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Combien de temps faudra-t-il à l’Occident pour réaliser qu'il n'est plus le centre du monde ?
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Le monde est stone

Robert Mugabe qui pourrait avoir été soigné cette semaine... à Singapour. La Chine, le Brésil ou l'Inde qui dictent leurs règles à l'Europe. Décidément, la mondialisation n'est plus ce qu'elle était. Mais qu'est-elle vraiment devenue aujourd'hui ?

Jean-Michel Schmitt

Jean-Michel Schmitt

Jean-Michel Schmitt est politologue, spécialiste des relations internationales. Il s'exprime sur Atlantico sous pseudonyme.

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Atlantico : Robert Mugabe est rentré ce jeudi de son déplacement à Singapour où il aurait, selon certains médias, était soigné. Au-delà de l'état de santé du Président zimbabwéen, l'hypothèse même qu'il ait pu être soigné à Singapour n'illustre-t-elle pas les nouveaux rapports qui régissent les relations internationales ? Alors que la mondialisation est depuis des années analysée depuis l'Occident, n'est-il pas temps de décentrer notre regard ? 

Jean-Michel Schmitt : C’est peut-être la mondialisation elle-même que nous ne voyons pas ! Nous partons d’une vision qui reste très "euro centrée". Depuis 1648 et la fameuse paix de Westphalie, l’Europe est le champ de bataille et le centre du monde. Jusqu’en 1989, le monde était marqué par une opposition Est/Ouest. Il est désormais dépassé par l’apparition de nouveaux mondes et de nouveaux clivages.

On a toujours considéré que le Sud était une sorte d’arrière boutique, d’annexe, une réserve de ressources énergétiques, peut-être même plus tragiquement d’êtres humains. En vérité, une coopération et même des relations suivies Sud/Sud composent de plus en plus les relations internationales. Et effectivement, l’Occident a tendance à les ignorer. La surprise que l’on ressent lorsque le Brésil intervient au Moyen Orient, lorsque l’Inde, le Brésil ou la Turquie sont actifs en Afrique, lorsque l’Inde, l’Afrique du Sud et le Brésil s’unissent dans l’IBAS, ce n’est rien d’autre qu’une des faces nouvelles de nos relations internationales. 

Vous évoquez l'IBAS (Inde, Brésil, Afrique du Sud)... Peut-on également analyser la mondialisation via l'ascension des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ?

La notion de BRICS est une notion analytique inventée par Goldman Sachs pour analyser les nouvelles relations économiques internationales liées aux effets d’émergence. C’est une notion importante, qui s’est peu à peu institutionnalisée puisque cette catégorie analytique est devenue un acteur politique.

Ainsi, chaque année un sommet réunit les chefs d’Etat des BRICS qui forment tout de même un ensemble très composite, puisque la Russie et la Chine constituent des cas à part. Plus actif, l’IBAS devient l’un des nerfs des relations internationales contemporaines. Dans la mondialisation, il y a l’idée d’une communication généralisée. Donc la communication Sud/ Sud, qui autrefois - du temps de la décolonisation et du Tiers-Monde traditionnel - ne faisait pas grand sens, devient aujourd’hui une banalité, le quotidien de notre jeu mondial.

Il faut bien comprendre que notre monde n’est plus binaire. Il a été dominé par le clivage Est/Ouest, puis par l’hypothèse d’une opposition Nord/Sud, mais on s’aperçoit maintenant que le Sud n’est pas uniforme et qu’il y a à la tête du Sud des puissances qui en dérivent, sortent, qui en sont le produit, mais qui, du fait de leur succès économique, s’installent sur la frontière entre Nord et Sud.

Il faut toutefois préciser notre analyse. Une partie du Brésil est très liée au Nord : celle de la grande bourgeoisie pauliste qui a des relations extrêmement poussées avec les Etats-Unis. Mais il existe aussi un Brésil du Sud : celui des paysans du Nord-Est qui rejoignent dans la pauvreté les grandes masses paysannes du Sud.

De la même façon, il existe une Inde très liée au Nord : celle des ingénieurs informatiques de Bangalore. Et l’Inde qui fait toujours partie du Sud : celle des paysanneries pauvres de la vallée du Gange ou de l’Uttar Pradesh.

