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Emmanuel Macron peut-il être le remède à la "brutalité de l’histoire" dont il pense être le fruit ?
©Hamilton DE OLIVEIRA / POOL / AFP

Fracture(s)

"Je ne suis pas l'enfant naturel de temps calmes de la vie politique, je suis le fruit d'une forme de brutalité de l'Histoire" a lancé le chef de l'Etat devant les journalistes de l'Association de la presse présidentielle.

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. 

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Atlantico : Ce mardi 13 février, devant l'Association de la presse présidentielle, Emmanuel Macron a déclaré : « Je ne suis pas l’enfant naturel de temps calmes de la vie politique, je suis le fruit d’une forme de brutalité de l’Histoire, une effraction car la France était malheureuse et inquiète » ​. Quelles sont les causes de la brutalité ici décrite par Emmanuel Macron, et en quoi son élection pourrait en être le fruit, comme il pense lui ?

​Luc Rouban : Il y a deux réponses à cette question parce qu'il y a deux affirmations. La première consiste à dire "je suis le fruit d'une certaine brutalité de l'histoire donc d'une certaine manière il y a un déterminisme historique qui fait qu'un personnage comme moi arrive à l'Élysée" parce que nous sommes à un moment de grands changements, ou la mondialisation progresse, et où l'on voit l'émergence de grandes puissances comme la Chine. Donc on a une transformation de la scène internationale. Il ne faut pas oublier ici qu'il évoquait ici son projet pour l'Europe. Il se situe donc dans une espèce de loi de l'histoire qui ferait que nous sommes à un tournant et ou effectivement de nouveaux enjeux économiques et politiques apparaitraient. C'est une vision hégélienne ou Emmanuel Macron se considère le fruit de l'histoire, et qu'il va devoir faire preuve de courage et de détermination. Il y a un petit côté churchillien dans ce discours. Il se positionne sur la scène internationale et veut se positionner pour revaloriser le statut de la France, et sur ce terrain, il a quand même marqué des points, avec une présence assez forte et assez marquée sur la scène européenne notamment.

La deuxième lecture revient sur la notion du fruit d'une effraction. Effectivement, il ne se situe pas dans un processus électoral ordinaire, on a vu les grands partis politiques s'effondrer. C'est là que l'on a un débat en termes de sociologie électorale. Il y a ceux qui vont dire qu'Emmanuel Macron a représenté une 3e voie originale, de gauche et de droite, une recherche d'un certain pragmatisme politique en dehors des partis. Et il y a ceux, dont je suis plutôt tenant, qui voient qu'il y a eu une succession de circonstances tout à fait extraordinaires en 2017. Les primaires à gauche et à droite ont conduit à radicaliser les choix, Benoît Hamon d'un côté et François Fillon de l'autre, et ont dégagé un grand espace central qu'Emmanuel Macron a pu occuper. Et par la suite, lorsque l'on regarde notamment les élections législatives avec un taux d'abstention absolument abyssal qui a battu tous les records depuis 1946, on est plutôt tentés de penser qu'il s'agit d'une élection par défaut. Surtout pour éviter Marine Le Pen. Emmanuel Macron cherche à donner de son élection une explication assez cohérente à la fois internationale et interne. Il est possible de le suivre sur le plan international mais sur le plan interne, l'idée selon laquelle il serait l'homme d'une effraction volontaire ne correspond pas à la réalité.  

Paradoxalement, certains figures modèles du Président, comme Barak Obama qui a vu son mandat s'achever avec l'élection de Donald Trump, ne sont pas parvenus à enrayer le phénomène d'une "brutalité de l'histoire" ici décrite et qui peut suggérer les difficultés des démocraties libérales, notamment face aux défis représentés par la progression des inégalités​. Comment placer réellement l'élection d'Emmanuel Macron dans ce processus, faut-il y voir un antidote, un symptôme, ou un accélérateur ? 

