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Les incohérences du plan prison
©PATRICK KOVARIK / AFP

Carcéral

Emmanuel a fait un discours pour annoncer son plan de refondation pénale, dans le but de désengorger les prisons. Un plan qui connait des angles morts et des failles.

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Atlantico : Emmanuel Macron se déplaçait ce 6 mars pour annoncer une refondation pénale ayant pour objectif de lutter contre la surpopulation carcérale en France (avec un taux d'occupation moyen de 120% sur l'ensemble du territoire et de 200% en région parisienne). Au regard des attentes, comment évaluer les annonces faites par le chef de l’État ?

Gérald Pandelon : Si le taux d'occupation de nos prisons avoisine effectivement 120 % sur l'ensemble du territoire et 200 % en région parisienne, c'est pas uniquement parce que nos magistrats en matière pénale sont sévères (les juges des libertés et de la détention et les chambres de l'instruction, notamment), voire effectivement très sévères, c'est également et surtout parce que nous assistons à une recrudescence de la violence et de la criminalité. Car il n'aura échappé à personne que nous n'avons pas affaire à des oies blanches qui seraient, par définition et nécessairement, les victimes expiatoires de la société. Cette société qui , en définitive, a bon dos... Car, bien souvent, plutôt que de penser à la responsabilité des délinquants dans leur incarcération, certains idéologues préfèrent toujours mettre en cause la sévérité de la justice pénale et l'obsession de la prison comme causes de la surpopulation carcérale. Pourtant, la France compte un nombre de détenus bien inférieurs à la moyenne européenne. Nous disposons de 57235 places de prison, l'Espagne 76000 pour une population inférieure à la nôtre, le Royaume-Uni, environ 96000. Autrement dit, si notre système pénal est dur, il l'est toutefois moins que chez nos voisins. Par ailleurs, si effectivement la population carcérale a augmenté de 2 % par an, rappelons toutefois que les aménagements de peines ont eux augmenté de 12 %. Enfin, la France est l'un des pays où la part des personnes écrouées mais non détenues est la plus importante et les condamnations pénales fermes représentent moins de 20 %. Les annonces faites par notre Garde des Sceaux et notre chef de l'Etat vont dans le bon sens mais demeurent contradictoires car il n'existe pas, d'abord, de réelle réflexion sur notre système pénal, ensuite, elles mêlent de la sévérité et du laxisme ; en d’autres termes, le dispositif n'est pas clairement lisible.  

​Le système proposé par le chef de l'Etat, derrière son objectif de lutte contre la surpopulation carcérale, est-il à même de produire des effets sur la sécurité ? L'objectif poursuivi est-il seulement adapté aux enjeux ?  

Si j'ai bien compris le nouveau système pénal proposé par notre chef de l'Etat, celui notamment de la lutte contre la surpopulation pénale, il relève alors du paradoxe, pour ne pas dire de l'aporie. D'un côté, en effet, il s'agit de substituer à des courtes peines (inférieures ou égale à 6 mois), la généralisation d'alternatives aux poursuites (par exemple, les compositions pénales) ou des modes différents de poursuites (la technique de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, à titre d'illustration). Or, non seulement ces alternatives existent déjà depuis plusieurs années et ont toujours été proposés par les différents ministres de la justice, mais également et surtout, puisque l'objectif affiché est celui d'une lutte contre la promiscuité en détention, on ne comprend toujours pas pour quel motif, d'un autre côté, le seuil d'aménagement des peines serait ramené de deux à une année ; seuil qui, par conséquent, et à rebours des intentions affichées, contribuerait considérablement à remplir nos prisons qui, en l'état, en effet, souffrent d'apoplexie. Car si, au-delà d'une peine de 12 mois d'emprisonnement, la réponse ne peut être que le mandat de dépôt, ce rabaissement du seuil va contribuer à neutraliser l'effet bénéfique résultant des alternatives aux poursuites. Je crois que ce qui fait défaut c'est surtout la cohérence d'ensemble du dispositif. Il s'agit encore d'un projet idéologique, technocratique, qui va se heurter au mur des réalités. C'est incroyable de constater à quel point nos édiles, pour doués qu'ils soient parfois, sont coupé des réalités. En fait, si notre Président souhaite vraiment vider nos prisons lorsqu'il ne s'agit pas de condamnations trop lourdes, il convient, d'une part, de concilier, donc conserver le seuil des 24 mois, au-delà duquel toute peine ne saurait être aménagée si la partie ferme est supérieure à ces deux années, avec d'autre part, les processus d'alternatives aux poursuites. Ce qui aurait du panache serait une réforme pénale qui prévoirait des peines effectivement lourdes avec des faits réellement graves et réellement clémentes avec ceux qui ne le sont pas, ou bien moins. Mais, le dispositif, en l'état, n'est pas clair car contradictoire.  

Quelles sont les pièces manquantes du programme présidentiel en la matière ? 

La cohérence et l’absence d'une réflexion aboutie, en profondeur, sur l'essence même de notre système pénal. Car si nos prisons sont surchargées c'est avant tout parce que notre pays est dépositaire d'une culture du mandat de dépôt, laquelle a tendance à faire abstraction du principe d'innocence présumée. Car, si les droits et libertés étaient vraiment sauvegardés, nos grands principes, au premier rang desquels les droits de l'homme, ou que nos principes à valeur constitutionnelle étaient réellement préservés, la détention provisoire ne constituerait pas une simple mesure d'instruction, au mépris des règles supérieures à valeur constitutionnelle qui devrait, s'agissant de faits ne présentant pas toujours le caractère d'une particulière gravité, prémunir d'une incarcération préventive. A croire que l'exportation vers quelques pays africains constitue la principale vocation des droits de l'homme, lesquels n'auraient pas pour finalité, en définitive, de recevoir une quelconque application en droit interne. Qu'il est infiniment plus facile de donner des leçons de morale à l'extérieur lorsque notre institution judiciaire connaît, dans notre cadre national, le caractère fictif de l'application concrète desdits droits. En réalité, le dispositif n'est pas solide car peu clair et souffre, par conséquent, de cohérence en mêlant les vents contraires de la sévérité, abaissement du seuil de 2 à 1 an, à ceux de la douceur pénale, de la forfaitisation à l'absence de peines, sans que l'on puisse toutefois évoquer un quelconque laxisme.

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