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Ces économistes français et allemands qui mettent les pieds dans le plat des tabous européens (avec la bénédiction de leurs gouvernements respectifs ?)
©Capture écran France TV

EN-FIN !

Le rapport sur les réformes de la zone euro a été publié le même jour que la nomination de Philippe Martin à la tête du Conseil d'Analyse économique. Entre un objectif de réduction des risques financiers en zone euro et partage des risques, ce rapport peut être qualifié d'audacieux mais sera bien plus difficile à faire accepter à Paris qu'à Berlin.

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet est économiste senior chez Pictet Wealth Management, en charge de l'Europe, depuis septembre 2015. Auparavant, il était économiste chez Credit Agricole CIB entre 2005 et 2015. Spécialiste de l'économie européenne, et de la politique monétaire de la BCE en particulier, ses travaux portent notamment sur le cycle du crédit, les politiques monétaires non-conventionnelles et leurs conséquences pour les marchés financiers.

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Atlantico :  Alors que l'économiste Philippe Martin, proche d'Emmanuel Macron, vient d'être nommé à la tête du Conseil d'Analyse économique, un vent de nominations économiques souffle sur la macronie, et ce, le jour même où Philippe Martin cosignait une proposition de réformes ayant pour objectif de réformer la zone euro. Comment peuvent être interprété ces nominations, notamment dans un moment d'incertitude sur la suite à donner au discours de la Sorbonne sur le projet européen du président français ?

Frederik Ducrozet : Le rapport sur les réformes de la zone euro était dans les tuyaux depuis plusieurs mois, c’est une coïncidence qu’il soit publié le jour de la nomination de Philippe Martin au CAE. Mais ce qui rend toutes ces annonces plus intéressantes encore, c’est l’interaction entre les agendas politiques nationaux et européens , y compris les nominations du gouvernement Macron, les négociations en cours pour former un gouvernement de coalition en Allemagne, et le jeu de chaises musicales lié aux postes à pourvoir au sein de plusieurs institutions européennes dont la Banque Centrale Européenne dans les mois à venir.

Dans ce contexte, le gouvernement français donne effectivement l’impression de vouloir mettre un maximum de pression sur l’Allemagne à plusieurs niveaux, au moment où le curseur bouge outre-Rhin. Une fenêtre d’opportunité pourrait s’ouvrir pour aborder tous les sujets de l’intégration européenne sans tabou. Le président français l’a compris depuis longtemps, et il semble naturel de pousser ses idées, et pour cela des hommes et des femmes de confiance aux postes-clés qui influenceront les décisions de demain.

Côté institutions, sans rien enlever au mérite de Sylvie Goulard qui a été nommée seconde sous-gouverneure de la Banque de France, d’aucuns y verront le parachutage d’une ancienne ministre à un poste qui pourrait à terme lui offrir un tremplin vers un poste plus important au directoire de la BCE ou à la Commission européenne, d’autant qu’il semble acquis que la vice-présidence de la BCE ira à un espagnol et que l’Allemagne revendiquera la présidence après le départ de Mario Draghi en octobre 2019.

Si les propositions faites par les co-auteurs de Philippe Martin sont essentiellement techniques, en quoi celles-ci peuvent elles "consolider" la zone euro ? Quelles en sont les failles ?

Les propositions du rapport sont certes très techniques, et ce document de 24 pages seulement est particulièrement dense. Il en existe une version résumée beaucoup plus accessible ici. Mais de mon point de vue, son principal objectif est d’ordre politique. Il s’agissait de mettre autour de la table des économistes français et allemands d’horizons divers, avec des points de vue souvent différents, parfois complétement opposés sur ces questions essentielles, et de parvenir à un compromis acceptable pour les deux parties. De ce point de vue, c’est un succès incontestable, même si je suis d’accord avec Martin Sandbu du Financial Times pour dire que le rapport sera plus difficile à « vendre » à Paris qu’à Berlin.

Il s’agissait, comme son titre l’indique, de trouver le bon équilibre entre réduction des risques financiers en zone euro (via notamment une discipline budgétaire et de marché plus crédible, des règles plus strictes en termes d’exposition des banques à la dette souveraine ou encore un mécanisme de restructuration des dettes publiques, « à l’allemande ») et un partage des risques (via notamment la mise en œuvre complète de l’union bancaire, des mécanismes de soutien entre pays en cas de récessions, ou encore la création d’un véritable actif sans risque pour la zone euro, « à la française »).

En revanche, le rapport ne va pas jusqu’à recommander une union fiscale avec une capacité budgétaire propre à la zone euro et un ministre des finances dédié. C’est notamment en cela qu’il sera jugé insuffisant par les fédéralistes pur jus, ou du moins insuffisamment ambitieux par certains économistes. Mais c’est pour la même raison que ce rapport pourrait permettre des avancées notables, d’autant que l’alternative serait une fin de non-recevoir de Berlin. Enfin, si l’objectif est d’en finir avec le micro-management qui domine la surveillance budgétaire et d’aller vers des règles plus simples, plus efficaces et plus compréhensibles du grand public, ce serait déjà un progrès immense de mon point de vue.

Ces propositions ont elles un caractère "réaliste" sur le plan politique ? Au regard des enjeux actuels et des difficultés rencontrées en Allemagne pour former un gouvernement, le "paquet" ici évoqué peut-il aboutir à une réelle mise en œuvre ?

On est en plein dans la Realpolitik. L’accent mis par les auteurs sur la réduction du risque et la crédibilité des règles budgétaires fait que les orthodoxes prendront au moins la peine de lire la suite. J’entends par exemple un des auteurs, Clemens Fuest, président de l'institut allemand IFO et un économiste radicalement opposé à toute forme de mutualisation des risques a priori, défendre les autres propositions du rapport y compris un mécanisme d’assurance des dépôts bancaires entre pays, un fonds de soutien aux pays en récession, ou la création de « safe bonds ». Il fait partie de ceux qui peuvent faire bouger les lignes, davantage que Marcel Fratzscher, un autre co-auteur allemand, économiste respecté et président de l’institut DIW, justement parce que ce dernier est perçu comme trop « laxiste » en Allemagne.

A supposer qu’un gouvernement de grande coalition entre CDU et SPD soit effectivement formé en Allemagne sur la base des accords qui se dessinent actuellement, alors on peut raisonnablement espérer que ce rapport débouchent sur des mesures concrètes dès cette année. Les mesures les moins controversées touchent à l’union bancaire et l’union des marchés de capitaux, qui ont déjà fait l’objet d’un accord de principe. Les changements proposés en termes de traitement de la dette publique par les banques pourraient prendre plus de temps, ne serait-ce que parce qu’il faudra penser la transition vers un nouveau régime.

D’autres mesures rencontreront inévitablement des résistances, y compris la mise en place d’un fond de soutien par temps de crise, et certaines mesures seront peut-être abandonnées en cours de route, mais il faut espérer qu’au minimum, tous ces sujets seront abordés dès cette année.

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