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Libéralisme : 
ce "grand méchant loup" que si peu 
de gens connaissent vraiment
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Bouc-émissaire ?

Considéré - à tort selon les libéraux - comme responsable de la crise, le libéralisme n'est guère représenté lors de cette campagne présidentielle. Comment expliquer la perception française si négative de ce courant de pensée ?

Mathieu Laine

Mathieu Laine

Mathieu Laine dirige le cabinet de conseil Altermind.

Essayiste, il a publié entre autres le Dictionnaire du Libéralisme (Larousse, Avril 2012), ainsi que le Dictionnaire amoureux de la liberté (Plon, Janvier 2016).

Il est aussi l'un des actionnaires d'Atlantico.

Transformer la France - Mathieu Laine & Jean-Philippe Feldman

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Atlantico : Vous venez de publier un "Dictionnaire du libéralisme". A l'heure de la crise économique et financière, et des dérives du capitalisme financier, le libéralisme n'a-t-il pas perdu de sa force ?

Mathieu Laine : Pas du tout. Il ne faut pas confondre le capitalisme des économies occidentales actuelles et la société libérale. Si l’Occident prend sa source dans les principes libéraux de la Renaissance et des Lumières, cela n’implique pas que nous vivions dans une société libérale. Le libéralisme prône la liberté individuelle dans beaucoup de domaines, y compris la dimension économique. Mais malgré quelques rares périodes de diminution, l’interventionnisme étatique a été croissant dans le monde occidental depuis la Première Guerre Mondiale : en France, plus de 50% des richesses crées sont aujourd’hui détournées par l’Etat ou encore que le Federal Register qui compile toutes les réglementations fédérales aux Etats-Unis fait maintenant 35 000 pages.

Considérer les économies occidentales comme libérales serait une grave erreur. Loin d’être le résultat du libéralisme, la crise économique et financière est la conséquence de l’activité étatique, surtout en matière de manipulation de la monnaie et du crédit. Ce sont les Etats qui ont inventé et mis en œuvre les logiques terriblement pernicieuses du « too big to fail » et du « too public to fail ». Cette course à la déresponsabilisation et au refus d’assumer les risques pris dès lors qu’ils se réalisent, qui est la cause première de la crise actuelle, est le contraire même du message et de la vision libérale. Alors que notre pays souffre de compétitivité et d’excès d’Etat (56% de dépenses publiques contre 43% dans l’OCDE), il est urgent de percevoir le libéralisme non comme la cause de la crise mais bien comme la seule alternative jamais explorée, et comme son remède. 

A trop croire à un univers de concurrence pure et parfaite là où elle n'a jamais existé et existe moins que jamais -comme l'illustre par exemple la concurrence de la Chine- en quoi est il encore un mode opératoire de compréhension du monde ?

Tout d’abord, le libéralisme n’est pas un économisme. C’est une philosophie politique et morale qui repose sur les principes de liberté individuelle, de propriété et de responsabilité. Cela implique en effet une économie de marché reposant sur la libre entreprise et la non-intervention de l’Etat. Mais en aucun cas cela veut dire « concurrence pure et parfaite ». Il est urgent, là encore, de faire tomber les idées reçues. Ce modèle totalement détaché de la réalité humaine découle de la théorie néoclassique des marchés et n’a rien à voir avec le libéralisme. Au contraire, c’est la supposée perfection du marché décrit dans cette théorie qui a fourni les armes pour l’interventionnisme.

Pour Friedrich Hayek, par exemple, la concurrence est un « processus de découverte » qui apparaît dès lors que la liberté d’entrer sur un marché existe. On est loin des cinq conditions irréelles de la concurrence pure et parfaite ! Il est certain cependant que le libéralisme pour beaucoup de gens est souvent synonyme d’« anarchie du marché » ou encore de « concurrence débridée ». A vrai dire, les partisans du libéralisme se sont montrés parfois réducteurs et même maladroits. Surtout, présenter le libéralisme comme un économisme est précieux pour ses opposants car cela lui donne une image froide et impersonnelle.

En réalité, et le dictionnaire que je viens d'écrire en témoigne, le libéralisme est plus que jamais utile à la compréhension du monde. Il est une force d’innovation insoupçonnée. La Big Society de Cameron puise par exemple en partie dans les travaux d’Alinor Ostrom, cette intellectuelle libérale, première femme à avoir reçu le prix Nobel d’économie en 2009. La littérature économique sur le développement (lire notamment les travaux de Daron Acemoglu et James Robinson) montre, par ailleurs, que la qualité des institutions, surtout en ce qui concerne la protection du droit de propriété et la protection contre les excès de l’Etat est le facteur le plus important dans le développement des pays occidentaux dans les 250 dernières années. Il est urgent de percevoir le libéralisme comme une alternative au mode de pensée actuelle, de droite comme de gauche, et de rejeter les vieilles idées mercantilistes et protectionnistes en montrant que le devenir des hommes se trouve dans l’échange et la coopération libre et volontaire — même et surtout avec la Chine.

