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Gérald Darmanin, ce nouvel Edgar Faure (et pourquoi ça nous en dit long sur l’état de la Ve République)
©ERIC FEFERBERG / AFP

Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent

Reste un point commun entre Edgar Faure et Gérald Darmanin : leur réputation n’était pas excellente pour le premier et on pourrait l’imaginer plus positive pour le second.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Fluidité dans les valeurs défendues (économie ou mariage pour tous), capacité d'adaptation à tous et à tout, à garder des liens avec ses anciens mentors parfois "trahis", en quoi Gerald Darmanin pourrait-il être comparé à Edgar Faure ? ​

Jean PETAUX : Il faut toujours se méfier des comparaisons, surtout entre deux personnalités politiques qui sont nées à 74 ans d’intervalle, Edgar Faure en 1908 et Gérald Darmanin en 1982. On voit bien les conséquences de cet écart, pas seulement parce que le premier pourrait être le grand-père, voire l’arrière-grand père du second, mais parce que c’est presque tout le XXè siècle qui les sépare. Un siècle de fureur et de sang qu’Edgar Faure a traversé brillamment en étant, à 21 ans, le plus jeune avocat de son temps. Tout comme Pierre Mendes-France et avant lui Jean Zay, autres grandes figures du Parti Radical-socialiste, le furent aussi. Edgar Faure a été procureur général adjoint au procès de Nuremberg, représentant la France dans cet événement unique dans l’histoire qui vit naitre la notion de « crime comme l’humanité » consécutivement à la « destruction des Juifs de Europe » (R. Hilberg). Et puis il a surtout été un des ministres parmi les plus importants de la IVè République, deux fois présidents du Conseil et, après son ralliement au général de Gaulle à la faveur de la première campagne présidentielle au suffrage universel (celle de novembre-décembre 1965), il occupera plusieurs postes ministériels importants dont celui remarqué de ministre de l’Education nationale et des Universités après les événements de Mai 68 en étant l’auteur de la fameuse loi cadre qui passera à la postérité sous le nom de « loi Edgar Faure ».

A côté de lui Gérald Darmanin, 35 ans depuis le 11 octobre 1982, fait évidemment figure soit de « petit pois », soit de « vieux » comparé au parcours considérable d’Edgar Faure à son âge, soit d’amateur en matière d’opportunisme politique. Edgar Faure, dont l’humour, le sens de la répartie, la verve et le « zozotement » faisaient régulièrement le bonheur des « chansonniers » de l’époque et des dessinateurs du « Canard Enchainé » avait coutume de répondre quand on le traitait de « girouette » (tellement il fut un adepte des « changements de cap » et des « tirages de bord ») : « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent ». Gérald  Darmanin a-t-il, comme Edgar Faure, un certain talent pour « prendre le vent » ?

Homme du Nord, né à Valenciennes, peut-être que Gérald Darmanin fait siennes les paroles de Jacques Brel dans sa si belle chanson « Mon père disait » : « Mon père disait / C'est l'vent du nord / Qui fait craquer les digues / A Scheveningen / À Scheveningen, petit / Tellement fort / Qu'on ne sait plus qui navigue / La mer du nord / Ou bien les digues ». Le  (court) cv politique de G. Darmanin tendrait à confirmer l’hypothèse selon laquelle le vent de la politique est tellement fort, comme le vent du Nord de Brel, « qu’on ne sait plus qui navigue » entre les convictions et les conjurations. Mais, après tout, il est une toute autre manière de lire le cursus honorum  politique de l’actuel ministre des « Comptes publics », aux antipodes de l’étiquette que lui colle ses anciens amis politiques, celle d’être un opportuniste cynique et sans foi ni loi. La manière positive de lire sa biographie politique c’est celle qu’il défend (ce n’est pas surprenant) et qui revient à dire : « Moi je ne bouge pas, ce sont les autres qui tournent autour de moi ou bien qui se droitisent par exemple ». On peut aussi considérer que Darmanin, entré tout jeune en politique pour en faire son métier (collaborateur de Jacques Toubon, député européen, RPR puis UMP), n’a pas les ressources professionnelles, relationnelles voire intellectuelles de son illustre prédécesseur Edgar Faure. Il lui faut donc, sans aucun doute, louvoyer encore plus qu’Edgar Faure pour « survivre » dans les flots du grand fleuve politique qui file vers la mer. « Louvoyer » ici signifie clairement saisir les opportunités qui se présentent, construire des compromis et élaborer de nouvelles alliances avec les adversaires d’hier. De là à ce que les jaloux, les ex-compagnons et les « faux amis » anticipent sur ce vocabulaire (ou le transforment) et confondent « opportunités » avec « opportunisme » ; « compromis » avec « compromission » et « nouvelles alliances » avec « trahison des engagements précédents », l’occasion est belle et… facile.

Reste un point commun entre Edgar Faure et Gérald Darmanin : leur réputation n’était pas excellente pour le premier et on pourrait l’imaginer plus positive pour le second. L’un trainait et l’autre traine plusieurs affaires au parfum scandaleux, fictives ou avérées (peu importe : les bonnes ou mauvaises réputations sont nourries de « fake news » et de « preuves tangibles » depuis l’Ancien Testament). Dans plusieurs registres : vie privée, soumission à ce que l’on appelait jadis les « intérêts particuliers ou corporatistes » et qu’on nomme aujourd’hui, pour faire plus anglo-saxon, les « lobbies », etc.

