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Plans de départ volontaires en série : mais pourquoi assiste-t-on à un dégraissage digne des années de récession alors que l’économie française va nettement mieux ?
©WANG ZHAO / AFP

Paradoxal

La France va mieux mais les annonces de départs dans les grands groupes se multiplient...

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Carrefour et l'annonce de 2400 personnes dans un plan de départ volontaire, PSA sous forme du rupture conventionnelle collective etc. Comment expliquer le paradoxe d'une économie française "qui va mieux" et la mise en place de licenciements dans de grands groupes ? 

Michel Ruimy : En 2013, PSA perdait 7 millions d’euros par jour. Aujourd’hui, le groupe automobile en gagne 3-4 millions. C’est grâce à des « accords de compétitivité », passés avec les syndicats, qui prévoient davantage de flexibilité pour adapter l’organisation du travail aux variations de l’activité, que PSA est arrivé à ce résultat. La réussite a reposé sur la volonté, de part et d’autre, de trouver une solution équilibrée même si le volet « flexibilité » a été l’élément le plus difficile à accepter par les syndicats. Ces accords ont amélioré la productivité et, par là même, la pérennité à un horizon visible des usines françaises.

Pourquoi vous ai-je dit cela ? Car aujourd’hui, l’univers économique est marqué par une concurrence, plus vive, plus exacerbée et que, face à une évolution profonde de leurs métiers, les firmes doivent sans cesse s’adapter, être réactives. Pour cela, il faut que leurs charges épousent la courbe des affaires. Il leur faut, qu’elles soient petites ou grandes, afin de conserver leur part de marché voire d’en grignoter, contenir et maîtriser leurs coûts de production sachant que leurs recettes sont aléatoires.

Donc, si la situation macroéconomique s’améliore, ceci résulte d’une meilleure situation microéconomique. Les entreprises enregistrent une meilleure profitabilité et améliorent leurs marges notamment en réduisant leurs coûts, en particulier ceux de leur main d’œuvre qui représentent, en France, grosso modo un peu moins de 2/3 de la richesse créée. Donc, dans une vision de court terme, il n’est pas aberrant de constater qu’une bonne situation macroéconomique puisse coexister avec des plans de licenciements. 

Alors, comment expliquer cela ? Cette situation s’explique par un nouveau « contrat social » dans lequel les salariés vont devoir accepter un gel des salaires, une moindre souplesse sur leurs RTT, une flexibilité accrue et/ou des départs potentiels chez les seniors. Toutes ces mesures doivent apporter des économies pour restaurer, affirmer ou accroître la compétitivité-prix des entreprises. Un exemple est Pimkie, qui compte 1 900 salariés en France. Alors que son chiffre d'affaires s’érode depuis une dizaine d’années, cette entreprise présente des résultats déficitaires depuis 2015, sans être parvenu à inverser cette tendance. D’où, la volonté de réduire ses coûts en proposant une rupture conventionnelle collective.

Au cours de ces dernières années, des organismes comme l'Ofce avaient pu montrer que certaines entreprises françaises étaient en situation de sureffectifs par rapport à la demande. faut-il voir, dans ces plans, une forme d'ajustement rendu possible, notamment par la loi travail ? 

Michel Ruimy : Nous pourrions également parler d’une insuffisance de la demande ! Ceci étant dit, il n’en demeure pas moins que le remodelage du code du travail, l’un des principaux volets du programme social d’Emmanuel Macron, entre en vigueur en ce début d’année. Ainsi, la rupture conventionnelle collective peut être mise en œuvre par les entreprises, comme PSA. Certaines l’envisagent, comme le magazine Les Inrocks, ou l’ont envisagé comme Pimkie.

Prenons PSA. Le groupe automobile comme ses concurrents, rencontre des problèmes d’adéquation des compétences de son personnel aux besoins futurs de sa clientèle. En d’autres termes, elle emploie trop de « manutentionnaires » et pas assez d’« opérationnels », ce qui entrave le processus de conception des voitures de demain. Pour cette entreprise, la rupture conventionnelle collective devient une modalité, parmi d’autres, de son « dispositif d’adéquation des emplois et des compétences ». Cela lui permettra, avec l’accord majoritaire des syndicats, d’ajuster ses effectifs au niveau de l’activité voire à les réduire sans licenciement. Notons, au passage, que cette forme de licenciement évitera à PSA de devoir justifier une situation économique difficile à l’État.

