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Arnaud Beltrame, héros de cette guerre qu’on refuse de regarder en face
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Hommage

La guerre de l’information qui a fabriqué de toutes pièces le mythe du Vivre Ensemble devrait une fois de plus instruire un procès en blasphème contre tous ceux qui oseront poser les questions qui fâchent.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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L’attentat de Trèbes et le destin tragique lieutenant-colonel Beltrame posent avec une acuité nouvelle la question du Vivre Ensemble et de sa signification. Alors que Daesh, dont le terroriste Radouane Lakdim a déclaré être l’un des soldats, multiplie les défaites militaires, il se trouve encore des musulmans français pour continuer le combat sur notre sol, avec le soutien plus ou moins avoué des « quartiers » dont ils sont issus. Les agressions violentes de journalistes dans la cité où vivait le terroriste le prouvent: une partie de la jeunesse musulmane en France peine à rejoindre le camp de la démocratie et de la légalité.
La société française aura-t-elle une maturité suffisante pour aborder les questions qui fâchent dans ce dossier, en interrogeant notamment les raisons pour lesquelles ces jeunes à qui la France a donné une nationalité, un système de soins quasi-gratuits, une école tout aussi gratuite, continue à susciter un rejet fort? Probablement pas… Une véritable guerre de l’information fait obstacle à la remise à plat du sujet. Voici pourquoi.

Arnaud Beltrame, victime d’une guerre terroriste qu’on n’a pas le droit de nommer

Comme toujours après un attentat, et pour des raisons dont il faut dérouler la pelote, les médias subventionnés donneront la parole aux diffuseurs de mythologie, généralement présentés dans une ironie mordante et sans limite comme les meilleurs boucliers contre les fake news. Tout sera fait, à nouveau, pour maintenir entière la fiction selon laquelle le terrorisme ne serait pas une guerre de l’intérieur, déclarée sur notre sol par des combattants déterminés à détruire l’Occident. On répètera donc à l’envi les mêmes balivernes sur le caractère purement individuel et imprévisible de ces attentats.
C’est une sorte de ligne de front qui s’est dressée sans le dire. Alors que Daesh et d’autres fractions de l’Islam salafiste militant, régulièrement financés par nos « alliés » du Golfe, nous ont déclaré la guerre et la portent sur notre sol, il faut à tout prix endormir les consciences. L’enjeu stratégique est d’éviter des connexions claires dans l’opinion publique. Il ne faut surtout pas que les victimes potentielles, que nous sommes tous, se mettent à comprendre que le terrorisme qui nous meurtrit est la conséquence trop prévisible d’une stratégie d’alliances menées à partir des années 70 avec les pétromonarchies. Ces comtés de Dracula ont engendré des créatures dont le contrôle leur échappe, mais qui sont toutes destinées à détruire l’Occident autant qu’elles le peuvent. 
Entre les soldats français qui tombent au Mali pour juguler l’expansion du terrorisme au Sahel et le lieutenant-colonel Beltrame qui tombe à Carcassonne sous les balles d’un lâche, il n’y a pourtant aucune différence. Le Mali n’est que l’un des champs de bataille pour cette guerre sans nom. Carcassonne, comme le Bataclan, comme Nice, comme Bruxelles, sont d’autres champs de bataille de la même guerre. 

