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Mais jusqu’à quand les États-Unis toléreront-ils le triple jeu impardonnable de leurs alliés pakistanais
©Reuters

Grand Jeu

D’ici peu, les États-Unis vont se retrouver à envoyer en Afghanistan des soldats qui n’étaient même pas nés au moment du 11 septembre 2001. La clé du conflit afghan n’est pourtant pas à Kaboul mais à Islamabad.

Kanechka Sorkhabi

Kanechka Sorkhabi

Kanechka Sorkhabi est chercheur associé à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), spécialiste de l’Afghanistan.

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Atlantico : Alors que les Etats-Unis devraient bientôt envoyer des soldats nés après le 11/09/2001 en Afghanistan, en quoi la nouvelle stratégie présentée par l'administration Trump pour résoudre le conflit en Afghanistan se différencie de ce qui a déjà pu être fait par le passé? Quelle forme de pression politique, notamment sur le Pakistan pourrait s'avérer payante ?

Kanechka Sorkhabi : Il est important de rappeler que Barack Obama avait lui aussi annoncé une nouvelle stratégie pour l’Afghanistan et l’Iraq.

Il avait chargé McChrystal et Petraeus, deux généraux, les anciens d’Afghanistan, pour définir une stratégie de sortie - et non de victoire -  d'Irak puis d'Afghanistan. Ils avaient préconisé la mise en œuvre de la « COIN » ou "counterinsurgency", c’est-à-dire la mise en place de tactiques « contre – insurrectionnelles », d’ailleurs inspirées historiquement de l’expérience française en Indochine puis en Algérie. Cette approche définit le conflit comme étant interne à l’état dans lequel les « groupes armés locaux s’opposent au pouvoir étatique ». En différenciant les groupes combattants - Al Qaida  des opposants locaux - il était alors demandé au gouvernement iraquien puis afghan de négocier avec leurs compatriotes, des « opposants locaux », tout en continuant la guerre contre les groupes terroristes. Cette démarche permettait aux Etats-Unis de se retirer militairement sans perdre, ni gagner la guerre, en déclarant que les responsabilités sont transférées aux autorités du pays. 

Nous connaissons le résultat catastrophique de la COIN en Irak et l’émergence de Daesh. 

Les effets de cette tactique de sortie a été moindre en Afghanistan en ce que la présence internationale était plus forte : présence militaire sous forme d’une coalition qui dépasse les Etats-Unis et même l’OTAN, forte présence civile internationale (ONG et organisations internationales) et enfin une présence et un engagement politique internationale plus marqué qu’en Iraq. 

Il convient également de souligner les divergences d’approches entre les militaires américains et le pouvoir politique. Les militaires américains avaient déjà préconisé d’attaquer les Talibans et le réseau Haqqani à leur base au Pakistan et de revoir les liens avec cet allié jouant un double jeu. Cette dissension a même été publique après l’attaque de l’ambassade américaine à Kaboul, commanditée par des réseaux basés au Pakistan, selon les autorités de Kaboul. 

Il faut rappeler que « le conseil » dirigeant des Taliban se nomme  « la shoura de Quetta et la shoura de Peshawar », au nom des villes pakistanaises où ces conseils seraient basés.

Enfin, la localisation d’Oussama Ben Laden au Pakistan près de complexes militaires et son élimination par les forces spéciales américaines, ont fait tâche dans les relations américano-pakistanaises. 

Même si l’administration Obama avait autorisé l’attaque par drone des zones tribales du Pakistan pour éliminer les réseaux ou des personnes ciblées, la stratégie de Donald Trump montre quant à elle des différences majeures. D’abord il semble que les militaires aient pris le pas devant le politique dans l’administration Trump.

L’élément géographique marque également la nouvelle stratégie américaine étendue désormais à l’Asie du Sud – même si la zone af-pak avait été précédemment désignée – cette décision inclut le Pakistan dans la stratégie de l’administration Trump en Afghanistan. 