Si la raison est clairement économique, l’entreprise n’a pas à se justifier comme elle devrait le faire en cas de plan de sauvegarde de l’emploi. La rupture conventionnelle collective apparaît donc comme une réponse adaptée à certains cas de restructuration, de réorganisation où ni l'entreprise, ni les salariés ne veulent vivre le traumatisme du licenciement mais sont d’accord pour négocier un arrangement. Cette modalité permet à la Direction de faire davantage de concessions, ce qui incite, en retour, les syndicats à céder davantage.

Il est certain que la rupture collective conventionnelle présente plusieurs avantages pour les entreprises car elle permet de gagner du temps et… coûte moins cher. A ce titre, l’instauration d’un barème obligatoire des indemnités prud’homales fait figure de symbole car elle est censée avoir un effet « libérateur » : les employeurs pourront prévoir le montant maximal à verser en cas d’éventuelle condamnation. Sans être machiavélique, demain, si une entreprise peut budgétiser un licenciement par rapport à l’ancienneté du salarié, elle n’hésitera plus à se séparer du salarié en question. Or, d’une certaine manière, si aujourd’hui, les entreprises respectent les droits des salariés, c’est justement à cause de l’imprévisibilité. Elles craignent une sanction dont ils ne maîtrisent pas nettement les contours. C’est pourquoi, cette possibilité, offerte par la loi, sera vraisemblablement utilisée par certaines firmes. Elle sécurise les employeurs, le plan de départs volontaires étant aujourd’hui largement encadré par une jurisprudence fluctuante.

Mais, si l’objectif des ordonnances du code du travail est de rendre les entreprises françaises plus compétitives au plan international, la rupture conventionnelle collective me semble permettre aussi et surtout la construction d’un autre type de relation entre les partenaires sociaux et la Direction. En mettant en place, dans une certaine mesure, une « cogestion à l’allemande », même si, aujourd’hui, le groupe PSA en reste encore très loin, ces accords illustreraient qu’une relation de confiance entre la Direction et les partenaires sociaux peut exister.

Cette facilité offerte aux employeurs pourra-t-elle réellement se traduire, dans un second temps, comme un mécanisme pouvant inciter les entreprises à embaucher sans « craintes » ?

Michel Ruimy : La philosophie du dispositif n’est pas de se servir de ce nouveau dispositif pour déboucher ensuite sur un plan social mais plutôt comme un moyen de flexibiliser l’organisation des entreprises et, en particulier, leur gestion prévisionnelle des emplois et compétences. Il apparaît donc aussi a priori comme une mesure qui lèverait les freins à l’embauche.

Mais, je m’interroge. Le modèle visé est celui d’une décentralisation du droit du travail qui doit apporter plus de souplesse aux acteurs de terrain. Si l’objectif de ce nouvel outil est notamment de favoriser le dialogue social sur des problématiques de réorganisation interne, cette disposition pose la question de savoir s’il s’agit d’une révolution ou d’une régression ou autrement dit, un grand pas vers un meilleur dialogue social ou un recul de droits acquis ? Car, dans certaines TPE, le référendum pourrait constituer une décision unilatérale de la Direction. En effet, quel pourrait être le choix de salariés isolés, non mandatés, non informés, non protégés, soumis par un lien de subordination ? Cela peut apparaître comme une destruction des droits sans que les salariés n’aient donné leur consentement à des syndicats chargés de négocier pour leur compte en assurant un contrepoids.

En fait, je crois que les employeurs n’ont pas intérêt à créer des conditions de travail défavorables s’ils veulent conserver leurs hommes-clés, attirer les compétences et, de manière générale, conserver la motivation de leur personnel. D’autant que le droit du travail ne doit pas apparaître comme un frein à l’embauche et à l’investissement. Même s’il ne peut pas à lui seul faire baisser le chômage de masse, il peut créer les conditions favorables d’un retour de la confiance et donc, susciter l’embauche. 

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