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Mission impossible ? De la difficulté d’établir des plans anti-radicalisation quand on comprend encore si mal le phénomène
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Gageure

Le Premier ministre, Édouard Philippe, a dévoilé vendredi un nouveau plan de prévention de la radicalisation à l'issue d'un comité interministériel réunissant 12 ministères, de l'Intérieur à l'Education nationale, en passant par la Justice.

Chems Akrouf

Chems Akrouf

Chems Akrouf est un expert en intelligence stratégique et ancien analyste en renseignement au sein de la Direction du Renseignement Militaire (DRM).

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Atlantico : Quelques années après la prise en compte du phénomène de radicalisation et les problématiques liées au désembrigadement (déradicalisation), que sait-on aujourd'hui vraiment sur ces deux phénomènes ?

Chems Akrouf : Très peu de choses. Il y a plusieurs volets à prendre en compte. Un des premiers est de savoir si Daech est encore opérationnel ou pas, ce qu'ils ont diffusé en termes de propagande de conditionnement avec des algorithmes de référencement est diffus et s'est diffusée largement. Cette propagande qui a servi à la radicalisation était étudiée pour répondre à des besoins émotionnels ou cognitifs, pour donner des réponses au sentiment de mal-être dans la société en insufflant un retour au communautaire par rapport à une défiance généralisée.

Mais sur le terme même de radicalisation il y a un problème sur le terme. Il vaut mieux parler d'extrémisme violent et d'engagement sécuritaire. Radical dans quoi ? Dans sa manière de pratiquer sa religion ? Cela ne veut rien dire. Le terme a été usé jusqu'à la corne et galvaudé.

La difficulté sur ces thèmes de "radicalisation" et de "déradicalisation", c'est que le gouvernement précédent a été dans l'annonce. Manuel Valls annonçait des centres de "déradicalisation" dans des régions, une réponse publique forte mais sans qu'il y ait de protocoles établis dans ces centres. Il n'y a pas eu de temps de réflexion, ni stratégique, ni médicale… Il n'y a pas eu de réponse de la part des instances étatiques.

Sur l'histoire de la déradicalisation plus précisément, il faut comprendre qu'au départ, il y a eu un déni du gouvernement sous François Hollande. Lorsque des gens tiraient la sonnette d'alarme en disant que des gens allaient se battre aux côtés de l'Etat islamique, on a minimisé le phénomène. Dès que des personnes passaient à la télé pour parler de cela, il y avait des pressions pour éviter qu'elles ne reviennent en plateau. Après, il y a eu un début de prise en compte par les autorités et on s'est aperçu que les gens partis se battre contre le "méchant Bachar El Assad" n'étaient pas si gentils que cela. Puis il y a eu les attentats.   La réponse publique est venue avec le cas Dounia Bouzar et les centres de déradicalisation avec le succès qu'on leur connaît : beaucoup d'argent dépensé, pas de résultat concret et une myriade d'acteurs, attirés par l'appât du gain plus que par la recherche. Au final, il y avait très peu d'acteurs avec une vraie expertise universitaire utile. J'avais tiré la sonnette d'alarme à ce moment-là en expliquant la nécessité d'axer le travail sur la recherche universitaire. Nous avons commencé à la faculté de médecine de Lyon à travailler avec nos partenaires américains sur ces questions car ils avaient eux même l'expérience de gens revenus sur leur territoire. Le but à l'époque était de comprendre pourquoi des gens qui n'étaient pas de confession musulmane arrivaient à adhérer à l'idéologie.

Nous avons mis en lumière comment Daech créait des algorithmes de référencement pour permettre d'attirer progressivement les gens vers eux. Les vidéos qui venaient questionner l'ordre social et le complotisme amenaient les potentiels recrutés dans des fils de conversation où s'échangeaient à nouveau des propos et des vidéos de plus en plus violents. L'embrigadement, in fine, se faisait de manière progressive. Les recruteurs ont prospéré sur le flux du digital.