La sale guerre salafiste contre l’Occident

Déroulons la pelote donc. Des jeunes musulmans issus de l’immigration, avec qui on fait ami ami au nom du Vivre Ensemble et de notre responsabilité historique collective, nous déclarent la guerre au nom de Daesh. On ne le dit pas assez, mais Daesh est né en 2014 sur les décombres d’une organisation terroriste appelée Al-Qaïda en Irak. Ce mouvement armé a aussi donné naissance au front al-Nosra, souvent présenté en France comme l’une des composantes démocratiques de l’opposition à Bachar Al-assad. 
On n’épiloguera pas ici sur les soutiens que Daesh a reçus de la Turquie d’Erdogan, et d’une constellation de généreux donateurs venus des pays du Golfe. On notera seulement que le fondateur d’Al-Qaïda en Irak dont Daesh est le mutant est un certain Abou Moussab Al-Zarqaoui, dont le vrai nom est Ahmad Fadil Nazzal al-Khalayleh.
Cet illustre inconnu en France serait mort en 2006 au cours d’un raid aérien américain en Irak destiné à l’éliminer. Le parcours de l’homme est tout à fait intéressant. Né en Jordanie en 1966, l’intéressé part en Afghanistan, faire son Jihad, en 1989. Il y reçoit un entraînement militaire et se fond dans la masse des combattants fondamentalistes musulmans. Zarqaoui est en quelque sorte l’un des chaînons qui explique comment le mouvement de Ben Laden s’est répandu en mutant au Moyen-Orient. 
Cet enchaînement pour ainsi dire « liquide » d’essaimages permet d’établir un lien de filiation entre la résistance armée à l’occupation soviétique en Afghanistan et Daesh dont nous absorbons le choc terroriste aujourd’hui. D’une façon ou d’une autre, le destin d’Arnaud Beltrame est noué à la fin des années 70, lorsque l’Armée Rouge prend Kaboul. Dès 1979, l’administration de Jimmy Carter se lance dans son « programme afghan », qui consiste à équiper les rebelles musulmans, avec le soutien des services secrets pakistanais et saoudiens, pour les aider dans leurs combats contre les Soviétiques. 
Cette stratégie, largement concertée ou facilitée dans ou par des instances informelles comme le Safari Club, a consisté à nourrir le scorpion qui nous pique aujourd’hui. L’encadrement d’une guérilla militaire en Afghanistan n’a pas seulement permis de lutter contre l’Armée Rouge. Il a aussi structuré un mouvement qui a finalement mordu la main qui a donné à manger.

La guerre d’information menée pour faire écran à la stratégie occidentale

Il est évidemment compliqué d’avouer le fin mot de la guerre salafiste qui est menée sur notre sol et ailleurs. On dit quoi, quand on est gouvernant européen? que la stratégie d’alliance avec les pays du Golfe n’est rien d’autre qu’une terrible compromission avec des États qui financent ou téléguident en sous-main des mouvements terroristes qui ravagent nos rues et maintenant nos villages?
On a oublié… qu’en 201, Emmanuel Macron lui-même n’a pas hésité à le déclarer à la presse. Selon notre Président en fonction:
« Dans mon dialogue avec les Emiriens, les Saoudiens et les Qatariens, j’aborde la question du financement du terrorisme. Le Qatar et l’Arabie saoudite ont financé des groupements qui n’étaient pas les mêmes, mais qui ont de fait contribué au terrorisme »
Et c’est bien toute l’ambiguïté de notre stratégie qui est soudain épinglée. Nous laissons les Qataris acheter le Paris-Saint-Germain, diffuser des émissions de télévision sur notre sol… alors que nous savons les liens qu’ils entretiennent avec ceux qui ont fauché des vies au Petit Cambodge et au Bataclan. Accessoirement, les services secrets du Golfe, notamment saoudiens, soutiennent activement des mouvances terroristes avec la bénédiction de nos propres services… qui s’épuisent ensuite à empêcher leurs « alliés » du Moyen-Orient de venir commettre des attentats sur notre sol. 
Pour maintenir l’écran de fumée qui dissimule cette ambiguïté, il existe donc une multitude de chiens de garde qui protègent les vertes prairies du Vivre Ensemble, où tout le monde il est beau tout le monde il est gentil. Ces chiens de garde mènent une véritable guerre de l’information destinée à discréditer tout discours sur le lien stratégique entre les alliés de l’Occident et le terrorisme, et pour faire taire l’idée que l’Islam de France est aujourd’hui noyauté à tous les étages par des prédicateurs qui sont complices d’un terrorisme salafiste largement instrumentalisé par les services secrets occidentaux dans les conflits en Asie ou au Moyen-Orient.  
On prendra ici le seul exemple de Rudy Reichstadt, qui qualifie de complotisme toute proposition d’analyse du fait terroriste au-delà de la théorie officielle selon laquelle la guerre salafiste serait née spontanément et ne serait pas une déviance de la stratégie occidentale en Afghanistan. Le même n’hésite pas à expliquer que le complotisme est salafiste, ce qui l’expose régulièrement à l’accusation d’islamophobie. Mais le propos de Reichstadt consiste surtout à expliquer qu’en aucun cas il n’a pu exister une collusion entre le salafisme et les services occidentaux, notamment la CIA.
On touche ici au nerf de cette guerre de l’information: il faut déplorer le terrorisme, mais il ne faut pas chercher à le comprendre. Il faut notamment éviter d’en retracer l’histoire et les conditions de développement. Cette démarche critique est en effet suspecte de complotisme comme Galilée était suspect d’athéisme. 

