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Mobilisation des retraités : ces solides arguments qu’aurait pu utiliser Emmanuel Macron pour justifier les efforts qu’il leur demande
©DAMIEN MEYER / AFP

Panorama

Les retraités se mobilisent ce jeudi pour protester contre la hausse de la CSG et la baisse de leur pouvoir d'achat. Pourtant, en quelques décennies, on a observé un très net déplacement de la richesse vers les seniors.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Dans le contexte de la hausse de la CSG, les retraités descendront dans le rue ce jeudi 15 mars, à l’appel de 9 syndicats, une situation qui avait provoqué une réaction d’Emmanuel Macron qui déclarait : « Je sais que je demande un effort aux plus âgés, que parfois certains râlent, ça ne rend pas forcement populaire mais je l’assume ». En quoi le destin connu par les retraités peut-il être qualifié d’exceptionnel au cours de ces dernières décennies ? Des Trente Glorieuses au plein emploi, de la moindre concurrence connue par les diplômés, aux effets de l'inflation sur le capital immobilier, quels ont été les moteurs principaux qui pourraient venir justifier l’idée de la nécessité d'une plus grande solidarité générationnelle ? Quels sont ces arguments qui pourraient justifier la politique mise en place ?

Michel Ruimy : Dans l’imaginaire collectif, les « Trente Glorieuses » ont été d’une prospérité imperturbable. Les populations nées jusqu’à la fin des années 1940 bénéficiaient d’un net progrès générationnel : d’une génération à la suivante, les conditions d’emploi étaient plus favorables à l’entrée sur le marché du travail, le niveau de vie augmentait régulièrement, l’accès était plus fréquent à l’éducation et à la propriété d’un logement. Mais, c’est aussi une période où l’on travaillait plus longtemps et plus durement : 44 h en moyenne par semaine, la moyenne de l’espérance de vie était de 67 ans. Et au mieux, on partait à la retraite à 65 ans... À l’époque, la retraite était vécue, en quelque sorte, comme la fin de l’histoire. Elle n’était pas considérée comme une tranche de vie à part entière. Elle était perçue comme un « bonus » de temps à vivre. La vie, c’était le travail, la carrière.

Ce progrès social s’est fortement ralenti, voire interrompu à plusieurs égards, pour les générations des années 1950 et 1960 qui ont été confrontées, assez tôt dans leurs parcours de vie, à la crise économique, plus particulièrement aux deux chocs pétroliers et aux périodes de conjoncture difficile du début des années 1980 et du milieu des années 1990. En même temps, la retraite a été intégrée à la carrière au milieu des années 1970 - époque de la « pré-retraite » à 55 ans - et François Mitterrand faisait passer la loi sociale incluant la retraite à 60 ans au début des années 1980. Cela faisait consensus. Le message essentiel était de « laisser la place aux jeunes ». Les patrons, les syndicats..., presque tout le monde s’accordait à dire que c’était formidable.

Les générations les plus récentes, quant à elles, vivent une situation plus contrastée. Si plusieurs années de bonne conjoncture au tournant des années 2000 ont contribué à leur redonner un niveau de vie plus élevé que les générations précédentes au même âge - le faible niveau de taux d’intérêt leur a facilité l’accès à la propriété malgré la hausse des prix de l’immobilier -, les inégalités entre générations s’accompagnent d’inégalités intra-générationnelles.

En effet, la pauvreté a changé de camp. Alors qu’hier, elle frappait d’abord les plus âgés, la pauvreté est devenue le problème de la jeunesse. Les courbes par âge de la pauvreté se sont renversées. Au début des années 1970, le taux de pauvreté des plus de 60 ans dépassait la barre des 30%. Ces générations, nées avant 1925, frappées de plein fouet par la guerre n’avaient guère pu épargner, ni accumuler des droits sociaux. Quarante ans plus tard, le taux de pauvreté des seniors a fortement diminué grâce notamment à la généralisation des systèmes de retraite. Désormais, ce sont chez les jeunes que la proportion de pauvres est la plus élevée. En 2008, le taux de pauvreté des 18-29 ans atteignait 15% contre environ 10 % pour les plus de 60 ans.

La fragilité du progrès générationnel et l’importance accrue des transferts intergénérationnels de patrimoine laissent envisager une augmentation des inégalités selon la catégorie et/ou l’origine sociale. Les générations nées dans les années 1940 apparaissent comme ayant surfé sur une vague montante qui se brise derrière eux.

En quelques décennies, on observe un très net déplacement de la richesse vers les retraités. La prise en compte de la propriété du logement dans la mesure du niveau de vie améliore sensiblement la situation relative des personnes les plus âgées. L’augmentation de leur niveau de vie relatif est encore plus nette, si on y intègre l’ensemble des revenus du patrimoine financier. En 2010, la cohorte la plus riche, celle des 60-69 ans pratiquement tous retraités, nés entre 1941 et 1950, possédaient un patrimoine 1,5 fois plus important que celui du reste de la population tandis que les actifs de 40-49 ans, nés entre 1961 et 1970, avaient un patrimoine supérieur de 1,24 fois seulement au niveau médian de la population.

