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Arnaud Dassier mis en examen pour un tweet : la loi française sur la diffamation finira-t-elle par tuer
la liberté d'expression ?
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#libertédexpression

Arnaud Dassier mis en examen après un tweet ironique consacré au cumul des fonctions occupées par Ramzi Khiroun au sein du groupe Lagardère, de l'agence EuroRSCG et des fonctions de conseiller en communication assumées auprès de DSK. De quoi s'interroger sur la loi française en la matière.

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig a fondé en 2013 le think-tank libéral GenerationLibre. Il enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il a travaillé précédemment au cabinet de Christine Lagarde à Bercy, et à la BERD à Londres. Il est l’auteur de romans et d’essais, et apparaît régulièrement dans les médias, notamment à travers ses chroniques dans Les Echos et l’Opinion. 

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Arnaud Dassier, « entrepreneur internet », est bien connu des bloggeurs, tweeters et autres anguilles de la Toile. Il l’est aussi des lecteurs d’Atlantico, un site qu’il a contribué à fonder, et où il diffuse régulièrement sa verve libérale. Désormais, les services de police et de justice auront à leur tour l’honneur de faire sa connaissance, puisqu’il vient d’être mis en examen pour diffamation, suite à une plainte de Ramzi Khiroun, le sympathique « communiquant » de DSK, connu de toute la France pour son goût raffiné dans le domaine automobile.

Dans les 140 signes sacrilèges Arnaud Dassier se questionnait sur le cumul de l'emploi occupé par Ramzi Khiroun au sein du groupe Lagardère, de l'agence EuroRSCG et des fonctions de conseiller en communication assumées auprès de DSK. Tweet pas véritablement explosif, et d’une répercussion sidérale, puisqu’il fut « retweeté » pas moins de 16 fois. Certainement l’un des pires scores d’Arnaud Dassier et de ses 7000 followers.

Naturellement, je ne peux qu’envier Arnaud Dassier, candidat du Parti Libéral Démocrate dans le Loiret, qui va bénéficier d’un buzz toujours bienvenu en ces périodes de campagne électorale. Relisant mes propres tweets, je me dis que, selon les critères de la justice française, une bonne vingtaine devraient me valoir, à moi aussi, une mise en examen en bonne et due forme. On se sent revenu au beau siècle des Lumières, où les philosophes se disputaient le privilège de coucher quelques nuits à Vincennes pour des lignes inoffensives sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes ou la réfutation de l’existence de Dieu.

Allez, essayons : « Ramzi, tu es un infâme mangeur de pucerons ». Plus qu’à attendre que la justice fasse son travail.

Cette affaire grotesque soulève hélas de graves questions sur le statut de la liberté d’expression en France. Le nombre de procès en diffamation ne cesse de croître. A chaque parole déplacée sur un plateau télévisé, on doit se défendre devant un tribunal. A chaque article critique, les journaux se voient assignés. L’usage abusif de la diffamation met en danger non seulement la qualité de l’information, auto-censurée, mais le sel de l’esprit français, auto-mutilé. Au lieu d’argumenter, les contradicteurs accusent. Et la Loi tranche là où seule la Raison devrait prévaloir.

Cette situation tient en grande partie d’une particularité juridique exorbitante : dans le cas de la diffamation – et contrairement à tous les autres délits – c’est l’accusé qui doit prouver la vérité de ses propos : on s’appelle cela, sans peur du paradoxe, « l’exception de vérité » ! La présomption d’innocence ne s’applique pas, et la mise en examen est automatique, comme dans le cas d’Arnaud Dassier. Il ne coûte jamais rien de poursuivre en diffamation, puisque c’est l’adversaire qui doit se justifier et se défendre. Comment s’étonner alors que le dernier classement de Reporters sans Frontières place la France à un peu glorieux 38ème rang s’agissant de la liberté de la presse ? A force de prendre la liberté pour un acquis, elle finit par s’étioler.

On prête à Voltaire cette noble réplique : « Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ». En fait, la citation est apocryphe et Voltaire n’était pas réputé pour sa magnanimité vis-à-vis de ses détracteurs. Pour preuve, ce passage que j’ai récemment retrouvé dans la vingt-troisième des Lettres Philosophiques : « J’oserais souhaiter qu’on pût supprimer en France je ne sais quels mauvais livres qu’on a imprimés contre nos spectacles »... Voilà des mauvais livres, et des mauvais auteurs, que Voltaire eût volontiers poursuivi en diffamation.

Il y a en chacun de nous un censeur qui sommeille. Voilà pourquoi l’Etat devrait se réveiller, et donner enfin à la liberté d’expression les moyens juridiques de son existence. Qu’on puisse tout dire et contredire ! 

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