Le Vivre Ensemble et la guerre de l’information

On ne peut rien comprendre au Vivre Ensemble et à ses fictions (selon lesquelles le communautarisme pourrait être une voie acceptable pour la République) si l’on n’a pas en tête l’intérêt stratégique dont il est l’expression. À tout prix, il faut expliquer, marteler, répéter que la stratégie d’alliance avec les États salafistes du Golfe n’est pas perturbatrice. Nous qui avons inventé la laïcité pour éviter les guerres de religion sommes désormais enjoints de penser que l’alliance avec l’Islam est une bonne chose.
Celui qui a le mieux théorisé cette vision n’est autre que Bernard Henri-Lévy. Il est par exemple l’auteur de cette phrase qui est à l’origine de la lutte contre « l’amalgame »:
« Si clash des civilisations il y a, ce n’est pas le clash de l’Occident contre l’islam mais de l’islam contre l’islam »
Pour Bernard Henri-Lévy, il est essentiel de démontrer qu’il existe un « Islam modéré » avec lequel il faut pactiser contre l’Islam fanatique. Ce n’est pas le lieu ici de discuter l’existence ou non d’un Islam modéré. Il est en revanche essentiel de comprendre l’économie générale de cette vision pour justifier le maintien d’alliances toxiques avec les États du Golfe. Nous devons préserver l’Islam modéré pour vaincre le terrorisme. Et l’Islam modéré, ce sont évidemment les puissances sunnites sur lesquelles nous nous appuyons pour combattre le régime syrien ou le régime iranien. 
Que cette politique d’alliance avec des régimes sunnites rigoureux ait conduit à destituer ou à affaiblir tous les régimes laïcs revendiqués du Moyen-Orient est évidemment un fait que les medias bien-pensants en Europe évitent de rappeler. C’est en particulier le cas des régimes baasistes en Syrie et en Irak, que les États-Unis ont cherché par tous les moyens à abattre au profit d’une stratégie sunnite. Pour en arriver là, il fallait convaincre l’opinion que traiter avec des régimes religieux est mieux que traiter avec des régimes agnostiques. Donc, il fallait inventer la fiction manichéenne d’un bon Islam (les modérés, alias les sunnites) et d’un mauvais Islam (les chiites, et accessoirement les terroristes). Et tant pis si cette fiction prend quelques libertés avec la réalité, en oubliant que les régimes du Golfe n’ont aucune leçon de droits de l’Homme ni de respect des populations civiles à donner à Assad ou aux autres. 
La multiplication des attentats oblige évidemment à tôt ou tard dresser un bilan de cette doctrine perfusée dans les medias notamment autour de l’influence de BHL. On comprend les intérêts stratégiques qu’elle défend. Elle s’appuie sur une offensive de marketing politique en règle. Le rachat du Paris-Saint-Germain par les Qataris permet notamment d’ancrer dans l’opinion publique une image positive d’un État et d’un régime qui, en sous-main, porte une responsabilité que le Président de la République lui-même reconnaît dans les attentats qui nous frappent. 
Tout le monde connaît le manichéisme avec lequel Bernard Henri-Lévy défend sa vision du monde. Il y a d’un côté la rationalité qui commande de dire que la stratégie occidentale telle qu’elle est menée au Moyen-Orient est la bonne, et il y a l’horreur et la dissidence qui consiste à appeler de ses voeux à un meilleur équilibre entre les puissances. 
Arnaud Beltrame est, d’une certaine façon, le dégât collatéral de ce manichéisme. Nous sommes priés aujourd’hui de ne pas voir que la principale menace qui pèse sur nos sociétés est le résultat indirect d’une politique étrangère risquée, menée depuis une quarante d’années. Nous sommes priés d’ignorer que la mort du lieutenant-colonel Beltrame est l’une des conséquences de choix qui sont occultés de façon quasi-viscérale. Et nous sommes priés de taire, encore et toujours, le caractère religieux des attentats qui nous dévastent. Car il y a un bon Islam avec lequel il faut traiter et qu’il faut préserver coûte-que-coûte… 

Avons-nous un avenir en dehors de la laïcité?

En réalité, le débat n’a pas changé de nature depuis 1905. Il a seulement changé de contexte. Toute la question est de choisir entre deux modèles.
L’un, qu’on qualifiera de BHLien, consiste à promouvoir l’idée d’un aménagement nécessaire de la laïcité pour faire une place à une alliance avec le « bon Islam ». 
L’autre consiste à penser que l’Islam doit obéir aux mêmes principes laïcs que les autres religions, et que cette obéissance ne doit pas souffrir d’exception. 
Cette question fondamentale doit désormais pouvoir être posée sans stigmatisation. 

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