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Europe : comment construire un avenir commun alors que l’étude de la presse des principaux États de l’Union montre que nous ne sommes absolument pas d’accord sur l’interprétation du passé récent ?
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Complexe

A travers les données agrégées et curées dans près de 52 000 articles, les chercheurs se sont aperçus que l'histoire et les responsabilités avaient tendance à varier en fonction des pays.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Une étude du think-tank belge Bruegel a analysé le récit médiatique de la crise financière de 2008 à travers quatre journaux dans quatre pays européens : Le Monde en France, Sueddeutsche Zeitung en Allemagne, La Stampa en Italie et El Pais en Espagne.  A travers les données agrégées et curées dans près de 52 000 articles, les chercheurs se sont aperçus que l'histoire et les responsabilités avaient tendance à varier en fonction des pays. Les Allemands blâmaient tous les autres dans la survenue de la crise, les Français blâmaient tout le monde y compris l'Allemagne pour son intransigeance, l'Espagne se blâmait elle-même et l'Italie avait tendance à se considérer comme une victime collatérale. Comment peut-on expliquer ces différences de point de vue ? Que révèlent-elles ?

Nous sommes confrontés à l’un des angles morts de la construction européenne. Nous faisons comme s’il n’y avait pas des différences de tempérament, de culture, de système éducatif entre les acteurs. Pourtant, il suffit d’avoir négocié dans un contexte international pour se rendre compte qu’il y a des traditions de négociation différentes. J’ai eu un jour à négocier un accord avec une université chinoise; on m’avait annoncé que le style de négociation du futur partenaire serait pour moi.... »du chinois ». J’étais préparé, on m’avait indiqué quelques codes à respecter pour ne pas être mal compris. Eh bien! J’ai trouvé l’ensemble de la négociation plus facile que l’élaboration d’accords du même type dont j’avais l’expérience avec des universités européennes.  Les Euyropéens sous-estiment l’importance de l’histoire; les systèmes éducatifs, par exemple, sont très différents, au moins dans leur construction. Evidemment, il existe dans chaque nation des sous-ernsembles.
L’opposition entre une Allemagne de culture protestante et une Allemagne de culture catholique se sent encore aujourd’hui. Ldes quarante ans de RDA ont laissé des traces durables et identifiables. Cependant, comme le savait le Général de Gaulle - et comme nous l’avons oublié - les nations sont des réalités. A quoi reconnaissez-vous aujourd’hui un Français dans une grande réunion internationale? C’est le seul qui dit du mal de son propre pays. Ceci remonte au traumatisme de la Révolution française, où les élites aristocratiques ont émigré et les nouvelles élites républicaines n’ont pas réussi à rallier la majorité du pays sans violence. Bien entendu, vous identifierez aussi des ensembles plus grands que les nations. Toynbee, Spengler ou Huntington ont repéré des « civilisations ». 

Quelles conséquences peut avoir la non européanisation d'un débat public qui semble rester coincé entre les frontières des pays respectifs pour le futur de la construction européenne et les futurs débats à mener ?

Le Général de Gaulle avait proposé une vision réaliste de l’Europe, dont ses successeurs se sont progressivement éloignés. J’emploie réaliste au sens de la philosophie médiévale: les successeurs ont eu une vision « nominaliste » de l’Europe; ils ont voulu faire comme s’il suffisait de proposer un schéma d’unification européenne pour que la réalité se plie au schéma.  L’oppositioon n’est pas seulement entre les défenseurs de « la nation » et les partisans de la supranationalité. De Gaulle pensait, par exemple, que la monnaie était une question universelle et non pas seulement nationale ou européenne. Il militait pour un retour à l’étalon-or, c’est-à-dire pour un étalon monétaire universel.  Il y a des sujets qui ne peuvent être envisagés qu’universellement, comme la monnaie ou les droits de l’homme. Il y en a d’autres qui relèvent du niveau national. Par exemple la laïcité: chaque pays a une histoire différente concernant les relations entre religion et Etat; de même les systèmes d’enseignement secondaire sont très dépendants d’une histoire nationale. Notre vision de la laïcité est incompréhensible pour la plupart de nos voisins européens. Il faut bien entendu raffiner le schéma.
Qu’il y ait un étalon monétaire international n’empêche pas que le rapport au crédit soit quelque chose de très « national ». Regardez l’oppositon de comportement absolue entre les Américains et les Allemands qui se croient souvent si proches: dans les années 1990-2010, la carte de crédit était la chose la plus répandue aux USA tandis que dans beaucoup de magasins allemands on ne piuvait encore payer qu’en liquide. Ne soyez pas étonné, après cela, que les Allemands reprochent aux Américains d’avoir déclenché la crise par leur endettement et, inversement, les Américains critiquent la sous-consommation allemande. 

Comment faire dans ce cas pour européaniser le débat public selon vous ?

D’abord, il faut accepter le fait que l’Union Européenne ne pourra pas tout faire, loin de là. Elle n’a pas vocation à se substituer aux Etats nationaux. Vingt ans de recul nous permettent de dire que la gestion des taux d’intérêts directeurs depuis un seul endroit, Francfort et la Banque Centrale Européenne, est une énorme absurdité. Le dynamisme économique européen en est considérablement freiné. De même, je ne crois pas un instant en une défense européenne au sens où nous l’employons. Le choix de l’Europe est entre sa division en trois groupes: un groupe atlantiste, un groupe neutre et un groupe russophile; soit dans l’organisation d’une sécurité « de l’Atllantique à l’Oural » qui inclue la Russie et laisse les Etats-Unis en dehors. Je viens de décrire les positions respectives de Winston Chuirchill et de Charles de Gaulle aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale.
Le sujet européen unificateur par excellence, ce sont l’enseignement supérieur et la recherche: d’Erasmus, ce maginifique succès au European Research Council, cette invention qui est sans doute la moins bureaucratique et la plus efficace de l’Union Européenne. Dans tous les cas, un élement essentiel d’une construction européenne réussie passe par l’éducation, dès l’école et le collège, à la perception des histoires diverses qui s’enchevêtrent pour constituer le tissu européen. Notre actuelle vision de l’Europe, c’est la Tour de Babel: un petit groupe d’individus persuadés qu’il suffit de concevoir et bâtir un édifice unique pour que les peuples s’unissent . Le récit biblique conserve une vieille sagesse: royaumes, Etats ou empires ne se construsent pas sur une uniformité décrétée d’en haut. 

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