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5 ans après la renonciation de Benoît XVI, l’Eglise face au bilan contrasté de François
©ANDREAS SOLARO / AFP

Evolution sans révolution

Le 11 février 2013, le pape Benoît XVi annonçait sa renonciation. Son successeur, François, a depuis entamé des chantiers de grande ampleur visant à réformer les structures de la curie.

Christophe Dickès

Christophe Dickès

Historien et journaliste, spécialiste du catholicisme, Christophe Dickès a dirigé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège chez Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la politique étrangère et à la papauté (L’Héritage de Benoît XVI, Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde). Il est enfin le fondateur de la radio web Storiavoce consacrée uniquement à l’histoire et à son enseignement.

 

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Atlantico : Il y a cinq ans, Benoit XVI renonçait au trône de Pierre à la stupéfaction générale. Depuis le Pape François a pris sa place et Benoit XVI s'est retiré dans un monastère d'où il s'exprime peu, même s'il s'est expliqué sur cette renonciation. Quelles en sont, selon vous, les raisons profondes ?

Christophe Dickès : Celle tout simplement qu’il a donné : son incapacité à pouvoir accomplir sa tâche, physiquement et intellectuellement. Il s’agit de la première raison objective. Benoît XVI estimait que le pontificat est une charge comme une autre. Il ne s’agit pas d’un sacrement à proprement parler. Un prêtre est prêtre « pour l’éternité ». Un pape, lui, peut très bien renoncer à sa charge comme le stipule le droit canon. Après, Benoît XVI était bien conscient des chantiers pharaoniques à entreprendre au sein du gouvernement central de l’Eglise : principalement la réforme des structures financières du Saint-Siège, la réforme de la curie et le maintien de la lutte contre la pédophilie. Toutes ces nécessités l’ont poussé à la renonciation : il ne voulait pas que l’Eglise revive la même carence de pouvoir des dernières années du pontificat de Jean-Paul II, épisode que lui, cardinal Ratzinger, avait connu de très près entre 2000 et 2005. D’où la renonciation. On aurait pu imaginer qu’il restât au pouvoir en ayant un véritable bras droit. Mais, il faut reconnaître que le cardinal Bertone n’avait ni la carrure, ni les qualités pour remplir ce rôle.

Quelles sont les conséquences de ce choix si singulier fait par Benoit XVI pour l'avenir de la papauté ? Faut-il s'attendre à des renonciations plus fréquentes, à commencer par celle du pape François ? Dans quelles conditions ?

Seul l’avenir nous le dira. C’est pourquoi il est assez difficile de répondre à cette question. Est-ce qu’un pape déclinant sera poussé par son entourage afin de renoncer à sa charge ? Le droit canon est très clair sur cette question. La renonciation ne peut avoir lieu sous l’effet de pressions extérieures. Le pape élu doit donc être libre de son acte. Benoît XVI était persuadé que sa décision n’entamait pas la grandeur de la charge pontificale. Elle n’en reste pas moins un acte inouï au regard de l’histoire moderne et contemporaine de l’Eglise, même si plusieurs de ses prédécesseurs (Pie XII, Paul VI) avaient songé à renoncer. Quant à François, il a renouvelé son passeport argentin. Ce qui signifie qu’il serait prêt à retourner dans son pays en cas de renonciation. Va-t-il le faire ? Nul ne le sait….

Même si ce pape compte de nombreux admirateurs, sa "cohabitation" avec le pape François semble avoir particulièrement accentué les comparaisons voire chez certains la valorisation de l'un au dépens de l'autre. La renonciation de Benoît XVI, suivie de la nomination de François, a-t-elle été selon vous une rupture ou une transition marquée malgré tout par une certaine continuité ?

Mon prochain livre consacré aux Vérités et légendes sur le Vatican et qui paraitra dans quelques semaines (Le Vatican, vérités et légendes, Editions Perrin, collection Vérités et légendes, sortie le 8 mars) se demande si un pape peut être en rupture avec ses prédécesseurs. Du point de la foi et de la morale, il ne peut exister de rupture. Le pape est chargé de transmettre un héritage -le message évangélique- qui ne lui appartient pas. Les « ruptures » se situent dans le style de chacun des papes mais aussi dans leurs priorités.

Le pape François fait de l’écologie par exemple une question centrale de son pontificat. L’écologie est présente dans l’œuvre de Benoît XVI, mais elle est loin d’être en première place.François est un pape aussi politique, très présent sur l’échiquier international comme l’a montré encore dernièrement la vaticaniste Constance Colonna-Cesari dans son reportage remarquable, Les diplomates du pape (Arte). Benoît XVI, lui, s’intéressait peu à la politique mais plus à la théologie ainsi qu’à la transmission, la pédagogie et l’enseignement de la foi. Cela ne signifie pas que ces thèmes sont absents chez François, mais il me semble qu’ils sont bien plus prégnants chez ce pape théologien qui souhaitait répondre à la crise des sociétés contemporaines par la promotion d’une contre-culture et le soutien des minorités créatives (Prague, sept. 2009). Ceci est très net dans son discours à la jeunesse sur l’île de Malte (avril 2010). Cependant, une contre-culture ne signifie pas une contre-société puisque les chrétiens doivent être « dans » le monde, sans être « du » monde : ils avancent ainsi sur une ligne de crête.

