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Pourquoi Emmanuel Macron refuse-t-il à la Corse la transformation qu’il souhaite pour la France ?
©Hamilton DE OLIVEIRA / POOL / AFP

Contresens

En disant vouloir faire de la Corse, la « pointe avancée » de la France en Méditerranée, il dilue sa spécificité dans un ensemble plus vaste, s’inscrivant dans sa stratégie de leadership européen.

Vincent de Bernardi

Vincent de Bernardi

Vincent de Bernardi est directeur de la communication et des relations institutionnelles de CCI France. Il a été auparavant directeur du service d'information du Gouvernement (SIG), directeur général du Syndicat de la Presse Quotidienne Régionale (SPQR) et conseiller dans différents cabinets ministériels. 

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« Le pays a besoin de transformation et les Français le savent. » Par cette déclaration prononcée fin août 2017, Édouard Philippe ne répondait pas seulement au leader de la France insoumise qui voyait dans la réforme du code du travail un coup d’État social.

En effet, le chef du gouvernement annonçait une méthode en rupture avec celle qui prévalait jusqu’à présent, fondée sur l’idée que les Français n’acceptent pas les conséquences des réformes. Quelques jours plus tard, depuis Athènes, en dénonçant dans un propos qui a fait polémique les «fainéants» qui n’ont pas eu le courage de faire les réformes nécessaires, Emmanuel Macron enfonçait le clou.

Enfermé dans un système de partis, tiraillé entre les progressistes et les conservateurs, le pays serait-il irréformable ? La démonstration de Christophe Castaner, à l’époque porte-parole du Gouvernement, viendra clarifier la stratégie présidentielle : « La première réussite d’Emmanuel Macron c’est le dépassement politique, c’est d’être sorti des logiques de partis pour aller chercher toutes celles et tous ceux qui ne voulaient pas se satisfaire de faire plaisir aux fainéants, aux cyniques et aux extrémistes pour réformer. »

En réalité, le couple exécutif estime que si la France n’est pas «réformable», elle est en revanche « transformable en profondeur pour retrouver le destin qui est le sien, emmener l’Europe vers de nouveaux projets » et « porter l’universalisme ». Tout est donc affaire de sémantique, de volonté et de méthode.

La dernière vague du tableau de bord de la transformation de la France de l’IFOP montre que cette volonté de transformation bénéficie d’un large consensus, malgré une légère usure au cours des dernières semaines. 70% des enquêtés jugent ce mot positif. Pour autant, il existe un fort clivage politique entre l’électorat d’Emmanuel Macron, qui croit à 82% que la France va réussir à se transformer dans les prochaines années et l’électorat de Marine Le Pen, au sein duquel seulement 19% des personnes interrogées partagent cette opinion. Le bénéfice attendu de la transformation du pays connaît toutefois une inflexion. 58% des personnes interrogées pensent que la transformation du pays aura des effets positifs, contre 69% en mai 2017. C’est dans les milieux populaires que l’on anticipe majoritairement des effets négatifs.

L’adhésion à la transformation reste majoritaire même si elle peut être, aujourd’hui plus qu’hier, concurrencée par une tentation de repli antimondialiste. Au lendemain de l’élection présidentielle, 69% des sondés donnaient la priorité à la transformation du pays pour l’adapter au monde qui change. En ce début d’année, ils sont 56% tandis que 44% estiment que la priorité est de préserver la France telle qu’elle est pour protéger son identité face au monde qui change.

Si la transformation à la mode Macron peut demeurer inquiétante pour certains, son électorat en attend, avec confiance, les premiers effets.

Dans un ouvrage récent au titre très macronien « Transformer le France – En finir avec mille ans de mal français », Mathieu Laine et Jean-Philippe Feldman s’appuient sur le constat largement partagé d’un pays bloqué, incapable de changer pour tracer la voie du sursaut et d’une forte aspiration à « s’en sortir ». Ils sont allés puiser dans dix siècles d’histoire, de centralisation obstinée, accumulée, pour dépasser les analyses simplistes ; et dans une vision très libérale de la société, ils en ont tiré des convictions : la libération (la transformation) se fera non contre l’État mais par l’État. C’est à lui de réinjecter d’urgence, partout, de la liberté individuelle, de la responsabilité personnelle et des incitations à l’innovation, au travail et à l’émancipation, écrivent-ils. Ils plaident pour (re)donner davantage de pouvoir à chacun, tout en aidant ceux qui en ont véritablement besoin. Selon eux, l’État gagnerait à se «revisiter» – à se délester des domaines qui ne doivent plus être les siens, tout en se renforçant puissamment dans son domaine régalien.

Alors que les premières discussions entre le Gouvernement et les responsables de la Collectivité territoriale de Corse débutent, une telle position aurait pu nourrir les échanges et faire prospérer l’idée d’une Corse plus autonome. Les résultats aux élections territoriales ont témoigné d’une profonde volonté de transformation de la société insulaire, dans son rapport au politique mais aussi dans ses rapports avec l’État, tandis que sur le continent, le président de la République a fait de la transformation le marqueur de son quinquennat. Voilà qui aurait pu préparer le terrain pour une démarche d’émancipation «positive» ! Or, le discours du Président de la République à Bastia a porté un sérieux coup à cette conception. En privilégiant le retour d’un Etat fort dans l’île, en plaidant pour plus de déconcentration dans le territoire le plus décentralisée de métropole, il a envoyé un double message. D’abord celui de l’autorité républicaine. En parlant de « notre île », il a réaffirmé ce que Jacques Chirac avait dit au lendemain de l’assassinat du Préfet Erignac : »nous ne laisserons pas l’unité du pays se défaire ». Au-delà du régalien, il a rappelé que l’Etat assumerait  désormais ses responsabilités, toutes ses responsabilités. C’est ensuite un message de banalisation qu’Emmanuel Macron a voulu adresser à l’opinion insulaire. En disant vouloir faire de la Corse, la « pointe avancée » de la France en Méditerranée, il dilue sa spécificité dans un ensemble plus vaste, s’inscrivant dans sa stratégie de leadership européen. Et si, en signe d’apaisement après la fermeté affichée lors de l’hommage rendu au préfet Erignac, il faut inscrire la Corse dans la Constitution, la concession parait acceptable. Loin des attentes des élus nationalistes, cette ouverture permet toutefois la reprise d’un dialogue mis à mal par une séquence dans laquelle le Gouvernement comme le Président sont apparus intransigeants.

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