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Optimisme individuel, pessimisme collectif : le double paradoxe français
©REMY GABALDA / AFP

Joie de vivre

Dans la lignée de la séquence POP2017, Bruno Cautrès accompagne BVA pour suivre le quinquennat. Nous vous proposons de découvrir le billet de cette semaine.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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La publication récente de la dernière vague du baromètre de la DREES, réalisée par BVA, est riche d’enseignements concernant l’état d’esprit des Français vis-à-vis de la société française ainsi que de leur avenir et du rôle de l’Etat-protecteur en France. On constate tout d’abord que le pourcentage des Français qui se déclarent pessimistes (41%) quant à leur avenir personnel est en légère baisse par rapport à l’an dernier, une donnée qui s’inscrit dans la tendance à ce que la sortie de la grande crise économique de 2008 se traduise par davantage d’optimisme dans l’avenir.

Mais passé ce premier constat général, les données de l’enquête montrent des Français en fait préoccupés et même inquiets sur l’avenir de leurs conditions économiques et sociales : le niveau de préoccupation sur les salaires et le pouvoir d’achat, la pauvreté, l’avenir des retraites, le chômage ou l’environnement dépasse les 80%. Un prisme de craintes concernant l’exclusion sociale, le logement, l’accès aux soins, le maintien d’un bon niveau de protection sociale en cas d’accidents de la vie vient vite gommer la première lecture que l’on pouvait faire des données au vu de la baisse du pourcentage de ceux qui se déclarent pessimistes sur leur avenir.

Par ailleurs, les données du Baromètre de la DREES montrent que les Français attendent majoritairement des pouvoirs publics plus de prise en charge, ou au moins un maintien à un bon niveau de la prise en charge et des aides. Par exemple, ceux qui déclarent s’occuper régulièrement d’une personne dépendante ne se sentent pas assez soutenus par l’Etat et pas assez reconnus dans leur rôle d’aidants. Globalement, l’enquête dresse le portrait de Français relativement optimistes sur leur avenir personnel mais assez préoccupés vis-à-vis du système de protection sociale et de son avenir.

Ce prisme n’est pas sans rappeler d’autres indicateurs et d’autres données que le sociologue Jean Viard, membre du CEVIPOF, ou l’économiste de Sciences Po Yann Algan, résument par le paradoxe français : « bonheur privé, malheur public ».  Dans leurs travaux, les sociologues et économistes nous rappellent la dimension toute relative et toute subjective de ce « malheur français ». Plutôt que de nous sentir satisfaits d’avoir atteint un stade de développement et de sécurité dans nos vies comme rarement avant dans l’histoire de l’humanité, notre regard se compare aux autres. Nous sommes d’incorrigibles comparateurs : sitôt atteint un niveau de vie ou acquis un bien, nous regardons un peu nostalgiques dans le rétroviseur ou un peu envieux chez le voisin. Or c’est le revenu relatif et non absolu qui détermine le sentiment de se sentir bien : pour être heureux, il ne suffit pas de vivre caché, encore faut-il que l’autre ne soit pas plus heureux que nous…

Les économistes Yann Algan ou Claudia Senik ont montré que si l’on prend le revenu moyen en France, par rapport aux autres pays européens, nous n’occupons pas la place que nous devrions occuper dans les classements du bien-être ou même du bonheur personnel, arts français dans lesquels nous sommes pourtant réputés. Nous devrions être plus haut !  Mais quelle est donc cette incohérence française ?

Si c’est bien la perception du revenu relatif qui explique le niveau de bonheur et d’optimisme, un second paradoxe français vient encore tout chambouler : les éternels comparateurs que nous sommes, nous les Français comme tous les êtres vivants, ont une particularité inscrite dans le code génétique de la politique en France, le sentiment d’injustice. Nous ne sommes pas le pays où la comparaison avec le voisin s’arrêterait au seuil du jardin : nous en transposons plus aisément que les autres l’interprétation dans l’espace et le débat public.

Ce que nous différencie beaucoup de plusieurs autres pays européens, proches pourtant de nous dans leur capacité à produire du bonheur privé et du malheur public, c’est que nous percevons les injustices, réelles ou subjectivement perçues, comme plus injustes et intolérables que dans d’autres pays. Dans le Baromètre de la DREES, on voit d’ailleurs que 77% des Français trouvent la société injuste. Et si l’on observe la société française est ses grandes variables socio-économiques, on peut le comprendre…

Toute la fascinante histoire politique que nous vivons depuis la dernière présidentielle tourne en fait autour d’un titanesque conflit d’interprétation sur ce que veulent dire en France des mots comme justice et égalité. Pour déplacer la montagne du clivage gauche/droite, nul doute qu’Emmanuel Macron a fait sienne cette citation de Churchill : « un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté »…

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