Ceux qui affirment que les catholiques, en empruntant cette voie, forment une secte ne prennent pas en considération la réalité de ces mouvements qui sont, au contraire, pleinement ouverts à la réalité du monde. Ce qui n’empêche pas ces catholiques de porter un autre message, un autre sens et des principes de vie en contradiction avec le milieu dans lequel ils évoluent. Benoît XVI - tout son pontificat contesté en témoigne- voyait le catholicisme comme une force de contradiction dans un monde qui avait perdu ses repères essentiels : la famille, l’autorité, le rôle de la transcendance, le dialogue nécessaire entre la foi et la raison, les racines chrétiennes, etc.

Enfin l’Europe mais aussi la liturgie étaient au centre du pontificat du pape Ratzinger, ce qui n’est pas le cas de François qui, après cinq ans, n’a consacré à notre vieux continent que treize jours contre plus de quarante au continent américain à travers ses voyages.  Signalons enfin le gouvernement : l’exercice du pouvoir n’a jamais fait peur au pape Bergoglio, ce qui n’a pas été le cas de Benoît XVI qui goutait peu l’exercice. Quant aux continuités, elles se résument principalement dans la volonté de réformer les structures financières du Vatican mais aussi de lutter contre les crimes de pédophilies. Ceci est très net.

Vous avez rencontré Benoit XVI. Comment vit-il sa nouvelle situation ? Quel regarde porte-t-il sur l'Eglise qu'il a laissée à son successeur ?

L’exercice de la charge pontificale ne lui manque absolument pas. C’est ce qu’il affirme dans ses Dernières conversations avec Peter Seewald (Fayard). Dernièrement, il a écrit une lettre rendue publique à Massimo Franco du quotidien Il Corriere della Sera. Il écrit notamment : « Dans le lent déclin de mes forces physiques, je suis intérieurement en pèlerinage vers la maison. C’est une grande grâce pour moi, en ce dernier tronçon parfois un peu fatiguant, que d’être entouré d’un amour et d’une bonté tels que je n’aurais pu l’imaginer. » La « maison » signifie bien évidemment « la maison de Dieu » ou « la maison du Père ». Benoît XVI « pense » le ciel et l’éternité comme le reflet de sa vie de famille dont le regard était quotidiennement tourné vers l’amour de Dieu. On ne peut comprendre Benoît XVI sans prendre en considération ses origines bavaroises : cette Bavière catholique influencée par le baroque italien.

Quant à sa vision de l’Eglise, il se garde bien de se prononcer sur le sujet. Par obéissance à son successeur. Il est intervenu publiquement par de rares écrits mais, dans la très grande majorité des cas, il s’agissait de participer à des débats théologiques. A noter cependant le soutien public du cardinal Sarah dans son œuvre liturgique, alors que ce même cardinal avait été recadré par le pape François qui avait corrigé ses initiatives. Ainsi, Benoît XVI a-t’il accepté de préfacer la réédition de La force du Silence du cardinal africain co écrit avec Nicolas Diat (Fayard). Une œuvre d’une grande profondeur spirituelle à situer dans la continuité des grands textes du cardinal Ratzinger comme L’esprit de la liturgie.

Cinq ans après quel premier bilan peut-on faire de l'action du Pape François ? 

Il est un peu tôt pour le dire. François a entamé des chantiers de grande ampleur visant à réformer les structures de la curie. Cinq ans après, la réforme est toujours en cours. Cependant, des éléments essentiels ont changé comme la création d’un secrétariat pour l’Economie ou d’un secrétariat pour la communication qui répondent à la nécessité de rationalisation des structures. Il s’agit d’un point très positif. Le pape argentin souhaite aussi davantage de décentralisation dans l’Eglise : il me semble aussi qu’il s’agit d’une bonne chose parce que l’Eglise, pour se développer, a besoin de grands évêques. Mais les évêques n’ont pas forcément les compétences sur certains sujets : avant et après le synode sur la famille (2014-2015), le pape a souhaité leur donner davantage de pouvoir sur les questions liés aux mariages et aux divorces. Mais les évêques ne sont pas tous des juristes, spécialistes de droit canon. Rome reste donc un centre nécessaire dans le traitement de plusieurs dossiers. Enfin, François incarne une religiosité populaire que l’Occident avait délaissée dans la continuité de la crise des années 1970. Cette religiosité est typique de l’Amérique du Sud et vivifie l’Eglise.

Cependant, la lutte contre la pédophilie reste difficile comme l’a montré récemment son voyage au Chili où il a pris la défense d’un évêque contesté, suscitant des réprobations. De façon générale, il est très difficile de passer des intentions aux actes. Par ailleurs, François s’est isolé dans son gouvernement en critiquant régulièrement et violemment la curie et la centralité romaine. Or, la curie possède une légitimité : elle a pour vocation d’aider le pape dans son gouvernement. En agissant de la sorte, François s’est aliéné un soutien essentiel. Il a surtout révélé sa volonté de décider seul avec un cercle très restreint. De façon assez monocratique, il faut le dire. Un climat très pesant existe aujourd’hui à Rome où, dans les universités pontificales par exemple, on n’ose remettre en cause la vision du pape François qui laisse entendre que le dogme ne varie pas mais que les circonstances permettent à tout à chacun d’interpréter ses actes. Le synode sur la famille a créé une ambiguïté à cet égard, ambiguïté qui n’est toujours pas levée. Enfin, les déclarations du pape sur les migrants ont créé en Europe un malaise dans le catholicisme. Si bien qu’au total, on en arrive à cette situation étonnante d’un pape populaire à l’extérieur de l’Eglise -pour ses initiatives essentiellement politiques et cette conscience universelle qu’il incarne- mais en même temps impopulaire au sein de l’Eglise. 

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