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Donald Trump finira-t-il par précipiter les États-Unis dans la récession à trop vouloir pousser la croissance américaine ?
©MANDEL NGAN / AFP

Danger

C'est le vrai risque qu’il prend en surestimant surtout la productivité, autrement dit le capital humain, sans s’en occuper.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Bien sûr que non, il veut plus de croissance surtout, mais il peut rater. Evidemment ce n’est pas ce qu’il souhaite, au contraire, mais sa façon d’agir, surtout compte tenu des réactions des marchés financiers, peut conduire à l'inverse de ce qu’il cherche : la récession. En effet, Donald Trump veut aller vite en besogne et pousser le PIB américain vers 3,5%, au-delà donc de son potentiel. C’est bien pourquoi, partout, il pousse les feux et prend des risques économiques, financiers et politiques considérables. Derrière Donald Trump, ses économistes (dans le Rapport Economique au Président du Conseil des Conseillers Economiques qui vient d’être publié) voient donc grand. Ils épousent, bien sûr, les choix à long terme du Président, en leur donnant un cadrage. Ainsi, la croissance américaine à long terme, ce sera plus de 3% dans les années qui viennent, avec une remontée de la population active de 0,9% entre fin 2017 et fin 2018, avec un peu plus de temps de travail et surtout une productivité qui augmente de 2,6% par heure et par an, contre 2% depuis mi-2053 à fin 2017. La hausse de la productivité est donc l’hypothèse centrale de toute la prévision, la base des choix faits et donc des risques actuellement pris par les Etats-Unis.

Trois à quatre ans de risques pour réussir, selon les prévisions. Hausser les tarifs sur l’acier à l’importation - au risque de faire monter le prix des automobiles, faire des États-Unis le premier exportateur mondial d’hydrocarbures - au risque de faire baisser le prix du pétrole, diminuer les impôts, surtout sur les entreprises et un peu moins sur les ménages- au risque d’accélérer l’inflation dans une économie déjà en plein emploi, de creuser le déficit budgétaire et de faire monter les taux... sont le prix à payer à moyen terme de ces choix de transformation, plus que de soutien conjoncturel. Plus profondément, réduire les régulations et accroître toutes les flexibilités, et au moins autant développer les grands travaux d’infrastructures, avec leurs coûts, complètent le tableau. Il s’agit de croître plus et mieux, de susciter plus d’emploi interne et de réduire le déficit commercial, qui pose un problème de financement, compte tenu du creusement prévu du déficit budgétaire (politique fiscale plus grands travaux).

Renforcer absolument la base électorale, pour passer le cap. En effet, si Donald Trump agit souvent violemment et par impulsion, ce n’est pas par hasard qu’il prend la plupart de ses décisions. Sa politique économique est en effet la politique qui consiste à renforcer « l’économie de ses électeurs », pour qu’ils votent le plus possible pour les Républicains lors des élections intermédiaires de novembre et pour lui en 2020, s’il se représente (ce qui est évidemment le message qu’il envoie et doit envoyer, ayant déjà nommé son directeur de campagne pour 2020). Et pourquoi donc cette stratégie économique si partisane et que l’on peut juger violente, sans recherche aucune de compromis ? Pourquoi prendre de tels risques, même si elle réussit ? Parce que, au-delà des questions qui pèsent sur les « influences russes » lors de l’élection de 2017, une réalité demeure, obsédante : Donald Trump a perdu le vote populaire, mais il a réussi dans les États qui ont fait la différence, grâce aux « grands électeurs ». Son succès est, en fait, autant la conséquence de sa démarche populiste et iconoclaste, que de calculs statistiques savants. Mais il sait qu’il ne pourra rééditer l’exploit : il n’y aura pas de nouvelle surprise, ses outils analytiques sont désormais connus. En plus, l’horloge démographique est contre lui, avec la progression des grandes villes, le vieillissement de son camp et plus encore son appauvrissement (villes moyennes, au centre du pays, industries anciennes et souvent de petite taille, sans oublier sa dépendance à la mécanique, au charbon et au pétrole (« classique » ou de schiste). C’est bien pour cela que Donald Trump est « protectionniste » : pour protéger ses électeurs ! En même temps, comme les politiques protectionnistes n’ont pas que des effets positifs à court terme (sachant leurs risques majeurs à long terme), il doit chercher des « victoires rapides » par les baisses d’impôts, pour augmenter les profits, les salaires et surtout la bourse.

Une politique risquée qui le met en butte à la Fed :avec cette politique,elle devrait accélérer les hausses de taux, et il faudra donc qu’il la calme (mais sans le dire). Cette politique a en effet trois effets pervers : elle creuse le déficit budgétaire, affaiblit le dollar, alimente l’inflation interne et importée. Elle pousse donc à la hausse les taux courts, puisque la FED devra réagir à la hausse de l’activité, aux risques d’inflation et de surchauffe, et pousse aussi à la hausse des taux longs, puisque le déficit se creuse. Alors la bourse pourrait baisser, le moral des entrepreneurs et des ménages chuter. Et les nouveaux débouchés extérieurs ne sont pas si sûrs…

Donald Trump va-t-il pousser les États-Unis en récession ? C’est le risque qu’il peut prendre en s’opposant à la Fed, ce que les marchés n’aimeraient pas du tout. Mais c’est le vrai risque qu’il prend en surestimant surtout la productivité, autrement dit le capital humain, sans s’en occuper. La situation de croissance autoentretenue rêvée par certains il y a encore quelques semaines : croissance en plein emploi sans inflation, n’est pas son véritable objectif, car cette croissance obtenue est jugée par lui insuffisante. Trump veut donc aller plus vite et plus fort, prendre le risque d’une inflation au-dessus de 2% (2,3% pour les prix à la consommation) avec des taux courts à 90 jours à 3% et des taux longs à 3,7%. Mais il ne suffit pas d’investir en ayant plus de profit, il faut former plus et mieux, pour travailler plus et mieux. Il a commencé à parler de la santé des salariés et du drame des opioïdes, mais sans faire le lien avec le reste. Et pourtant, l’hypothèse cruciale du plan Trump, celle de la hausse de la productivité, est sa faiblesse s’il ne fait rien pour la soutenir, et c’est alors que la récession menace. Former plus les salariés en permettant plus de profit, on verra si c’est « son genre ».

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