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Rassembler de Cohn-Bendit à Juppé pour les Européennes : ce risque politique que Christophe Castaner ne voit pas arriver pour LaREM
©ALAIN JOCARD / AFP

Danger

Le porte parole de LREM, Christophe Castaner a indiqué vendredi son souhait d'un rassemblement en vue des élections européennes, "de Daniel Cohn Bendit à Alain Juppé".

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico :​ Ce 26 janvier, le porte parole de LREM, Christophe Castaner a indiqué son souhait d'un rassemblement en vue des élections européennes "de Daniel Cohn Bendit à Alain Juppé dont j'ai entendu les volontés"​. En quoi une telle alliance correspondrait-elle réellement à un "grand mouvement central"? Quels sont les intérêts défendus par un tel "mouvement", et quelles en sont les conséquences pour une classification politique ?

Christophe Bouillaud : Si l’on veut rester réaliste, il ne faudrait pas parler  à ce propos de « mouvement central », mais bien plutôt de mouvement centriste, soit un mouvement qui rassemblerait officiellement, et non plus officieusement comme aujourd’hui, les modérés des deux camps historiques de la droite et du centre d’un côté, et de la gauche de l’autre, tous des proeuropéens donc. Un tel mouvement, qui élargirait le périmètre déjà couvert par LREM, à sa droite et au centre, en s’alliant à tous ceux qui refuseront le leadership à la Viktor Orban de Laurent Wauquiez, et éventuellement à sa gauche en récupérant encore des restes du PS, risque cependant de regrouper uniquement les partis, les hommes et les femmes politiques, qui représentent les satisfaits de notre société. En se coupant des extrêmes, ou simplement des convaincus des deux camps historiques de droite et de gauche, ce « mouvement central » n’attirerait probablement les suffrages que de la France satisfaite, celle qui vit encore plutôt bien, qui trouve le statu quo actuel de la société acceptable, qui aime dans le fond l’Union européenne et la globalisation, car elle en profite plus qu’elle n’en souffre. En même temps, ce mouvement de rassemblement du centre-droit et du centre-gauche correspond tout à fait à ce qu’on voit se dessiner dans les sondages actuels d’un Emmanuel Macron qui séduit de plus en plus dans le cœur de la droite modérée. Les classes populaires, ces éternels insatisfaits d’une vie qu’ils ne savent pas gérer ou prendre du bon côté,  seraient donc abandonnées aux séductions des adversaires populistes de droite et de gauche. 

Comment expliquer cette divergence entre une sincère volonté d'incarner politiquement "le centre" de l'échiquier, et une perception de plus en plus marquée dans l'opinion d'une représentation des élites, des riches​. Faut-il y voir une résurgence d'un phénomène de "fausse conscience de classe" ?

D’une part, sauf à se laisser prendre aux discours qui annoncent une Présidence « sociale », il n’y a pour l’heure qu’à constater que les principales décisions budgétaires annoncées et mises en oeuvre vont dans le sens d’aider immédiatement ceux qui ont beaucoup à avoir encore plus et de faire des coupes dans des budgets qui aident en pratique ceux qui ont peu ou rien (comme avec les emplois aidés ou les APL). La suppression de l’ISF, et les autres réformes en matière de fiscalité des revenus du capital, sont perçues sans surprise par une bonne part de l’opinion publique comme des « cadeaux aux riches ». Surtout, ce qui me parait le plus important, c’est le fait que toutes ces décisions semblent dans leur cohérence correspondre aussi à une vision de l’utilité des habitants de ce pays uniquement  fonction de leur capacité à innover. La louange faite aux entrepreneurs, innovateurs, start-uppers de tous acabits, réels ou supposés d’ailleurs, possède pour contrepartie,  en creux,  la négation de l’utilité de tous les autres habitants de ce pays, en particulier de l’ensemble des classes populaires et moyennes. Cela fait tout de même beaucoup de monde dans un pays comme la France. Ce qui a pu être interprété comme du « mépris de classe » tient sans doute à la réalité de convictions partagées par tous les gens qui suivent Emmanuel Macron selon lesquelles, en réalité, seule une élite de bonne volonté crée toute la richesse présente et à venir de la société, et que les autres, par paresse ou absence de formation, en profitent déjà bien assez ainsi. Ce n’est pas donc tant une « fausse conscience de classe » qu’une vision très restreinte de ce qui fait avancer une société. Bref, on se dit parfois que cette nouvelle classe politique aurait besoin de relire quelques fables de La Fontaine. Et on se dit aussi que LREM et son chef payent le fait de n’avoir mobilisé en fait qu’une partie de la classe moyenne supérieure, comme le montre la députation LREM, totalement incapable de se mettre à la place de tout le reste de la population. N’ayant pas de réflexion sur la société, qui aille au-delà de leur expérience réussie de la vie, cette nouvelle classe politique risque l’isolement, et, en plus, elle n’a même pas pour elle la force de rappel que constitue pour les autres vieux partis la gestion des affaires locales. Celle-ci possède  en effet le mérite de renseigner les classes moyennes et supérieures qui constituent partout les élites municipales et locales aux besoins et aux contraintes de leurs concitoyens moins choyés par le destin. 