Enfin, on constate une pression réelle sur le Pakistan, outre la fin de la subvention du congrès américain au Pakistan pour l’achat d’armes, ce sont les aides au Pakistan qui sont menacées voir suspendues. 

Sur le terrain en Afghanistan, les combats sont intensifiés causant d’ailleurs de nombreux déplacements internes des civils, pris entre deux feux. 

Les forces de sécurité afghanes (ANSF) paient le plus lourd tribut avec la perte de plusieurs milliers d’hommes l’année dernière. 

Les forces afghanes sont en premières lignes depuis 2014, date du transfert du commandement à l’ANSF. Les forces otaniennes interviennent en soutien aérien, pour conseiller et enfin pour former l’ANSF estimées à 350000 hommes. 

Trois autres éléments récents marquent cette stratégie : 

- mettre à mal le financement des groupes armés en détruisant les laboratoires de drogues. Plusieurs opérations récentes ont été couronnées de succès. L’ancien chef du renseignement afghan avait déclaré que le budget des Talibans était de 100 millions de dollars. 30% provenant, selon lui, de la drogue et 70% financés par le Pakistan. 

 - une polémique récente fait état d’une démarche américaine visant à mettre le Pakistan sur la liste des états financeurs du terrorisme, après le refus de celui-ci de coopérer pour mettre fin aux activités des groupes terroristes sur son sol et allant jusqu’à menacer d’abattre les drones américains qui continuerait les attaques sur le sol pakistanais. 

- enfin, avant hier, la visite du chef d’état-major des armées pakistanaises à Kaboul où une rencontre a eu lieu à l’aéroport militaire, avec le chef d’état-major des armées afghanes ainsi que ceux d’autres pays de la région (la liste des présents n’est pas encore connue) ainsi que le commandement de l’OTAN, pour discuter, notamment, de la sécurité régionale et de la lutte contre la drogue. 

Ces éléments montre bien la pression réelle exercée par Washington. Mais cela ne peut être l’unique solution au conflit. La géopolitique régionale et celle au niveau de grandes puissances reste l’élément structurant le conflit en Afghanistan. 

Quel rôle donner à la Chine dans une telle vision ? Dans quelle mesure le double jeu pakistanais en Afghanistan sert-il ou dessert-il les intérêts de Pékin ? Quelles seraient les limites inacceptables pour Pékin, notamment dans le soutien aux islamistes?

Il faut commencer par un tableau des affrontements géopolitiques dans cette région pour comprendre le rôle de la Chine.

Le président afghan parle de "guerre importée", une guerre qui ne concerne pas directement et seulement les Afghans et ce n'est pas totalement faux.

Plusieurs conflits se croisent en Afghanistan. 

Il y a une confrontation Iran-Arabie Saoudite pour le monopole de l'Islam, pour l’un chiite et pour l’autre sunnite. Les communautés sunnites et chiites d'Afghanistan subissent cette influence. Cette opposition entre les deux Etats se traduit également par un jeu de soutien et de financement d’un certain nombre de réseaux de combattants armés en Afghanistan et au Pakistan. Rappelons que l'ancien chef des Talibans passait la frontière iranienne pour aller au Pakistan quand il a été abattu par un drone américain.

Le conflit latent américano-iranien, notamment sur la question du nucléaire, s’est traduit par une réelle opposition, voir un affrontement par groupes interposés, comme nous avons pu le voir en Syrie, en Irak et actuellement en Afghanistan. L’Iran vient d’ailleurs de déclarer que Daesh a été amené en Afghanistan pour déstabiliser l’Iran et les autres pays de la région. Ces déclarations sont souvent proches de celles de Moscou.

Bien que l’Iran déclare soutenir l’Afghanistan, il s’est toujours opposé à la présence militaire durable de l’armée américaine sur le sol afghan même si Kaboul garantit que l’Iran ne sera pas attaqué  depuis le sol afghan par une force étrangère.

