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Pourquoi les chômeurs allemands risquent beaucoup plus la pauvreté que les Français sans emploi
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Mieux vaut être français ou allemand... ?

Selon des statistiques publiées par Eurostat, il apparaît que les chômeurs allemands de 16 à 64 ans subissent un risque de pauvreté de 70.8%, soit le plus élevé d'Europe, contre 38.4% en France.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Selon des statistiques publiées par Eurostat, il apparaît que les chômeurs allemands de 16 à 64 ans subissent un risque de pauvreté de 70.8%, soit le plus élevé d'Europe, contre 38.4% en France. Comment expliquer une telle différence entre les deux pays ?

Selon l’étude menée par l’institut statistique Eurostat, 48,7% des chômeurs de l’Union européenne, âgés de 16 à 64 ans, étaient, en 2016 menacés de pauvreté en prenant en compte les transferts sociaux. Le risque de pauvreté monétaire était cinq fois plus élevé que pour les actifs (9,6 %). Avec la crise de 2008, ce risque a fortement progressé. Il est ainsi passé de  41,5 % en 2006 à 48,7 % en 2016.
C’est en Allemagne où la proportion de chômeurs menacés de pauvreté est la plus élevée. Elle est de 70,8 % contre 38,4 % en France. Notre pays figure parmi les bons élèves de l’Europe. Seuls Chypre et la Finlande obtiennent de meilleurs résultats (37,3 % pour les deux pays).
L’importance des prestations sociales en France qui représentent 34 % du PIB expliquent l’écart avec l’Allemagne. L’indemnisation est dans notre pays plus généreuse que dans la grande majorité des pays européens. Par ailleurs, le Revenu social d’activité ainsi que les mécanismes de couverture santé (CMU/CMUC) permettent une moindre exposition à la pauvreté.
Les conditions d’accès à l’indemnisation du chômage sont beaucoup plus strictes et limitatives. Il faut justifier d'une durée préalable d'affiliation d'au moins 12 mois au cours des 2 années précédant l'inscription comme demandeur d'emploi (période de référence). La durée de versement des allocations est plus courte qu’en France et leur montant est plus faible. En cas de refus d'un travail, d'une formation, d'un stage ou d'une mesure d'insertion proposée, l'allocation peut être réduite ou supprimée. La multiplication de contrats à durée déterminée entrecoupés de période sans activité peut restreindre la durée de versement et le montant des allocations.

Dans quelle mesure le lien existant entre risque de pauvreté et incitation au travail est-il valable ? Le fait que le Danemark soit également dans une situation de plein emploi, tout en ayant un risque de pauvreté de 38.6% pour les chômeurs, soit un chiffre comparable à celui de la France, n'indique-t-il pas que ce lien pourrait être sans effet sur l'emploi ?

Plein emploi ne rime pas obligatoirement avec précarité. Certes, en Allemagne ou aux Etats-Unis, la tendance est à la montée des inégalités. D’un côté, les salariés des grands groupes qui réclament des augmentations de salaire et une réduction du temps de travail ; de l’autre, les contractuels, les CDD, les intérimaires, les indépendants des plateformes collaboratifs qui subissent de plein fouet les réductions des coûts. Le Danemark a réussi à maintenir une certaine forme de cohésion sociale tout en garantissant le plein emploi.
La fameuse flexi-sécurité du Danemark fonctionne plutôt bien. La France hésite sur le modèle à suivre. Le statut d’auto-entrepreneur devenu micro-entrepreneur est une source de précarité s’il ne s’accompagne d’une couverture sociale adaptée. Le projet d’Emmanuel Macron de prévoir une assurance-chômage aux travailleurs indépendants constitue une réponse à ce risque. Qu’il faille plus de mobilité, de simplicité, de flexibilité dans le droit du travail et le droit social, c’est certainement nécessaire mais il faut également prévoir des garde-fous qui tiennent compte des nouvelles réalités économiques. Il faut souligner que le Danemark a maintenu un fort degré de protection sociale. Ce ays se bat avec la France pour être sur le podium européen en la matière.


Si la France a bien un problème avec son taux de chômage, l'Allemagne semble bien avoir un problème avec la situation des chômeurs. Comment arriver à trouver un juste milieu entre de telles situations ?

L’Allemagne est un pays de plus en plus duale avec d’un côté  ses grandes entreprises, ses industries exportatrices et de l’autre ses minijobs, ses activités de service. En France, au pays de la norme nationale, les salaires augmentent aussi vite ou presque dans tous les secteurs. Les droits sont peu différenciés ce qui est évidemment une source de problèmes pour les PME. Mais, si en France, le statu quo demeure, notre droit social continuera à s’effriter. In fine, d’ici quelques années, la situation pourrait pire en France qu’en Allemagne. Dans le domaine de la santé, à défaut de vouloir réformer, les patients sont moins bien traités. De même, en matière de retraite, le refus d’accepter de reporter l’âge de la retraite, aboutit implicitement à diminuer le niveau relatif des pensions. Le pouvoir d’achat des futurs retraités pourrait diminuer de 10 à 15 % d’ici 2030.
La France dispose pour le moment d’un haut niveau de protection sociale mais qu’elle n’arrive plus à financer. Le pays accumule de la dette dont le poids représente près d’une année de PIB. Le risque majeur qui menace la France est une contraction de ses dépenses sociales de 10 à 15 % pour les remettre au niveau de sa richesse réelle. Il convient donc pas trop se réjouir de notre classement en matière de pauvreté car notre position est un trompe l’œil.

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