Comment anticiper le potentiel d'une telle alliance dans les circonstances de l'élection européenne de 2019 ? Cette échéance n'est-elle pas justement un moyen de créer, au sein de l'opinion, un clivage parfaitement adapté à la nature de ce" grand mouvement central" ?

Après deux ans de gouvernement, au printemps 2019, sauf à avoir de son côté des résultats économiques mirobolants, le camp présidentiel se verra menacé d’une contre-performance. Il y aura sans doute aussi les conséquences politiques du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu commencé en janvier 2019 qui ne manquera pas d’affoler les Français sur leur pouvoir d’achat, et aussi de donner lieu à quelques catastrophes bureaucratiques dans sa gestion au jour le jour. Il faudra voir aussi ce qu'aura obtenu Emmanuel Macron sur le plan européen, et du coup, le contexte de cette élection européenne peut être assez défavorable au camp présidentiel.  Regrouper tous les soutiens de la politique macronienne en une seule liste peut du coup aider à surmonter l’épreuve, et surtout peut permettre de passer en tête des listes qui se présenteront à cette élection qui se joue à la proportionnelle. Les médias amis auront ensuite beau jeu de souligner la majorité relative de ce camp. Elle sera d’autant plus forte que ce mouvement saura regrouper tous les citoyens pro-européens, âgés et aisés du pays – les électeurs les plus participationnistes. Il faut rappeler en effet que les élections européennes sont parmi celles où "le peuple" - aux différents sens du mot - participe le moins, d'où l'avantage relatif des partis entendant y défendre les intérêts des plus favorisés, des plus europhiles.

Cependant, il est certain qu’à droite et à gauche, les oppositions ne manqueront pas. Il est probable que regrouper tous les pro-européens modérés en une seule liste  soit du coup l’occasion d’ouvrir le jeu au profit de toutes les autres listes au nom de la critique de l’Union européenne, qu’elle vienne de droite ou de gauche. La présentation par les médias du résultat peut alors faire ensuite beaucoup. Le camp pro-européen peut n’avoir que 30% des suffrages, mais être présenté comme vainqueur contre des adversaires dispersés à droite et à gauche, inversement, ces mêmes médias pourraient lire le résultat comme une sévère défaite de 30% contre les 70% autres. Il n’est donc pas sûr que cette concentration « européiste » soit un si bon calcul politique que cela. 

Quoi qu’il en soit, les élections européennes jouées sur ce registre pro-Macron/anti-Macron devraient effectivement solidifier le clivage pro-Européens/anti-Européens que l’on a déjà vu à l’œuvre au second tour de la présidentielle, mais aussi permettre à l’anti-européisme ou l'euroscepticisme de gauche et de droite de voter « contre Macron » sans risque de porter une Le Pen à la Présidence de la République.

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