N’oublions pas qu’il y a une grande base militaire américaine à la frontière afghano-iranienne dans l’ouest du pays, à Shindande. Le risque d’intrusion militaire est soulevé par l’Iran, surtout après la capture par l’armée iranienne d’un drone américain qui survolait l’espace aérien iranien.

Un autre conflit majeur est le conflit indo-pakistanais sur la question du Cachemire qui s’est déplacé sur le sol afghan.

Les deux pays n’ont pas cessé de s’accuser mutuellement et publiquement d’être l’ennemi « historique » de l’autre depuis 1947. En plus de la question du cachemire, la rancœur de la partition de l’Inde lors de la décolonisation britannique qui avait donné naissance au Pakistan en 1947 pour créer un nouvel Etat afin de « protéger et regrouper les musulmans », est toujours vive. 

Il est à noter que les groupes extrémistes ont toujours été utilisés dans les affrontements sur la question du Cachemire. L’Inde et le Pakistan se sont souvent accusés mutuellement d’être les auteurs des attentats survenus dans les deux pays. 

L'Inde est un grand allié de l'Afghanistan. Il est devenu un allié majeur ces dernières années intervenant dans la reconstruction à travers de grands projets d’infrastructures ou dans le développement commercial, comme le montre le nouveau pont-aérien commercial Kaboul-Dehli qui répond d’une certaine façon à la fermeture récurrente de la frontière afghano-pakistanaise. Ce rapprochement est salué et encouragé par Washington alors que le Pakistan voit ceci comme une menace. En effet, le Pakistan cherche par tous les moyens à pousser Kaboul à reconnaître la Ligne Durant comme la frontière entre les deux états. Kaboul considère que les territoires annexés par l’empire britanniques des Indes ne lui ont pas été rendus lors de la décolonisation britannique qui a fait naître le Pakistan en 1947. Dès lors, l’Afghanistan parle de la Ligne Durand, le tracé fait par les britanniques au XIXème siècle qui gardèrent sous leur autorité les territoires afghans annexés. De ce fait, l’Afghanistan maintient et refuse pour l’heure toute reconnaissance et négociation sur cette question malgré les tirs de mortiers par l’armée pakistanaise, tirs estimés à plus de 9000 en 2017, par le ministère afghan de la défense. 

Deux autres projets majeurs marquent l’influence des acteurs étatiques. 

Le premier est l’investissement chinois dans le port de Gwadar au Pakistan afin d’ouvrir une route vers le grand marché et les ressources d’Asie Centrale via l’Afghanistan. 

C’est également par cette route maritime et terrestre pakistanaise que passait, difficilement,  la majorité de l’approvisionnement logistique des forces de l’OTAN. 

Face aux difficultés des relations afghano-pakistanaises et la fermeture récurrentes de la frontière en réaction aux tirs de mortiers, le port de Gwadar semble trouver une autre fonction, celle de voie d’acheminement de marchandises et des hydrocarbures vers la Chine.

Un projet concurrent quant à lui commence ses activités. Le port de Chabahar situé en Iran résulte d’un partenariat entre ce dernier, l’Inde et l’Afghanistan ouvrant ainsi les routes commerciales vers l’Asie Centrale avec la perspective de la construction de chemins de fer. 

Ces dynamiques sont à considérer dans  l’ensemble que constitue le projet des routes de la soie, un outil de l’expansion chinoise face à laquelle les autres puissances régionales semblent ne pas rester inactives. 

Il convient de souligner que la Chine et l'Inde ont eux aussi des problèmes territoriaux non-résolus.

Le double-jeu pakistanais a toujours consisté à être à la fois allié des pays occidentaux, sans tenir ses engagements, et en soutenant ceux qui combattent les forces internationales en Afghanistan. 

A chaque fois qu'il y a eu une pression américaine sur le Pakistan, ce dernier s'est rapproché de la Chine, grâce à leurs intérêts convergents.

Notons que le Pakistan était un fidèle client pour l’achat d’armes auprès d’Etats européens dont la France, et les Etats-Unis qui subventionnaient ces achats. Cet Etat de plus de 190 millions d’habitants où le pouvoir politique semble plus fragile - et gangrené par la corruption – avec des militaires et des services de renseignements qui eux-deux constituent des Etats dans l'Etat.