On voit bien que l’initiative présidentielle trouve sa justification dans cette situation. Malgré tout, au-delà des efforts demandés, le chef de l’Etat ne pourra pas faire, à terme, l’économie d’un vaste débat public sur la question de la répartition des richesses entre générations.

Si l’économie n’est pas un jeu à somme nulle, et que l’ensemble des retraités ne disposent pas d’un capital leur permettant de répondre à leurs dépenses, en quoi le fait de faire financer, en partie, la baisse des cotisations pesant sur les salariés, peut « philosophiquement » se justifier ? Quelles sont les limites de cette logique ?

Emmanuel Macron a décidé de baisser les cotisations salariales en échange d’une hausse de la CSG. Avec cette réforme, il compte accroître le pouvoir d’achat des salariés, quitte à faire payer un peu plus les retraités ou les bénéficiaires de revenus du capital.

Or, aujourd’hui, la perspective de la retraite est un sujet de profonde inquiétude pour la plupart des seniors. Selon une enquête Ifop-UFF menée, en 2017, pour le compte de la MACSF, plus des 3/4 des personnes âgées de 50 à 65 ans et encore actives considèrent que leur pension de retraite ne leur permettra pas de vivre dans des conditions satisfaisantes. Ensuite, 2/3 des seniors n’ont pas l’impression d’avoir accumulé un patrimoine suffisant ou pris des dispositions financières adéquates pour vivre sereinement leur retraite. Ils ont une approche traditionnelle de la constitution d’un patrimoine. Pour eux, « avoir du patrimoine » signifie, pour 70% d’entre eux, posséder un bien immobilier, qu’il soit une résidence principale, un immobilier locatif ou une résidence secondaire. Les autres placements privilégiés cités sont traditionnels et historiques : livret d’épargne, assurance-vie en euros…

En moyenne, les seniors actifs estiment qu’ils auront besoin de 1 846 euros par mois pour vivre une retraite confortable, un montant loin du seuil établi par le gouvernement (1 200 euros) au-delà duquel les retraités verront leur CSG augmenter en 2018. Or, l’arrivée à l’âge de la retraite des générations affectées par le chômage, est susceptible d’engendrer des pensions plus faibles, entraînant ainsi une croissance du nombre de personnes considérées comme pauvres chez les seniors.

Au final, même si cette mesure peut effectivement améliorer le salaire net d’une partie des salariés, en refusant d’exonérer les plus âgés des efforts de « transformation » et en appliquant une hausse de la CSG jugée « injuste et spoliatrice par les intéressés », le chef de l’Etat prend un risque. En effet, dans l’imaginaire français, le retraité est plutôt modeste, et mérite de profiter des biens acquis au cours d’une vie de labeur. On pense beaucoup moins aux retraités comme des « nantis ». Ainsi, si M. Macron a gagné bien des batailles d’opinion, il n’a pas encore réussi à installer celle de la redistribution des retraités vers les actifs.

Avec la manifestation d’aujourd’hui, plusieurs questions se posent : le monde des retraités deviendra-t-il un lobby pour faire pression sur la politique ? Va-t-on davantage valoriser leur rôle social et économique ?

En quoi les circonstances actuelles sont-elles différentes pour les jeunes gens arrivant en emploi, aussi bien sur le marché du travail que sur la capacité à construire un capital, immobilier par exemple ?

Les changements sociaux massifs qui affectent la structure sociale (élévation du pourcentage de cadres supérieurs, croissance de la scolarité, des revenus, etc.) concernent moins la société dans son ensemble que certaines cohortes.

Aujourd’hui, l’accès à l’emploi continue d’être étroitement lié au niveau de diplôme. Ce dernier met davantage à l’abri du chômage et garantit plus souvent un emploi stable, mais de plus en plus au prix d’un déclassement en matière de salaire et de statut d’emploi. En 1970, les titulaires du baccalauréat avaient 60% de chance d’accéder à la catégorie de cadre ou profession intermédiaire. Quelques décennies plus tard, le taux n’est plus que de 20%. Quant aux non-diplômés, ils apparaissent plus dépendants de la conjoncture, non seulement à la sortie des études mais aussi durant le début de leur carrière.

Quant au revenu disponible des jeunes actifs, son évolution, dans une perspective historique, montre que, quel que soit le genre, ceux-ci ont des revenus moindres que leurs aînés de vingt ans. Cependant, depuis le début des années 2000, on observe un retour des jeunes générations vers la propriété, mais l’écart de taux de propriété a tendance à augmenter entre les catégories socioprofessionnelles. Les banques l’ont bien compris puisque certaines d’entre elles proposent des prêts immobiliers sur 35 ans…

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