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Pourquoi les élites françaises sont bien les seules à se féliciter à grands cris de la coalition allemande
©TOBIAS SCHWARZ / AFP

Même les Allemands n’y croient guère

Quelques jours seulement après l'annonce de son entrée au gouvernement, l'ancien président du Parlement européen, et chef de file du SPD, Martin Schulz a déclaré qu'il renonçait à son poste. Preuve que le climat politique actuel en Allemagne est tendu.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Quelques jours seulement après l'annonce de son entrée au gouvernement, l'ancien président du Parlement européen, et chef de file du SPD, Martin Schulz a déclaré au travers d'un communiqué : "Je déclare par la présente renoncer à mon entrée au gouvernement. Les débats autour de ma personne menacent le succès du vote. Je déclare donc par la présente renoncer à mon entrée au gouvernement." Comment expliquer un tel revirement ? Que traduit-il du climat politique actuel post-annonce de la coalition ? 

Rémi Bourgeot :Le SPD est en voie d’effondrement électoral, menacé en cas de nouvelles élections de passer derrière l’extrême droite. Nombreux sont ceux, en particulier parmi les militants et les jeunes du parti, à associer cette chute à une forme de vide politique qui marque la vie du SPD dans le contexte de coalitions à répétition sous l’égide de la Chancelière Merkel. Martin Schulz a été réintroduit dans le jeu politique allemand pour les élections de septembre, en raison notamment de la crise de leadership qui affectait le parti dans le contexte de la coalition. Sa campagne a néanmoins été jugée désastreuse, sans positionnement au-delà de ce que le responsable des jeunes sociaux-démocrates a génialement qualifié de « politique des bullet-points ».

Au vu du score du parti, le plus mauvais depuis la création de la République fédérale, Martin Schulz avait, au lendemain des élections, exclu de participer à une quelconque coalition avec les conservateurs CDU-CSU, en ce qui concerne son parti et sa personne plus particulièrement.

Après l’échec des négociations en vue d’une coalition « Jamaïque » entre conservateurs, libéraux et verts, il avait fini par s’engager sur la voie d’une nouvelle « grande » coalition, sous la pression notamment du Président Steinmeier, lui-même issu du SPD. L’approche de Martin Schulz a consisté à accepter la participation au gouvernement en échange d’un poids ministériel démesuré dans celui-ci et une mise en avant, surtout dactylographique en réalité, de la question européenne. Son appel à l’instauration « d’Etats-Unis d’Europe » était apparu particulièrement décalé par rapport à la situation d’effondrement du parti et de crise politique générale dans le pays, dans un climat de défiance. Cette invocation d’un absolu européen signalait sans doute un retrait tacite de l’ancien président du parlement européen, qui indiquait qu’il souhaitait se concentrait sur les thématiques européennes, malgré les limites du consensus allemand en la matière, et à l’écart de la politique nationale, où il ne semble pas avoir trouvé sa place.

C’est cette approche même, très personnelle, qui semble avoir aggravé la crise au sein du parti ces derniers jours. Martin Schulz, en acceptant dans un premier temps le poste de Ministre des affaires étrangères, renonçait à la direction du parti ainsi qu’au statut de vice-chancelier. Cette forme de retrait n’a pas suffi à calmer les critiques très vives qui le visent. On a notamment vu Sigmar Gabriel avoir recours à des termes très durs pour l’accuser d’une forme de malhonnêteté dans la façon dont il s’était préparé ce qui peut être vu comme une pré-retraite politique dorée. Au vu de la contestation extraordinaire au sein du parti et de l’incapacité de Martin Schulz à proposer un début de réorientation politique concrète, son avenir politique était déjà compromis, et il était apparu extrêmement mal à l’aise au moment de l’annonce de l’accord de coalition. Sa décision ne fait que confirmer l’ampleur de la défiance au sein du SPD, dans un contexte où ce qu’il reste du leadership du parti redoute que les militants remettent en cause l’accord de coalition.

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Dans un éditorial publié le 9 février, soit quelques heures avant l'annonce de sa démission, Le Monde titrait "Berlin : une coalition pour l’Europe" tout en indiquant : "La possible nomination de Martin Schulz, l’ancien président du Parlement européen, au poste de ministre des affaires étrangères du futur gouvernement allemand est un signe prometteur pour l’Europe.". Pourtant, une telle analyse ne semblait pas refléter l'approche des médias allemands, ou même anglo-saxons, notamment The Economist qui avait pointé "la misérable coalition allemande". Comment expliquer une telle approche française de la politique intérieure allemande ? 

Comme les responsables français ont eu tendance à mettre en avant, comme élément central de leur politique, l’idée d’une nouvelle donne européenne qui permettrait de parachever la zone euro, on constate une difficulté, chez un certain nombre de commentateurs, à évaluer la situation allemande telle qu’elle est. Cette situation allemande est marquée par une crise d’ingouvernabilité, dans un contexte où la représentativité démocratique, après douze ans de coalitions,souffre de dysfonctionnements importants et où l’extrême droite a connu un bond considérable qui l’a fait entrer au Bundestag. La réalité allemande est marquée par une défiance forte vis-à-vis du cadre européen et par le rejet d’un approfondissement de l’intégration, en particulier sur son versant monétaire. Ces tabous sont profonds et visibles.

Lors de son discours de la Sorbonne, Emmanuel Macron s’était montré en réalité conscient de ces divergences et en avait même fait un début d’analyse culturelle dont son prédécesseur aurait été incapable. Ce discours consistait, notamment, à prendre date face aux tabous allemands. Il avait cependant été interprété, de façon déjà quelque peu déconcertante, comme un appel quasi-mystique à la transcendance fédérale. A l’opposé d’un certain nombre de commentaires euphoriques sans fondement analytique, l’Elysée doit être très inquiet de la situation allemande depuis l’élection de septembre mais en réalité même depuis l’élection d’Emmanuel Macron, qui avait donné lieu dès les jours suivants à des commentaires très hostiles de Wolfgang Schäuble au sujetde ses propositions de réforme européenne. Martin Schulz avait réussi dans les négociations de coalition à imposer la question européenne en première place du document de compromis, mais dans la réalité des propositions, on constatait que le consensus de la coalition restait extrêmement proche de la ligne Schäuble, en adoptant un style certes plus affable et en envoyant un certain nombre de signaux de nature symbolique.

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