On peut ranger tout cela au rayon des basses et petites vengeances. Cela n’a pas empêché Edgar Faure de mener une des plus belles carrières politiques possibles sous la IVè et la Vè République. Il n’eût qu’un regret, semble-t-il, celui de n’avoir pu, en avril 1974, s’aligner dans la course à l’Elysée au décès de Georges Pompidou. Il s’imagina un temps, après le 2 avril, en situation de le faire. Dès le 5 avril il cessera d’y croire. Gérald Darmanin connaitra-t-il un tel destin ? Impossible à dire. Ce qui est d’ores et déjà établi c’est qu’il est devenu ministre avant 35 ans, quand Edgar Faure, « toucha » son premier maroquin ministériel en 1950, à 42 ans. Avantage Darmanin. Mais Edgar Faure sera chef du gouvernement à 44 ans. Il reste 9 ans à Darmanin pour le devenir. Pourtant le plus difficile reste à faire : c’est le nombre de formations politiques différentes auxquelles Edgar Faure a adhéré : au moins six. Sur ce plan, l’avenir appartient au « jeune » Darmanin…

Qu'est ce cette comparaison peut nous révéler de l'état intellectuel de la Ve République en comparaison à celui de la IVe ou Edgar Faure s'épanouissait ? 

Rien d’autre que cette belle phrase de « L’Ecclésiaste » : « Rien de nouveau sous le soleil ». Il n’est nullement question ici d’état intellectuel de telle ou telle République. Il s’agit de trajectoires politiques personnelles et individuelles. Il y a toujours eu des « vagabonds » en politique. Ou si l’on préfère, selon que l’on réprouve ou pas cette capacité à une certaine mobilité d’affiliation partisane, des « coucous » (cela c’est plutôt du côté de la réprobation) ou des « agiles » (c’est plutôt du côté de la neutralité ou de l’approbation). Les plus fascinés par ce type de comportement politique (que l’on peut estimer propre aux « butineurs ») diront qu’il s’agit-là d’une « vista politique » hors du commun et d’une aptitude exceptionnelle à la « prise de vague » (du « tube » comme on dirait d’un surfeur). Ce qu’il faut bien avoir en tête c’est que la critique d’opportunisme est souvent portée par plus opportuniste encore. Comme si la stigmatisation, le procès en trahison politique et en cynisme outrancier, étaient autant de « preuves à charge » de la culpabilité de tel ou tel rival, d’autant plus dangereux qu’il fut proche, d’autant plus ennemi qu’il fut frère. Pour autant, avec le temps, ce qui pouvait apparaitre comme l’ambition dévorante d’un jeune loup prêt à toutes les manœuvres pour parvenir à ses fins, capable de tuer père et mère pour conquérir le trophée, peut devenir une forme de rouerie bonhomme ou de ruse enrobée prêtant d’autant plus à sourire que la réputation du manœuvrier est telle qu’elle ne peut se dégrader d’avantage. C’est ce qu’il advient d’Edgar Faure qui, après avoir trahi à peu près tout le monde et son frère, finit par se réconcilier avec une bonne partie de la classe politique française. Ainsi, sa loi « post-soixante-huitarde », démagogue à souhait, opportuniste plus que de raison, procédant d’un « lâche soulagement » chez les députés gaullistes qui ne voulaient pas en octobre 1968 que recommence la « chienlit » de mai, fut votée à la quasi-unanimité des parlementaires, le PCF allant même jusqu’à s’abstenir sur le projet de loi. Edgar Faure fut un excellent président de l’Assemblée nationale pendant 5 ans jour pour jour, du 2 avril 1973 au 2 avril 1978. Là encore son sens du consensus fit merveille. Un peu comme ces vieux séducteurs qui ayant trahi nombre de maitresses finissent par se réconcilier avec toutes, n’en ayant plus une seule au soir de leur vie donjuanesque.

Entre Gerald Darmanin et Edgar Faure, faut-il voir l'âge de l'opportunité ou l'âge du relativisme ? 

Très clairement Gérald Darmanin a encore devant lui,  dans sa vie politique, de belles opportunités pour être un opportuniste certifié. Cela c’est le privilège de la jeunesse. Quand il sera devenu une sorte d’Edgar Faure (à condition, quand même, de se départir d’une certaine arrogance et construire lui-même son propre réseau d’influence pour « s’établir à son compte »), il pourra cultiver la rondeur et la sérénité (à la Larcher par exemple) quand il  n’est encore qu’angles et aspérités. Manquant de titres universitaires à faire valoir (c’est l’inverse d’un Wauquiez par exemple) , bien moins « capé » qu’un Edgar Faure au même âge, dépendant uniquement du « métier politique », Gérald Darmanin est confronté à un problème majeur pour tout « joueur » politique : quelles sont les cartes et surtout les atouts présents dans son jeu ? Edgar Faure pouvait être une girouette car il était toujours en « position haute », position lui permettant de « sentir le vent tourner » et de prendre les « jets streams » politiques. Gérald Darmanin, avec son côté « Petit chose », n’est pas vraiment en situation d’avoir la liberté de trahir. C’est très ennuyeux pour un joueur de Poker d’être un menteur aux capacités de mensonge limitées. Les adversaires autour de la table « lisent » vite le jeu du « complexé » qui devient vite le plus faible. Et donc celui qu’il convient d’affaiblir plus avant. La seule ressource possible c’est d’être craint, de susciter un vague sentiment de peur. Nicolas Sarkozy a su très bien faire ça : trahir, faire peur, condamner, accorder des bienfaits. Mais n’est pas Sarkozy qui veut. Ou qui peut.

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