Pourquoi la question de l’adhésion de la Bulgarie à l’euro pourrait faire voler l’Union en éclat <!-- --> | Atlantico.fr
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Boyko Borissov, Premier ministre bulgare
Boyko Borissov, Premier ministre bulgare
©ARIS OIKONOMOU / AFP

Danger

Alors qu'elle semble répondre aux critères d'adhésion, la Bulgarie pourrait se trouver confrontée à la résistance des européens.

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Alors qu'elle semble répondre aux critères d'adhésion, et qu'elle semble déterminée à soumettre une demande d'adhésion formelle au mécanisme de change du SME -lui ouvrant ainsi les portes à une intégration totale- la Bulgarie pourrait se trouver confrontée à la résistance des européens. En quoi une telle question pourrait-elle transformer le rapport de l'Europe à la règle de droit, aux "critères objectifs", qui ont pu la caractériser lors de ces dernières décennies ?

Avant de revenir à la situation présente, il faut s’attarder sur la situation de la Bulgarie à la sortie du régime communiste. Sofia est alors davantage connue pour ses espions et sa gestion autoritaire de ses musulmans du pays que pour ses performances en matière de droits de l’homme. 

Le processus de transformation qui s’en est suivi – processus dit de transition – s’est déroulé de manière plus compliquée que d’autres pays de tête, à l’exemple des pays du groupe de Visegrad, regroupant la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie. Les questions de la corruption et de la criminalité organisée restent très présentes dans ce pays ; la corruption est parmi les Etats de l’Union européenne en fin de classement de l’indicateur de Transparency International, avec une 71ème place mondiale sur 180, derrière la Biélorussie, le Sénégal ou la Jamaïque. 

Derrière l’adhésion de la Bulgarie à l’Union européenne, apparaissent des équilibres de force : face à la Mitteleuropa reconstruite par les Allemands avec l’élargissement, la France a poussé les candidatures de la Roumanie et de la Bulgarie, les deux premiers Etats post-communistes à entrer dans la Francophonie avant la Moldavie. Quitte à se montrer moins regardant sur certains critères d’adhésion. Un universitaire anglais, Tom Gallagher, avait proposé cette interprétation sur le cas de la Roumanie dans un ouvrage (Romania and the European Union. How the Weak Vainquished the Strong) : les élites roumaines ont été capables de contourner les obligations européennes en simulant l’adoption de certaines règles et en captant les ressources. Cette analyse pessimiste peut aussi bien être adoptée pour la Bulgarie.

La réticence des Européens vient donc de là : la Roumanie et la Bulgarie n’étaient pas parvenues à atteindre le même niveau que les autres candidats, mais devaient rentrer pour des questions politiques – en 2007, contre 2004 pour le groupe de tête. Lors de la crise des Roms en 2010, ces deux Etats ont déjà été pris à partie par d’autres Etats membres. 

Les décisions actuelles ne sont pas la résultante d’une volonté européenne de sortir des critères objectifs, mais plutôt du sentiment qu’il convient d’être plus exigeant avec la Bulgarie pour qu’elle puisse avancer, puisque l’adoption d’un Etat de droit est au fond le résultat d’une dynamique historique dans laquelle les forces internes et les pressions externes peuvent agir de concert, comme je le montrais dans mon ouvrage sur l’émergence de l’Etat de droit (Les chemins de l’Etat de droit. Paris, Presses de Sciences Po, 2014). 

Quels ont été les moteurs de cette culture des "critères objectifs" en Europe, et en quoi le contexte actuel a-t-il pu bouleverser cette approche ? 

La culture des « critères objectifs » en Europe est une réponse à la relative impréparation des Européens au choc géopolitique que représente 1989. A cette époque, la ville de Rio de Janeiro était relativement mieux connue que Prague, alors capitale de la Tchécoslovaquie. 

Face à l’espoir de 1989, les institutions européennes devaient trouver une manière d’exiger des changements rapides et profonds : l’Union européenne a procédé à une politique d’élargissement, c’est-à-dire d’extension de son modèle à de nouveaux Etats à travers la diffusion de l’acquis communautaire. L’idée d’une réunification rapide, mais avec plusieurs niveaux de développement et donc des droits et des devoirs différents, aurait pu tout aussi bien être retenue, par exemple via la proposition de François Mitterrand d’une confédération européenne. 

C’est donc avec l’élargissement que sont nés en juin 1993 les « critères de Copenhague », c’est-à-dire la définition d’objectifs en matière politique (Etat de droit, démocratie, droits de l’homme), économique (capacité à répondre à la pression concurrentielle des marchés européens) et généraux de l’UE (souscrire aux objectifs de l’Union économique, politique et monétaire). Pendant longtemps, un quatrième critère a été mis de côté : celui de la « capacité d’absorption », en d’autres termes, la possibilité pour l’Union européenne de fixer son propre rythme en fonction de son développement. C’est aujourd’hui ce dernier point qui est opposé aux Etats candidats, pour la Turquie, mais aussi l’Ukraine, la Géorgie ou la Moldavie. 

Quelles sont les risques de tensions qui pourraient naître d'un tel retour du politique en Europe, au détriment des "critères objectifs" ?

La question de la perception de ce tournant, plus que d’un tournant qui reste lui-même hypothétique, est importante. Les populismes centre-européens se nourrissent de leur crainte de se voir considérés comme des « acteurs de seconde zone » au sein de l’Union européenne : le retour du politique serait de ce point de vue difficile à accepter. Toutefois, ce sont souvent les mêmes qui déplorent le caractère technocratique de l’Union européenne : la question de la norme est bien souvent confrontée à celle de la politique et de la géopolitique. Et il ne faut pas oublier que les citoyens européens seront amenés à s’exprimer lors de prochaines élections européennes. 

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