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Ce que ces JO d’Hiver 2018 nous disent d’aujourd’hui
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Paix et curling

Par-delà l’émotion collective (qu’on partage ou qui laisse indifférent), par-delà le spectacle multimédia à la chorégraphie de groupe millimétrée (qu’on goûte ou qui suscite l’allergie), par-delà la tension sportive de la compétition (qu’on éprouve avec délices ou qu’on évite soigneusement), la cérémonie d’ouverture de la 23ème édition des Jeux Olympiques d’Hiver, le 9 février 2018, dans le stade glacé, sonorisé, pyrotechnisé et éphémère de Pyeongchang, dans les montagnes orientales de Corée du Sud, ont fourni une avalanche de symboles même au téléspectateur le plus distrait ou le plus critique.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Par-delà l’émotion collective (qu’on partage ou qui laisse indifférent), par-delà le spectacle multimédia à la chorégraphie de groupe millimétrée (qu’on goûte ou qui suscite l’allergie), par-delà la tension sportive de la compétition (qu’on éprouve avec délices ou qu’on évite soigneusement), la cérémonie d’ouverture de la 23ème édition des Jeux Olympiques d’Hiver, le 9 février 2018, dans le stade glacé, sonorisé, pyrotechnisé et éphémère de Pyeongchang, dans les montagnes orientales de Corée du Sud, ont fourni une avalanche de symboles même au téléspectateur le plus distrait ou le plus critique.

On peut assurément trouver ce type de spectacle dérisoire, kitch ou même abrutissant avec son enthousiasme obligatoire et son mercantilisme assumé : cela aurait sans doute été le cas de Pepe Carvalho, le personnage du génial Manuel Vasquez Montalban qui se coupe du monde au moment de l’ouverture des Jeux Olympiques d’été 1992 dans le polar caustique Sabotage olympique. Mais on peut également – c’est mon cas et je l’avoue sans embarras – trouver un plaisir d’enfant dans cette vitrine internationale à grand spectacle. On peut même y trouver un plaisir que n’aurait pas renié le Roland Barthes des Mythologies en scrutant les symboles que cette cérémonie amis en exergue – et en analysant ceux qu’elle recèle comme à son insu. Entre la distance critique et l’enthousiasme du spectateur, il y a une place pour l’herméneutique politique.

Vers une nouvelle image de la Corée ?

Tous les observateurs l’ont souligné : la cérémonie d’ouverture d’hier était placée sous le signe de la paix. Dans le monde en général et en Corée en particulier. C’était une « figure imposée » : l’héritage olympique et les déclarations de Pierre de Coubertin sont ambivalents sur la vocation politique pacificatrice des Jeux Olympiques. Mais ils sont désormais partout présentés comme des moments d’apaisement – artificiel - dans les relations internationales. Mais les gestes politiques, les symboles sportifs et les signaux culturels ont pris une particulière importance hier en raison de la montée des tensions dans la Péninsule depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un en mai 2016 puis avec le durcissement de la ligne américaine suite à l’élection de Donald Trump à la présidence aux Etats-Unis en novembre  de la même année.

Les démonstrations de bonne volonté pacifique ont été multipliées, soulignées voire ressassées : discours appuyés du président du Comité International Olympique (CIO), Thomas Bach, du président des Jeux de Pyeongchang 2018, Lee Hee-beom et du président de la République de Corée, Moon Jae-in ; poignée de main appuyée entre ce dernier et la sœur du président de République Populaire Démocratique de Corée (Nord), Kim Yo-jong, défilé commun des délégations sud-coréennes et nord-coréenne sous le « drapeau de l’unification coréenne » (cf. photo) pour les jeux asiatiques de 1990 et utilisées à plusieurs reprises notamment au moment où la « diplomatie du rayon de soleil battait son plein entre les deux anciens belligérants, etc. Tous ces symboles crevaient l’écran et saturait l’espace.

Sous les symboles évidents et les messages iréniques martelé, certains ont pu déceler une inflexion dans l’opération de publicité planétaire que la Corée du Sud a déployée hier. Bien entendu, c’est une figure imposée, le pays a résumé son histoire millénaire riche et douloureuse à quelques tubes de K-Pop, la musique pop coréenne en vogue en Asie, à des clips lisses sur ses paysages et ses traditions. Mais la Corée du Sud a surtout essayé de mettre en évidence ses atouts internationaux. L’organisation parfaite et les images léchées de la cérémonies ont envoyé au monde, comme lors des Jeux de Séoul en 1988, l’image d’une société prospère (le PIB par tête est de plus de 27 000 dollars par an, dans la même catégorie que l’Espagne), d’une économie très avancée et d’une Asie plus qu’émergée.

