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Opération de la cornée : les malvoyants pourront enfin (entre)voir le bout du tunnel
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On y voit plus clair !

Grâce à la culture de cellules souches prélevées dans la muqueuse de la bouche, les chirurgiens ophtalmologues de l'hôpital Edouard Herriot ont mis au point une opération capable de régénérer la cornée malade de l'oeil. Un espoir pour tous les malvoyants souffrant de cette déformation.

Carole Burillon

Carole Burillon

Carole Burillon est chirurgien ophtalmologiste au groupement hospitalier Edouard Herriot à Lyon. Elle est à la tête de l'équipe qui, en collaboration avec le laboratoire d'Odile Damour, a réalisé les opérations de remplacement de l'épithélium de la cornée avec succès.

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Atlantico : En collaboration avec le laboratoire d'Odile Damour chargé de la culture de cellules souches, votre équipe est parvenue à remettre en état les cornées malades de plusieurs patients malvoyants leur assurant ainsi un espoir de retrouver la vue ne serait-ce que partiellement. Comment se déroule cette opération ?

Carole Burillon : Certaines maladies de la cornée, causées par les brûlures oculaires faites à la chaux ou avec un liquide acide ou basique, entament gravement l’épithélium de la cornée c’est-à-dire sa couche superficielle. Cet épithélium est composé de cellules souches et après l’accident il se trouve que ces cellules, situées à la périphérie de la cornée au contact avec la conjonctive qui est la partie blanche de l’œil, meurent.  L’épithélium ne peut donc plus se régénérer convenablement et cela entraîne des ulcères de cornée à répétition. Cette pathologie est fort désagréable pour les patients d’abord parce que très douloureuse et ensuite parce qu'elle est contraignante en raison de la photophobie qu’elle entraîne.

Au bout d’un moment, sans les soins nécessaires, une opacité de la cornée se développe et le patient devient malvoyant. Cette opacité est crée par une réponse négative de l’organisme. En effet, pour que la cornée cicatrise des différents ulcères dont elle est victime, l’organisme fait en sorte que la conjonctive se développe et recouvre peu à peu la cornée. Le souci c’est que la conjonctive n’est pas transparente, elle est blanche et parcourue de petits vaisseaux. Ce phénomène de défense de l’organisme s’appelle la conjonctivalisation. Quand cela arrive, on ne peut plus rien faire actuellement car la greffe de cornée – seule solution  envisageable pour contrer ses affections- sera obligatoirement et immédiatement rejetée en raison des vaisseaux.

La seule solution thérapeutique est d’apporter de nouveau un épithélium saint grâce à des cellules souches qui vont le régénérer. Quand seul un œil est atteint, la solution toute simple est d’aller prélever dans la périphérie de l’œil saint les cellules souches et le greffer dans l’œil malade.  Mais quand l’atteinte est bilatérale, cela devient un peu plus compliqué. 

Or une idée a émergée il y a longtemps, consistait à aller chercher dans la muqueuse bucale – très riche en cellules souches – un échantillon pour le mettre en culture dans un laboratoire. Notre chance à Edouard Herriot c’est d’avoir pu collaborer avec le laboratoire du Professeur Odile Damour qui est devenu la clé de voute de l’opération. En effet, c’est elle qui se charge d’extraire les cellules épithéliales de la muqueuse bucale, les mettre en culture et les faire proliférer pendant trois semaines et de telle façon qu’elles se différencient et deviennent des cellules épithéliales de la cornée. On leur fait subir comme une petite mutation.

Mais, restait encore un problème à gérer et la solution nous a été apportée encore par le Professeur Odile Damour qui lors d’un voyage au Japon a rencontré des confrères de la firme Censeed et qui travaillaient sur un support de culture thermolabile – c’est-à-dire que lorsque l’on est à température de culture : 37°, les cellules de la culture adhèrent et prolifèrent. Ramenées à la température de la cornée, c’est-à-dire 20°, elles se détachent naturellement et spontanément. C’est un avantage considérable car on gagne du temps. En effet, sans l’utilisation de ses supports nous sommes obligés d’utiliser des protéïnes et des enzimes qui  décollent les cellules de la culture mais malheureusement les abîment.

Ainsi une fois dans le bloc opératoire, ou la température est de 20°, les équipes qui interviennent peuvent facilement décoller les cellules qui reforment l’épithélium et les poser sur la cornée malade du patient, après avoir enlevé toute la conjonctive qui a poussé.  Une fois collée, elle empêche de nouveau les ulcères et la prolifération de la conjonctive de la cornée.

Une fois cette opération faite en combien de temps s’opère le retour à la vue ?

Si la cornée est peu malade c’est-à-dire atteinte simplement en surface, l’opération que j’ai décrit suffit à lui redonner la santé. Cependant, les patients que j’ai traités, étaient en moyenne malade depuis 25 ans, donc ont subi des ulcères à répétition qui ont fini par contaminer toute la cornée. Dans ce cas-là, en restituant l’épithélium on ne fait qu’un travail de surface qui est suivi un an ou quelques mois après d’une greffe de cornée qui a toutes les chances de réussir, alors qu’auparavant sans cette petite intervention les greffes auraient été totalement rejetées.

Est-ce seulement pour les cas de cornées malades sont-ils seulement dues aux brûlures que vous avez décrites ?

Non. Mais il est vrai que l’opération que nous avons réussi ne peut soulager que les patients dont la cornée est endommagée. Et pour ce faire, soit il s’est passé un accident soit effectivement les patients sont venus au monde avec une malformation de la cornée.  Ce qui est terrible avec cette petite calotte c’est que finalement ce n’est pas l’œil qui est atteint, il fonctionne très bien. Le cristallin, l’iris, et la rétine sont en bon état. Pour comprendre, comparons l’œil à une montre : l’œil en lui-même est le mécanisme et la cornée est le verre de la montre. Si pour une raison où une autre ce verre est rayé ou endommagé vous ne voyez plus l’heure et votre montre fonctionne mal.

Quel est le taux de réussite de cette opération ?

On estime qu’il y a 60% de bons résultats, et je pense que le taux n’est pas plus élevé en raison d’une quantité insuffisante d’épithélium saint injectée. Comme nous savons maintenant que cette technique n’est pas dangereuse, on pourrait très bien apporter un plus grand nombre de cellules souches.  Ensuite, il faut prendre en compte les cas où est associée à la maladie un glocome qui nuit à la capacité visuelle.

Mais l’opération est d’autant plus convaincante qu’elle n’est pas suivie de rééducation. Une fois réalisée, les patients suivent un traitement, et passent quelques examens. Les patients les plus suivis sont les malvoyants de naissance qui ne récupèrent pas une acuité visuelle parfaite, mais en tout cas voient les choses un peu plus nettement. Cela leur permet de devenir plus autonome et en soit c’est déjà une petite victoire.

Propos recueillis par Priscilla Romain

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