On constate la montée du nationalisme, avec le Brexit, avec Donald Trump et cela s'associe avec l'émergence de grands mouvements populistes qui touchent l'ensemble des pays européens, y compris les pays bien connus pour leur tradition social-démocrate comme l'Allemagne ou l'Autriche. Il y a là effectivement des mutations politiques importantes qui apparaissent. Le problème est qu'Emmanuel Macron est le produit de l'élite. Il est le représentant de la partie la plus diplômée de l'électorat qui a d'ailleurs surtout voté pour lui. Il représente le besoin pour l'élite française de se renouveler et de renouveler sa légitimité face à des mouvements populistes qui touchent beaucoup les catégories populaires, les personnes modestes, et les moins diplômés. Il a ici une tâche redoutable parce que s'il est président de la République élu à la majorité, il représente sociologiquement une minorité qui est très vivement remise en cause dans tous les pays du monde. Ce sont les gens les plus diplômés ouverts sur la mondialisation. Il est d'une certaine manière sur la ligne de front de cette opposition entre populistes et élitistes en France. Il est plus ou moins obligé d'être à la fois le porteur d'une vision élitiste de la réforme, un petit peu autoritaire et c'est peut-être pour cela qu'il parle de brutalité, face à des conceptions beaucoup plus participatives qui ont peut-être alimenté LREM au début mais qu'il a été plus ou moins obligé d'abandonner. En fait, c'est une présidence qui est marquée du sceau d'une fracture sociale très puissante entre les élites et une grande partie de la population.

Dans un article publié ce 13 février, l'économiste américain Dani Rodrik suggère que la peur des démocraties libérales à l'encontre de la démocratie illibérale masque un déséquilibre interne aux premières ; trop de libéralisme et trop peu de démocratie. En quoi la brutalité décrite par le Président peut-elle également résulter de cette analyse ? 

Oui effectivement et cela renvoie à ce que j'écris dans mon livre. Il y a une fracture très puissante entre deux conceptions du pouvoir aujourd'hui en France. Il y a une conception verticale, qui considère que l'on doit s'entourer d'experts, que l'on doit prendre des décisions sans trop tenir compte des critiques pour mettre en place un programme de manière assez unilatérale. Et puis il y a tous les partisans du pouvoir horizontal qui vont être soit de gauche avec la France Insoumise, soit d'extrême droite du côté du Front national, qui privilégient davantage la démocratie directe, le référendum ou la démocratie participative. Cette opposition entre démocratie élitiste et démocratie "populiste", entre pouvoir horizontal et vertical, révèle l'ambiguïté des évolutions au sein des démocraties occidentales. Le problème est peut-être plus aigu en France avec une structure d'élite qui est produite par l'État et non par le marché. On remarque d'ailleurs que dans sa réforme de la fonction publique on ne touche pas à l'ENA, au classement de sortie, aux grands corps de l'État alors qu'il était justement porteur d'une vision de diversification des élites au moment de la campagne électorale, c'était ça le macronisme, il faut quand même le rappeler.  On a plutôt l'impression qu'il a plutôt entériné une vision conservatrice du pouvoir, élitiste, faite de grands corps etc…Il y a toujours un peu ce risque d'une politique qui devient complexe, indéchiffrable, d’où la difficulté pour Emmanuel Macron de se lancer dans un référendum. Parce qu'il peut penser qu'il a pour lui une majorité de Français alors qu'à mon avis il a été élu par défaut. Mais une grande partie de Français sont demandeurs d'un référendum, on ne sait pas du tout le résultat qu'ils peuvent donner notamment sur la future réforme institutionnelle parce qu'ils peuvent être interprétés comme un plébiscite – pour ou contre Emmanuel Macron. Et si vous faites le bilan de tous ceux qui n'étaient pas convaincus de voter pour lui mais ont voté uniquement pour ne pas avoir Marine Le Pen, vous pouvez avoir une majorité de non.

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