L’inflexion vient de l’omniprésence du numérique et de Samsung, conglomérat dont le chiffre d’affaires dépasse les 20% du PIB national. Une quarantaine de smartphones géants ont en effet réalisé un ballet très plaisant mettant en évidence la capacité unificatrice des télécommunications de pointe mais aussi la part de marché croissante de la Corée dans la téléphonie mobile : Samsung expérimente en première mondiale la 5G lors de ces Jeux. Les images de synthèse qui truffaient les films et les animations de la cérémonie ont illustré le savoir-faire vidéo et cinématographique de la Corée contemporaine. « Passion. Connected » tel est le slogan des JO de Pyeongchang. La cérémonie d’hier a adressé un message de pays obligé et hautement nécessaire dans la Péninsule. Mais elle a également essayé de réformer l’image internationale de la Corée du Sud : fini le Dragon des années 1980, la dictature des Park et les menace nucléaires, la Corée a voulu montrer le visage d’une société avancée, harmonieuse, jeune et pacifiée… sans parvenir à faire oublier la précarité de cette situation : la menace nucléaire mais aussi les scandales de corruption qui ont amené à la démission de la présidente Park l’année dernière.

Le défilé des drapeaux et la géopolitique des blocs

Le défilé des délégations sous leurs drapeaux nationaux respectifs a pu sembler fastidieux à certains. Mais il a été riche de signes sur les équilibres du monde : la délégation américaine a été pléthorique comme pour répéter la présence militaire et économique américaine auprès de l’allié sud-coréen ; le vice-président américain Mike Pence était fort visible dans ce même but mais également pour souligner –malgré lui – que les Etats-Unis veillaient également à ce que la Corée du Sud ne suive pas une ligne diplomatique trop autonome vis-à-vis du Nord comme cela avait pu être le cas pendant la « diplomatie du rayon de soleil » du président Roh qui avait culminé en 2007.

A l’opposé, la délégation russe, grande triomphatrice de la précédente édition des JO d’hiver à Sotchi en 2014 sous la présidence personnelle de Vladimir Poutine, a été contrainte de défiler sans plusieurs de ses athlètes de premier plan et sous la bannière olympique suite aux différents scandales de dopage de ses athlètes. Machination russophobe d’un CIO influencé par les Occidentaux ? Ou conséquence de la justice sportive ? Là encore, les JO ont été une caisse de résonnance malgré eux des tensions du monde. Nul doute que les autorités russes prendront leur revanche sur cette humiliation symbolique mondiale à l’occasion de l’organisation de la Coupe du Monde de football en juin et juillet prochain en Russie.

Ni vêtu ni nu : l’olympisme aujourd’hui 

Pira Taufatofua, porte-drapeau du Tonga, torse nu et huilé,  les jambes couvertes néanmoins d’un pagne long, a pu apparaître comme un chippendale incongru dans cette cérémonie au froid glacial. Par-delà l’anecdote qui alimente les réticences de certains envers le folklore olympique, il a sans doute une portée symbolique insoupçonnée. Ni complètement vêtu ni parfaitement nu, il est un bon thermomètre de l’olympisme contemporain.

La nudité illustre la vulnérabilité des JO d’hiver : exposés au réchauffement climatique comme plusieurs archipels asiatiques et océanique, ils peinent à trouver des villes candidates ; concurrencés par les X-Games et des circuits professionnels non institutionnalisés, ils font face à une rupture générationnelle car le ski et les sports d’hiver appartiennent une génération du passé qui a du mal à faire de la place aux nouvelles disciplines ; cantonnés aux nations européennes et nord-américaines, ils peinent à atteindre une véritable audience en Asie, dans le monde arabe ou en Afrique. Les raisons n’en sont pas seulement climatiques mais également symboliques. On a vu, hier, que plusieurs Etats d’Asie avaient mis leur point d’honneur à braver la géographie, les climats et les cultures pour aligner des athlètes : Taiwan, Thaïlande, Hongkong, etc. Ils ont voulu ainsi marquer leur présence dans la sphère asiatique sous l’œil des téléspectateurs européens notamment. Mais les sports d’hiver sont encore bien confidentiels dans cette partie du monde où l’avenir du sport se joue. La relative indifférence des Coréens à l’événement d’hier en est le signe : le volontarisme politique a ses limites en matière de pratique sportive.

Ni complètement nu ni vraiment vêtu, les Jeux Olympiques d’hiver en général et les JO de Pyeongchang en particulier sont dans un entre-deux : ancrés dans les loisirs des sociétés nord-européennes, ils se développent péniblement en Afrique (en témoigne la présence du Ghana), en Amérique du Sud (un signe en est donné par la sélection du Brésil) ; nourrissant une vocation pacificatrice, ils peinent  trouver un écho universel.

 Que Montalban, Debord et les situationnistes soulignent à l’envi, s’ils le souhaitent, les faux-semblants publicitaires de ces événements. Il n’en reste pas moins qu’ils combinent symboles publicitaires et symptômes involontaires

Précaires et vulnérables, éclatants et exposés aux yeux de tous, incongrus et attachants, les Jeux Olympiques de Pyeongchang 2018 ont peut-être trouvé en cet athlète tongien leur symbole le plus éclairant. 

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