Dans le conflit latent indo-pakistanais, les équipements militaires constituent un enjeu de puissance. La Chine et la Russie semblent de bons partenaires pour palier à une éventuelle suspension de vente d’armes européennes et américaines. 

C’est en ce sens que la décision de mettre le Pakistan sur la liste de états finasseurs du terrorisme devient pertinente. Ceci est à considérer avec précaution en l’absence d’accords des alliés chinois et russe du Pakistan. 

Quant à l’Afghanistan, la Chine reste un partenaire dont se soucie Kaboul. Il faut rappeler que la signature du partenariat stratégique entre l'Afghanistan et les Etats-Unis, permettant la coopération et la présence militaire à long terme avec des bases sur le sol afghan, avait été conditionnée par le gouvernement afghan à un dialogue tripartite, Chine, Etats-Unis et Afghanistan dans le but de garantir la non-nuisance militaire américaine à la Chine. 

Dans ce jeu géopolitique, il est à noter que les dernières déclarations de la Maison Blanche quant à sa politique étrangère qui considère la Chine et la Fédération de Russie comme des menaces potentielles pour les Etats-Unis, constituent des éléments problématiques quant à la stabilisation de cette région, et de l'Afghanistan en particulier, avec la présence militaire américaine durable.

La Chine reste quant à elle investie, timidement, en Afghanistan. Le projet des routes de la soie motive cependant Pékin qui a apporté des aides en matière d’équipement de l’armée afghane tout en proposant d’être un médiateur entre le Pakistan et l’Afghanistan. 

Il ne faut pas oublier que la Chine a une communauté ouïgoure musulmane avec laquelle elle a des difficultés. La menace extrémiste et le retour des combattants de Daesh de la fédération de Russie et des pays d’Asie Centrale est un enjeu de sécurité pour Pékin.

La rumeur d’une prochaine base militaire chinoise à la frontière sino-afghane, dans l’extrême nord- est afghan a été répandue sans qu’il y ait, à ce jour, de réactions officielles.

Le retour des combattants est également un enjeu de sécurité pour les autres états. Le président russe, Vladimir Poutine, parle de 5000 combattants russes aux cotés de Daesh en Syrie. A ce chiffre s’ajoute les autres combattants des états d’Asie Centrale. 

L’émergence de Daesh en Afghanistan et dans d’autres pays de la région, responsable d’attentats meurtriers, inquiète et interrogent. Certains craignent un transfert de front de la Syrie en Afghanistan, ce qui est conforté, notamment, par présence de combattants francophones et français dans le nord de l’Afghanistan. 

Dès lors, quelles pourraient être les autres leviers de pression que pourrait utiliser l'administration Trump en dehors de l'approche militariste pour sortir de ce bourbier afghan ?

Nous ne devons pas oublier que le militaire n'est qu'un outil au service du politique. Ce conflit est d'abord géopolitique.

Il faut un accord entre les grandes puissances pour cesser d’utiliser l'Afghanistan comme un terrain d'affrontement. Il faudrait alors accepter de coopérer sérieusement pour combattre le terrorisme aujourd'hui. 

Les groupes terroristes sont utilisés, par certains états, comme un levier de pression, de négociation ou encore pour accroitre leur sphère d’influence. 

Il convient donc de mettre en place des coopérations effectives pour mettre fin au financement du terrorisme et combattre la criminalité organisée et le trafic de drogue, qui constituent les ressources importantes des groupes terroristes.

Plus généralement, il y a un antagonisme des intérêts des acteurs du conflit en Afghanistan. Tant que ces antagonismes ne seront pas résolus, cette région continuera de subir ce qu'elle connait depuis le 19e siècle, le "Grand Jeu". 

Tout cela se fait aux dépens du peuple afghan qui est en première ligne, 10000 civils tués et blessés l’année 2017, selon l’ONU. 

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