La même réflexion vaut enfin pour la Chine : entre les paysanneries très pauvres de l’inter land et les entrepreneurs des côtes pacifiques chinoises il y a une différence énorme, et donc une identification à des mondes différents.

A une mondialisation internationale s’ajoute donc une mondialisation intra-nationale ?

Bien sûr ! Qu’y a-t-il de commun entre l’entrepreneur d’Istanbul et le paysan d’Anatolie ? Entre l’homme d’affaire brésilien et l’habitant d’Amazonie ? Certains pays ont comme grâce ou comme handicap d’appartenir en même temps au Nord et au Sud : cela rend l’opposition Nord/Sud moins claire et les solidarités transversales d’autant plus actives.


Le « choc des civilisations » évoqué par Samuel Huntington pour expliquer le monde trouve-t-il grâce à vos yeux ?

Samuel Huntington a essayé de faire une carte du monde à partir des cultures. Mais l’on s’aperçoit en fait que ces mondes que Huntington présentait comme homogènes sont en réalité très différents. La mondialisation, c’est cela aussi : la différence qui intervient à l’intérieur d’espaces que l’on tenait autrefois pour homogènes.

Il y a certainement une culture chinoise différente d’une culture indienne, mais à l’intérieur de ces mondes, différents clivages et frontières sont en train de se construire.

Quelles sont donc les clés pour comprendre le monde d’aujourd’hui ?

Il y a d’abord le mot inclusion. Nous nous trouvons pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, dans un monde qui inclut tout le monde. Et on aurait avantage à cesser de voir ce monde depuis notre balcon européen ou occidental. Il convient également de cesser de penser que la gouvernance de ce nouveau monde peut se faire à partir de la seule oligarchie des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, des huit du G8 ou des 20 du G20.

On vit dans un monde où tout le monde est embarqué sur le même bateau, ce qui fait que le faible a plus d’importance aujourd’hui qu’hier, et d’un certain point de vue, la mondialisation fait que le fort dépend de plus en plus du faible.

En outre, la mondialisation nous renvoie à la démesure des contrastes sociaux. Quand notre monde était simple, les contrastes sociaux à l’intérieur de l’espace européen existaient, mais n’étaient pas dramatiques. Aujourd’hui, la respiration du monde se fait en fonction des contrastes énormes qui séparent le paysan de la bourgeoisie huppée et entreprenante des métropoles européennes. Le fait que nous soyons dans un monde où toutes les trois heures près de 3 000 hommes et femmes meurent de faim indique bien que la clé de la mondialisation, c’est bien cette démesure que l'on trouve entre les différentes catégories sociales : celles-ci se voient et se connaissent grâce au développement des médias, mais peuvent ressentir par la même occasion des sentiments d’humiliation et de rancœur face à leur situation. La gouvernance mondiale, passe donc d’abord par une gouvernance sociale. C’est peut-être cela la clé de la mondialisation actuelle.

Quid de la France ? Comment la situer dans cette mondialisation ?

La France se croit encore dans un monde gouvernable par une petite oligarchie issue des limbes de notre système international, c’est à dire de la paix de Westphalie. Mais ce monde là est terminé.

Au lieu de se recroqueviller dans sa coquille occidentale, elle devrait regarder le monde dans sa diversité et tenter de construire des passerelles avec des Etats venant du Sud qui s’inscrivent à la frontière Nord/Sud. Nous aurions plus à gagner avec des partenariats économiques, commerciaux, mais aussi politiques avec le Brésil, la Turquie ou l’Inde, plutôt que de rafistoler sans véritable chance de succès notre vieux club européen.

Il faut comprendre que la diplomatie des puissances émergentes peut aujourd’hui réaliser des choses que notre diplomatie européenne ne peut pas faire. Ne serait-ce que parce qu’elles sont davantage acceptées par les pays du Sud, par les pays les plus pauvres, ou parce que ces puissances émergentes n’ont pas ce passé impérial ni eu à souffrir de la domination occidentale. Il y a donc peut être là une nouvelle combinaison possible qui serait certainement très profitable à la France et à son destin mondial.         

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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