en examen". Le propre du harceleur est d'estimer qu'il n'a strictement rien à se reprocher. Harcèlement? Non, galanterie ! Chantage, pression ? Non, séduction ! Main au cul ? Ah ben si on peut plus draguer faut le dire tout de suite. Un célèbre harceleur -et au delà, apparemment...-  n'a-t-il pas dit: "Il n'y a eu ni viol, ni violence, ni agression, ni contrainte ?". Un harceleur ne parle que de lui-même. Et pour lui, c'est sûr, il n'y a rien eu de tout cela !  Pour elle, c'est très différent. Mais ça, il s'en fout.

Il est frappant de constater que nos législateurs, pourtant férus de subtilité, n'arrivent pas à définir le harcèlement. Tant qu'on n'aura que 20% de femmes pour voter les lois, on continuera à trouver tout ça très mystérieux ! Même chose pour le Conseil constitutionnel, dont je rappelle qu'il a rejeté la notion de parité comme non constitutionnelle. Le machisme de nos institutions, lui, est parfaitement constitutionnel ! Que ces messieurs écoutent les victimes, ou qu'ils instituent la parité qui éclairera enfin leur lanterne.

Comment expliquer qu'un association féministe et un homme condamné pour harcèlement sexuel se soient retrouvé tous deux sur la nécessité de revoir le cadre juridique entourant la notion d'harcèlement sexuel ?

Tout simplement parce que leurs motivations sont strictement opposées. Les harceleurs trouvent que c'était mieux avant, quand ils étaient dans l'impunité la plus totale. De leur point de vue, c'est indéniable ! 
Les associations féministes écoutent ce que disent les victimes, leur son de cloche est donc très différent. Heureusement, l'A.V.F.T est une association rigoureuse, intègre, professionnelle. Elles sont sur le terrain depuis des années, elles savent de quoi elles parlent. Nous savons tous que certaines agressions ne laissent pas de marques visibles et n'en sont pas moins extrêmement destructrices. Un abus de pouvoir reste un abus de pouvoir. 
N'oublions pas que dans notre pays, même si on ravaude le Code pénal, l'esprit de la Loi n'a jamais été réformé sur le fond. Le point de vue des femmes n'a jamais été pris en compte. Qu'on se souvienne des ahurissants débats sur l'avortement. La loi a été pensée, conçue, écrite d'un point de vue strictement masculin et jamais remise à plat depuis. La violence contre les femmes n'est pas un mythe. C'est une réalité que la loi ne sait pas voir. Il est grand temps de s'y mettre. On peut mettre des rustines sur un pneu crevé, mais il vient un moment où il faut le changer...

N'existe-t-il pas un risque de rendre la vie au travail difficile en créant ainsi des tensions entre hommes et femmes ?

C'est la loi qui rendrait la vie difficile ? Pas les harceleurs ? Ou bien la vie est-elle déjà très difficile sur les lieux de travail par les temps qui courent ? Les tensions viendraient de la loi ? Elles ne seraient pas le fait de ceux des hommes qui considèrent le corps des femmes comme une cour de récré, un parc d'attraction sans voix au chapitre ?
Il suffit de réfléchir au sens de cette question pour comprendre que la loi ne peut rendre la vie difficile qu'à ceux qui la transgressent. Les mains baladeuses, les allusions lourdingues, les pressions et chantages rendent la vie d'autant plus difficile qu'il n'y aurait, si Monsieur Ducray avait gain de cause, aucun rempart légal à leur oppose.

Quelle est la réalité du harcèlement sexuel en France ?

Pour le savoir, il faudrait prêter une oreille à celles qui en pâtissent. Il faudrait changer la manière dont on accueille leur témoignage. Et ne pas mettre en doute systématiquement ce qu'elles disent. On en était là au sujet du viol il y a trente ans. Ceux qui prévoient que les effets d'une loi efficace équivaudrait à "ne plus pouvoir rien faire entre hommes et femmes"  donnent une piètre idée de leur tapport aux femmes et des indices troublants sur leur attitude vis-à-vis d'elles.

Propos recueillis par Morgan Bourven et Priscilla Romain

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