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L’affaire Hulot à l’ère de la grande confusion du #BalanceTonPorc : qui sait encore donner du sens au moloch politico-médiatique ?
©Fabrice COFFRINI / AFP

Chaos

Entre présomption d’innocence, lynchages publics, moralisation & lutte contre les abus de pouvoir et une certaine culture de tolérance pour les abus sexuels, les postures et les principes valsent en fonction des intérêts des uns et des autres. Mais comment (re)trouver un équilibre ?

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : Tandis que le mouvement #Metoo prenait naissance aux Etats-Unis suite à la longue enquête réalisée par le New Yorker et consacrée à Harvey Weinstein, sa version française naissait suite aux accusations de Sandra Muller, aujourd’hui poursuivie pour diffamation, à l'encontre d'Eric Brion, sur son compte Twitter. Un mouvement qui a pu être soutenu notamment par Marlene Schiappa ou Nicole Beloubet. Dans quelle mesure le mouvement français a-t-il pu produire une grande confusion sur cette question ? En réfutant les accusations une journée avant leur publication, Nicolas Hulot ne participe-t-il pas lui-même à cette confusion en ouvrant une fenêtre de 24 heures d'emballement médiatique alors que les "révélations" sont encore inconnues ? 

Eric Deschavanne : Vous avez raison de marquer la différence : l’affaire Weinstein est une véritable affaire de harcèlement sexuel, dévoilée par une authentique enquête journalistique. A l’inverse, les propos dont s’est plainte Sandra Muller, qui fut à l’origine du #balancetonporc, ne sont objectivement pas assimilables à du harcèlement, puisque qu’il n’y eut aucun caractère répétitif et qu’il n’existait aucun rapport d’autorité entre elle et le prétendu « harceleur ». On assiste en l’occurrence à l’alliance infernale du populisme médiatique (cette tendance des médias à relayer complaisamment les buzzs partant des réseaux sociaux) et de la politisation de l’intime à laquelle se livre le néo-féminisme.

Cela dit, je ne crois pas qu’on puisse pousser très loin l’opposition des situations françaises et américaines, dans la mesure où les phénomènes de mode idéologique et d’emballement médiatique sont les mêmes des deux côtés de l’Atlantique – l’Amérique donnant d’ailleurs le ton en matière de « politiquement correct ». La « confusion », en matière de politisation et de médiatisation de l’intime, est structurelle : on s’efforce de produire de la transparence et un discours simple dans un domaine opaque et ambigu par essence. Au sein de la zone grise que l’on entreprend d’explorer, et qui s’étend du viol au rapport de séduction heureux et harmonieux, tous les cas de figure et toutes les interprétations sont possibles. En matière de harcèlement sexuel, la confusion est du reste d’ores et déjà inscrite dans la loi française depuis 2002 - la réécriture de la loi ayant délibérément omis de donner de la notion une définition précise et rigoureuse.

Nous sommes donc je pense, pour le meilleur et pour le pire, durablement voués à la confusion des problèmes, de l’information et de la discussion. Pour le meilleur, parce cette confusion permet en effet de débattre de questions dont on ne débattait pas auparavant, et de mettre au jour quelques injustices. Pour le pire, on le voit tous les jours, parce que l’objectivité, la mesure et l’honnêteté intellectuelle ne sont pas les points forts des médias et des idéologues qui, sur ce sujet, travaillent main dans la main.

Je ne jetterai donc pas la pierre à Nicolas Hulot. Il n’est pas responsable de la confusion ambiante, il en est une victime. Il est impossible de trouver un bon moyen de défense lorsque ce n’est plus l’objectivité ou l’illégalité des faits qui font l’importance médiatique d’une « affaire », mais leur résonnance avec la sensibilité idéologique du moment et leur capacité à faire le buzz.

Du licenciement d'un animateur de télévision pour une blague sexiste au soutien donné à Sandra Muller pour une accusation sur Twitter, au calme relatif entourant le cas de Gérald Darmanin et au soutien apporté par le gouvernement à Nicolas Hulot, l'engrenage enclenché par le mouvement semble l'enfermer dans ses contradictions. Quelles ont été les erreurs commises pour en arriver à cette confusion ? Quelles en sont les causes ?

A propos des ennuis des ministres, on peut noter que les politiques creusent leur propre tombe en se plaçant sous l’emprise du populisme médiatique. Chaque gouvernement rajoute une couche de « moralisation de la vie publique » et se prend ensuite le boomerang sur le front. L’argent et le sexe sont désormais les deux thèmes du débat démocratique « grand public ». Le gain est que les hommes qui aiment trop les femmes ou les costumes de luxe ne peuvent plus faire de politique. La perte est qu’on ne plus parler ailleurs que dans de petits cercles élitistes du gouvernement et de l’avenir de la France. Chacun jugera s’il convient de voir dans cette évolution un progrès de notre démocratie.