Mais alors pourquoi "libéralisme" demeure un tel "gros mot" en France ?

Il y a plusieurs raisons expliquant ce rejet et toutes sont basées sur des idées fausses que le dictionnaire que j’ai dirigé s’attache à démonter de façon objective. Premièrement, il est souvent présenté comme ayant été inventé par les Anglo-Saxons et serait incompatible avec la tradition intellectuelle et politique française. L’histoire montre le contraire. Le libéralisme est un courant de pensée qui émerge vraiment au XVIIIe siècle. Parmi ses grands noms, beaucoup sont français : Boisguilbert, Condorcet, Montesquieu, Turgot, et Voltaire. Il connaît un « âge d’or » dans la première moitié du 19e siècle autour des figures de Say, Constant, Tocqueville et Bastiat.

En second lieu, il a été fréquemment décrié par les intellectuels comme injuste et « bourgeois ». Là encore, c’est historiquement faux. A la suite de la césure droite/gauche progressivement dégagée à partir de 1789, les libéraux constituent un mouvement de gauche jusqu’à la fin du 19e siècle. Le libéralisme n’est donc pas un conservatisme. Le libéral est défiant envers le pouvoir, quel qu’en soit le détenteur ; il accepte l’innovation et l’évolution sociale, tout en rappelant que l’individu libre doit supporter les conséquences de ses choix.

En dernier lieu, le libéralisme est aussi vu comme un anarchisme immoral. C'est un autre lieu commun erroné. Ce n’est pas parce que les libéraux ont attaché leur nom à la liberté de l’individu qu’ils acceptent un quelconque relativisme moral. En fait, la liberté est la matrice d’où procèdent les valeurs morales car il n’y a pas de vertu sans liberté. Est-on véritablement charitable lorsque l’on est forcé de l’être ? Le libéralisme ne refuse par la fraternité et l’altruisme. Au contraire ! Mais l’ordre libéral laisse à l’individu, comme l’écrivait Raymond Aron, « la charge de trouver, dans la liberté, le sens de sa vie ».

S'agit-il d'une exception culturelle ou le libéralisme connait-il un désamour similaire chez nos partenaires européens ?

Le XXe siècle a été le siècle de l’interventionnisme étatique sous toutes ses formes — surtout en Europe. Plusieurs idéologies comme le socialisme, le communisme, mais aussi le nazisme et le fascisme sont nées d’un rejet direct du libéralisme. Tout cela a laissé des traces profondes. Les contradictions de nos économies mixtes apparaissent maintenant de plus en plus au grand jour, mais il est difficile pour les populations d’imaginer une alternative. Depuis l’émergence de l’Etat providence il y a plus d’un siècle, plusieurs générations ont grandi avec l’idée que l’Etat sera toujours là pour prendre soin des populations.

Certains cependant commencent à réaliser que ce projet n’est pas viable et que la société ne peut pas fonctionner sans ses bases libérales fondamentales. La France a une histoire complexe avec le libéralisme car elle est aussi la patrie du constructivisme rationaliste cartésien, celle de Colbert, celle des penseurs socialistes du XIXe siècle et de l’alliance de de Gaulle et des communistes aux lendemains de la deuxième guerre mondiale. Il est certain que plusieurs de nos voisins Européens ont eu et auront moins de mal que nous à se tourner vers des solutions plus libérales. Même l’Italie, pays on ne peut plus latin, s’y met ! La France finira par apprendre, même malgré elle. C’est bien à ça que sert la concurrence internationale…

Qui serait le candidat des libéraux pour la présidentielle ?

Il n’y en a pas, malheureusement. L’antilibéralisme affiché est le point commun de l’ensemble des candidats !Mais on peut penser que dans les années à venir la situation change. C’est dans cet esprit que j’ai souhaité porter ce projet de Dictionnaire : il m’a semblé important de donner aux Français les moyens de dépasser les caricatures et de se prononcer, en honnête homme, sur une pensée qu’à l’évidence ils ne connaissent pas.

J’ai donc rassemblé dans cet ouvrage les meilleurs spécialistes du sujet. En présentant, dans chaque entrée, ce que pensent les différentes écoles libérales (des socialistes libéraux aux anarcho-capitalistes en passant par les enfants de Aron, de Tocqueville, de Hayek ou de Rand), nous apportons au débat public une occasion de se réinventer et de découvrir que, sur toutes les grandes questions contemporaines, de la politique monétaire à l’éducation en passant par la guerre, la démocratie, le chômage, le maternage, l’ordre spontané ou le rôle de l’entrepreneur, les libéraux ont une multitude d’idées innovantes et pertinentes. Je crois pouvoir dire que nous avons réussi à faire un ouvrage qui n’a pas son pareil en langue française : c’est un concentré, référencé mais accessible, sur la pensée libérale dans sa totalité.

Mathieu Laine est l'un des actionnaires d'Atlantico.

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