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Érosion dans les sondages : derrière le marketing des réformes à plein régime, Emmanuel Macron est-il en train de tomber dans un piège à la Hollande ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Zone de turbulences

Plusieurs sondages successifs ont confirmé le net recul du président de la République et de son Premier ministre dans l'opinion. Une érosion qui sanctionne le manque de profondeur de la stratégie macronienne.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Au cours des derniers jours, plusieurs instituts de sondage ont pu faire état de la baisse de popularité d'Emmanuel Macron auprès des Français, le dernier en date, le baromètre yougov pour le Huffington post de ce 1er mars indiquant une chute de 11 points au cours de ce dernier mois, à 30% d'opinions favorables quand le sondage Kantar Sofres pour le Figaro pointe une "érosion inquiétante" de la confiance des Français à 43%. Alors que cette baisse dans les sondages semble devenir une habitude pour les dirigeants du pays, ne serait-il pas possible de considérer que face à une telle situation, les dirigeants auraient tout intérêt à véritablement réformer le pays en profondeur, plutôt que de persévérer dans le réformisme ?  

Éric Verhaeghe : De fait, il existe une corrélation directe entre impopularité et volonté de réformer. Une réforme, je veux dire une vraie, avec des ambitions affichées et réellement mises en œuvre, induit forcément de se fâcher avec une partie de l'opinion qui y perdra. Le cas de la suppression des cotisations salariales en contrepartie d'une hausse de la CSG est emblématique. Peu de salariés ont perçu l'avantage net qu'ils retirent de cette mesure progressive. En revanche, les retraités fulminent (et le mot est faible) contre la baisse de leur pension subie à cette occasion. Dans ce cas précis, Emmanuel Macron s'est attaqué à une génération dont l'égoïsme est sans égal dans l'histoire de France. C'est une génération qui a connu les Trente Glorieuses et ses bienfaits, qui a peu cotisé pour les autres, qui a bénéficié de la retraite à 60 ans, des progrès de la médecine, et qui s'est accordée des brevets de souffrance justifiant, selon elle, le sacrifice des autres. Face à cet aveuglement, il est d'ailleurs inutile, pour le président, d'argumenter.

Dans ce contexte, se repose la question de la théorie du choc. Un Président doit-il réformer peu pour ménager au maximum les susceptibilités, ou bien doit-il réformer "comme il faut" pour obtenir des résultats rapides. On voit bien qu'Emmanuel Macron hésite entre les deux attitudes. S'agissant de la SNCF, par exemple, la remise en cause du statut des cheminots ne règlera pas le problème de la profitabilité à court terme de l'entreprise publique. Simplement, le remplacement des petites lignes par des autocars l'exposait à une fronde des élus locaux qui auraient convergé avec les cheminots. Et il savait que c'en était fini de ses espoirs de réélection.

Je suis assez convaincu qu'un président ne peut asseoir durablement son autorité que s'il brûle ses vaisseaux, c'est-à-dire s'il assume des réformes salutaires, mais impopulaires, et sans concession aux oppositions de tous poils. Au demeurant, l'ambition réformatrice de fond n'exclut pas qu'un Président qui la pratiquerait soit populaire par le courage qu'il afficherait.

Malgré un "marketing politique" plus abouti, Emmanuel Macron n'est-il pas dans une logique de piège ressemblant de plus en plus au chemin suivi par François Hollande ?

Ce qui est assez frappant, c'est le manque de profondeur de la stratégie macronienne, qui est incontestablement décevante. Macron est arrivé avec deux idées précises, répandues au demeurant dans les salons parisiens. Il y avait la réforme du Code du Travail, et les projets européens nouveaux. Il a ajouté une idée moins répandue dans le domaine fiscal: le prélèvement forfaitaire unique. Sortis de ces trois idées, on peine à percevoir la vision présidentielle dans son amplitude. Sur l'Afrique, sur la fiscalité locale, sur la réforme de l'Etat, on peine à percevoir la vision, au-delà de deux ou trois mots-clés régulièrement répétés. Sur ce point, les Français ne sont pas dupes des effets d'affichage. Les cafouillages sur la suppression de la taxe d'habitation mal calculée (on ne sait toujours pas comment elle sera remplacée) ou sur des mesures plus symboliques comme le chômage des démissionnaires (finalement réduit à peau de chagrin) montrent à l'opinion publique que la majorité est mal préparée et que son programme était indigent.

Dès lors, le président peine à dépasser l'image d'un énarque à la Hollande arrivé au pouvoir "à l'essai", et qui ne sait finalement faire autre chose que préserver la dépense publique, épargner ses fonctionnaires, et demander au reste du pays de se sacrifier pour maintenir l'ordre établi. Mal expliquée, la hausse la CSG pour les retraités, restera longtemps comme le signal envoyé sur cette incapacité à réformer vraiment. On verra le prix que Macron paiera si, en fin d'année, les mesures qu'il a à proposer sur la réforme de l'Etat sont déceptives.

Quel est le signal envoyé par les Français, aussi bien à Emmanuel Macron, qu'à sa classe politique en répétant cette perte de confiance à l'égard de leurs représentants ?

Il existe, en droit allemand, une théorie dite de la confiance légitime du citoyen dans ses institutions. Dans le monde germanique, le citoyen doit pouvoir faire confiance à ses institutions comme garantes de ses intérêts, et partir du principe qu'elles ne cherchent pas à le mettre en défaut. Combien de Français diraient de leurs institutions, de leur administration, de leur Président de la République, qu'ils leur inspirent une confiance légitime?

Cette crise de la confiance dans les institutions est probablement le sujet majeur qui explique la rupture entre les Français et les pouvoirs publics qui les dirigent. On le retrouve au passage dans la question des fake news. De plus en plus de Français doutent des versions officielles et soupçonnent des motifs cachés dans les décisions publiques. Crise de la confiance et crise de la décision publique sont les deux visages d'un même mal qui complique la tâche de gouverner la France.

Sur ce point, Emmanuel Macron n'a cessé de nourrir les suspicions, même de façon diffuse. Le fait que les impôts aient continué à augmenter et que la dépense publique ne baisse pas, bien au contraire, maintient l'idée que le Président est dans la communication et non dans la décision. Le fait qu'il cherche régulièrement à écarter la presse, voire à la bâillonner, accroît ce sentiment de vouloir préserver une façade derrière laquelle se dérouleraient des agissements inavouables mais qu'il faut cacher. La suppression de l'ISF fait partie de ces agissements qu'il faut cacher, ou dont il faut diminuer au maximum la visibilité.

La meilleure réaction à ce phénomène est probablement de garantir aux Français une lisibilité claire sur les mesures qui seront prises durant le quinquennat, à la manière des contrats de gouvernement en Allemagne.

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