La cause profonde des emballements médiatiques absurdes auxquels nous assistons en matière de pseudo-affaires de mœurs est à mon sens à situer dans le tournant pris par le féminisme à l’occasion du débat sur la parité, durant la période de la cohabitation Chirac/Jospin. Auparavant, toutes les conquêtes féministes étaient parfaitement en phase avec l’humanisme libéral. Le féminisme avait alors pour adversaire une pensée conservatrice différencialiste, qui justifiait la différence des droits et/ou des devoirs de l’homme et de la femme par la différence de nature. Comme en matière d’antiracisme, le progressisme féministe était anti-essentialiste : l’objectif était de faire de la femme « un homme comme les autres ». On a oublié que nombre de féministes, sur la base de cette conception humaniste et universaliste du féminisme, se sont à l’époque opposées à la parité. La notion même de parité suppose en effet la distinction de deux humanités définies par la nature : l’humanité mâle et l’humanité femelle. Le féminisme qui s’est imposé lors du débat sur la parité se conçoit donc comme un progressisme différencialiste. De même que le néo-antiracisme est un antiracisme essentialiste et différencialiste, un racisme inversé en réalité, le nouveau féminisme est un sexisme inversé, qui reconduit les stéréotypes sexistes – la femme est faible, pure et innocente, l’homme, violent et dominateur – tout en inversant les signes.

Ce néo-féminisme est particulièrement adapté à la politisation de l’intime, dans la mesure où en matière de sexualité et de séduction, la différence des sexes paraît insurmontable. La stratégie argumentative et politique consiste donc à construire l’image d’une femme faible et souffreteuse, incapable de se défendre par elle-même face aux « prédateurs » qui la « sidèrent » avant de l’agresser, et qu’il importe de protéger au moyen d’une législation prohibitive. Le complément indispensable de ce dispositif est la confiance aveugle en la parole de la femme - pure et innocente par nature -, afin que cette parole puisse avoir valeur de preuve. On n’en pas encore là, fort heureusement, sur le plan du droit, mais cet imaginaire domine désormais l’espace médiatique, installant en France comme aux Etats-Unis une culture de la délation.

Entre l'écoute nécessaire à la parole des victimes et le respect de la présomption d’innocence des accusés, quelles seraient les pistes permettant un retour de balancier vers un point d'équilibre ?

Concernant l’avenir, je suis optimiste pour le long terme mais plutôt pessimiste à court terme. Je pense qu’il va falloir faire avec le délire néo féministe un bon moment. Un retour de balancier se produira, mais aucun intellectuel ni aucun politique n’est en mesure de le provoquer. On pourrait comparer ce qui se passe aujourd’hui avec l’emballement politico-médiatique qui s’est produit il y a quelques années autour de la pédophilie. La dérive fut stoppée net par l’affaire d’Outreau. Il est possible qu’une affaire du même genre conduise l’opinion à basculer sur ces questions de harcèlement sexuel.

La limite de la comparaison réside toutefois dans le fait que l’emballement médiatique autour de la pédophilie n’était pas alimenté par l’idéologie comme l’est le mouvement de délation des pratiques masculines « inappropriées » à l’égard des femmes. Une autre comparaison peut sur ce plan être faite avec la domination du marxisme en France, des années 50 aux années 70 du vingtième siècle. Le néo féminisme est un nouvel opium idéologique - opium des intellectuels mais aussi, dans le cas présent, opium des médias et des réseaux sociaux. Une telle mode idéologique peut durer plusieurs décennies. Il est en tout cas difficile de prévoir son terme.

Tant que durera l’emprise du néo féminisme, quiconque aura une position équilibrée et raisonnable passera pour un « conservateur » ou un « réactionnaire » et restera quasi-inaudible. On continuera à mettre en place des Hauts conseils ou des ministres dont la fonction sera de donner un caractère officiel au délire idéologique commun. Dans l’attente que cela cesse – et cela cessera, comme a fini par cesser l’emprise du marxisme –, il faut faire de la résistance, en anticipant notamment les dérives juridiques possibles, car c’est à ce niveau que se situe le véritable danger, comme le voit en Suède, où se prépare une loi instituant le viol « par négligence ». Il importe de ne pas fuir le problème ni la discussion, en adoptant la posture qui fut celle de Raymond Aron en son temps : injurié, méprisé, isolé, il tenait stoïquement le langage de la raison, entreprenant de discuter calmement les arguments des plus délirants, et persévérant dans la volonté de convaincre ceux qui préféraient avoir tort avec Sartre.

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