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"Le médecin soigne, mais c’est le malade qui guérit" : les liens entre médecine moderne et religion
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Bonnes feuilles

Comment mourir ? Comment répondre à nos peurs ? Derrière les murs des monastères, les hommes de Dieu passent leur existence à préparer le grand passage. Peuvent-ils nous aider à comprendre la souffrance, la maladie, la peine et la solitude des derniers instants ? Extrait de "Un temps pour mourir" de Nicolas Diat, aux éditions Fayard (1/2).

Nicolas Diat

Nicolas Diat

Nicolas Diat est considéré comme un des meilleurs spécialistes du Vatican. 
 
"Un temps pour mourir" de Nicolas Diat
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J’ai été effaré par la description violente et angoissante que dom David m’a faite de ses rapports avec le système de santé français. L’exemple du père Patrice, mort en décembre 2016, à quatre-vingt-dix-neuf ans et onze mois, est terrible. Il avait été le créateur du célèbre atelier de cithares de l’abbaye – en quarante ans, En-Calcat a fabriqué des milliers d’instruments, dispersés aux quatre coins du monde. À la fin de sa vie, la force de sa voix pouvait encore surpasser tout le chœur de l’abbaye. Le père Patrice ne voulait pas mourir avant d’avoir fêté son centième anniversaire. Les moines avaient prévu de belles célébrations. Un mois avant les réjouissances, ils ont dû tout annuler. Le père Patrice a été hospitalisé deux mois à Castres pour une infection pulmonaire. Quand il est enfin revenu parmi ses frères, le professeur a annoncé qu’il était guéri. Le père Patrice est mort deux jours plus tard… Les médecins étaient venus à bout de la fameuse bactérie qu’ils traquaient sans relâche dans ses poumons. Mais le pauvre homme était devenu un petit oisillon chétif et décharné. Il était si maigre que la pile cardiaque apparaissait sous sa peau blafarde. Les frères se sont demandé si les médecins n’avaient pas essayé de nouveaux médicaments sans les en informer. Cet acharnement pour éradiquer une bactérie semblait suspecte. Le père Patrice a-t‑il été une chair à expérience ? Comment résister à l’autorité de la décision médicale qui tombe comme un couperet ? Est-ce même possible ? Les personnes âgées sont sans défense. Il faut se battre pour avoir accès aux informations du dossier de santé. Les hôpitaux ont des exigences de rentabilité qui font frémir, et les malades sont déclassés.

Dom David s’est longuement penché sur ces questions : « Notre lien avec la médecine a beaucoup évolué. Il y a désormais un travail de prévention qui n’existait pas auparavant. Quand je suis entré à l’abbaye, les moines prenaient rarement le chemin de l’infirmerie. Les examens de routine peuvent sauver une vie. En cardiologie, ces visites sont fondamentales. En 2010, lors d’une simple consultation, on m’a découvert un rétrécissement coronarien ; le traitement m’a évité de grands ennuis. Et pourtant, au ciel, je serais plus heureux. À réparer sans cesse les vivants comme des automates, nous allons finir en loques. Lorsque nous plaçons une pile cardiaque à un frère atteint de la maladie d’Alzheimer, on soigne le cœur pour mieux prolonger la maladie du cerveau. Souvent, nous devons choisir entre le cancer, l’AVC et l’infarctus. J’ai beaucoup aimé la lecture d’un livre du philosophe Günther Anders, L’Obsolescence de l’homme 1 . Il parle du décalage prométhéen qui marque le monde postmoderne. L’homme a créé un monde technologique qui l’humilie et le rend honteux. Les machines sont plus parfaites que l’être humain. Dans ce système, l’erreur est forcément l’homme. La technologie ne peut plus être fautive. Au contraire, dans l’anthropologie classique, l’homme était le sommet du règne animal.

Depuis cinquante ans, il est devenu le point bas d’un monde dominé par les idoles technologiques. Nous sommes réduits au rôle de maillon faible d’un système que nous avons librement créé. Dans un hôpital, la guérison obéit à la même logique. Le malade est une machine. Les chirurgiens réparent un foie, un rein, un cœur, un estomac, jusqu’au moment où la machine est tellement usée qu’il faut la jeter à la poubelle. Ce phénomène atteint les sociétés occidentales, et les moines ne font pas exception. Contre cette vision, je crois beaucoup à l’approche biblique du dynamisme de l’âme. Il faut rester en lien avec Dieu, dont nous tenons notre souffle. Ce trait d’union ne peut pas être rompu. Le médecin soigne, mais c’est le malade qui guérit. Le rétablissement du corps reste toujours en lien avec Celui qui donne la vie. »

Extrait de "Un temps pour mourir" de Nicolas Diat, aux éditions Fayard

"Un temps pour mourir" de Nicolas Diat

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