A cela, ajoutez que suite à l'affaire Merah, une vraie paranoïa s'était développée dans nos services qui ont décidé d'écarter tous les gens d'origine musulmane. Il est difficile de faire du renseignement humain lorsque vous n'avez que des blonds aux yeux bleus dans ce milieu.

Il aura fallu les attentats que l'on a connu en France avant que le gouvernement ne commence à se dire qu'il serait judicieux de passer par le monde associatif, par l'éducation et la recherche pour essayer de faire de la prévention et de la détection du phénomène de radicalisation.

Il faut être honnête sur ces questions, c'est trop grave et il faut dire qu'il y a eu de nombreux impairs. Maintenant il faut aussi se féliciter je pense qu'il y ait une prise en compte du gouvernement sur ces questions.

Le fait, comme l'a fait le Premier ministre, d'annoncer des mesures pluridisciplinaires qui prendront vraiment en compte les expertises françaises et internationales pour répondre à ce phénomène, ne serait-ce qu'en faisant de la prévention, est encourageant.

Que penser des nouvelles mesures annoncées hier matin par le gouvernement ?

Concernant la prison, la difficulté est que l'on a laissé des gens incarcérés pour des délits de droit commun être en contact avec des doctrinaires. Ou alors des gens qui ont des signes faibles de radicalisation sont isolés avec des gens dont la radicalisation atteint des degrés plus élevés. Le deuxième entraînant le premier, il y a une vraie contagion qui s'opère aujourd'hui dans les prisons.

Le fait d'avoir des centres dédiés et la construction de places supplémentaires réservées à ce type d'individus est une bonne chose, mais il va aussi falloir penser à former les encadrants pour essayer au maximum de faire du désengagement sécuritaire. Il y a un vrai travail de désamorçage à faire avec ces personnes et ce sera un travail de très longue haleine et très coûteux pour arriver à de bons résultats. Si ce qui a été annoncé sera vraiment mis en œuvre avec les moyens adéquats, il faudra saluer la chose.

Sur les centres de jour à Marseille Lyon et Lille, le terme expérimental a été employé et avec l'exemple de Pontourny on ne saurait que trop les y inciter. Je ne pense pas que ces centres de jour auront vocation à délivrer des permis de sujet déradicalisé. Un progrès toutefois : les gens iront sous contrainte et les profils seront plus extrêmes que Pontourny mais on sait trop peu de choses pour se prononcer dessus.

L'initiative qui consiste à écarter les fonctionnaires identifiés comme radicalisés doit dans les faits être saluée, mais il faudrait être sûr de la radicalisation et prendre garde à ne pas créer nous-mêmes nos propres terroristes. Il faut que cela soit bien fait et ne repose pas que sur des soupçons. Cas réel : un homme dans une mairie, après le ramadan, rapporte des gâteaux à ses collègues et décide de venir en djellaba.  Problème : dans le bâtiment d'en face, des personnes ont vu que du jour au lendemain le fonctionnaire était venu en djellaba et l'homme s'est fait signaler. Depuis il est fiché S. Il faudra faire attention aux amalgames et être très prudent.

Sur le renfort des écoles hors contrat, il faut comprendre qu'il y a beaucoup d'écoles hors contrat où une idéologie victimaire est développée ; c'est dangereux. Le cas des écoles hors contrat mérite donc que l'on s'y intéresse et de manière générale. Tout ce qui peut être fait pour accentuer la sécurité mérite d'être salué. Seul problème : annoncer que l'on va accentuer les contrôles, c'est aussi prévenir les lieux problématiques de ce renforcement et, à mon sens, la mesure devient du vent.

Sujet intéressant : les réseaux sociaux. Je pense que les demandes faites à ces derniers par notre gouvernement vont les inciter à s'adapter.  Les réseaux sociaux sont un vecteur d'embrigadement qui permet de diffuser de la propagande mais il ne faut pas oublier qu'ils collaborent déjà avec les services de renseignement.  C'est bien pour cela que les djihadistes se sont rabattu sur des messageries cryptées.  De ce point de vue, la mesure me semble plus politique qu'autre chose.

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