Recherche discours européen désespérément : la droite rattrapée par la malédiction des années 90<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Recherche discours européen désespérément : la droite rattrapée par la malédiction des années 90
©AFP

Vieille époque

Selon Alain Juppé, l'Europe est "un point de clivage fondamental" entre "ceux qui sont contre et ceux qui sont pour"​. Une vision binaire désormais datée...

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

Voir la bio »

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

Voir la bio »

Atlantico : Lors de ses voeux à la presse, formulés ce 15 janvier, Alain Juppé a annoncé vouloir "prendre du recul (...) en attendant de voir ce que devient LR, notamment dans la perspective des élections européennes de 2019". Selon l'ancien Premier ministre de Jacques Chirac, l'Europe est "un point de clivage fondamental" entre "ceux qui sont contre et ceux qui sont pour"​. En quoi cette vision binaire de l'Europe peut elle révéler un problème plus profond au sein des LR, entre "pour" et "contre", remontant à une vison des années 90, et ne laissant pas de place à un constat lucide sur la question européenne ?

Christophe Boutin : Accusé - à tort selon lui - en novembre de 2018 d’envisager de faire des listes communes avec LREM aux européennes de 2019, Alain Juppé persiste et signe dans son éloignement d’avec sa formation d’origine – à laquelle il a annoncé ne plus cotiser. Enfonçant les portes ouvertes il note qu’il y a un désaccord sur l’Europe ! Mais cette formule est à la fois vraie et fausse. Elle conduit à estimer que « l’Europe » ne peut être que « l’Union Européenne ». Or personne ou presque à LR ne nie la place européenne de la France, ou la nécessité pour notre pays de collaborer avec les autres États du continent.

Ce qui est par contre contesté – et largement – ce sont les modalités de la construction européenne autour de l’Union, dont les dérives technocratiques ne sont un secret pour personne. Mais la vision réductionniste d’Alain Juppé dans cette phrase, dans le prolongement de ses choix précédents, montre combien est biaisé en France – et à droite - le débat sur l’Europe.

Edouard Husson :  L’histoire des Républicains est comme celle d’un destin implacable qui se déroule au ralenti, depuis les années 1970. On a dressé un mausolée à de Gaulle pour mieux rejeter sa politique. Sous l’influence de Marie-France Garaud et de Pierre Juillet, Jacques Chirac professe une dernière fois le gaullisme à travers l’appel de Cochin. Puis, suite à l’échec de la liste RPR aux premières élections européennes au suffrage universel en 1979, il bascule du côté de l’européisme. Et, parce que la nature a horreur du vide, le Front National apparaît. Il occupe le terrain auprès d’un électorat populaire et patriote qu’antérieurement gaullistes et communistes captaient. Si l’on se concentre sur l’histoire de la droite,  Chirac n’a jamais réussi à dépasser 20% de l’électorat lors d’un premier tour de la présidentielle. Il a fini par s’imposer parce que Giscard était mort politiquement et que la droite orléaniste, libérale, centriste, n’a jamais pu imposer de champion: ni Barre en 1988; ni Balladur en 1995. Balladur était d’ailleurs un autre transfuge du gaullisme vers le giscardisme. Mais c’est Chirac qui est devenu le giscardien des années 1990 à droite, en votant oui au Traité de Maastricht et en appliquant la politique budgétaire du franc fort après son élection. Le choc de 2002 n’aurait pas dû en être un: face à une droite modérée qui s’éloignait de plus en plus de l’électorat populaire, il était inéluctable que le FN progresse. Sarkozy, déploie toute son énergie à inverser la tendance mais cela ne tient que le temps d’une élection présidentielle, en 2007, puisque les fondamentaux de la politique du franc fort, devenu l’euro, ne changent pas. Non seulement Sarkozy est battu en 2012 mais Fillon ramène la droite à un score chiraquien en 2017 et, cette fois, ne passe pas le premier tour. Juppé qui, lui, n’a même pas passé le stade de la primaire, ne semble pas comprendre cette évolution à laquelle il a largement contribué. 

En quoi cette vision binaire de l'Europe peut elle révéler un problème plus profond au sein des LR, entre "pour" et "contre", remontant à une vison des années 90, et ne laissant pas de place à un constat lucide sur la question européenne ? 

Christophe Boutin : Soyons clair, LR ne s’est jamais remis d’avoir fusionné les eurolâtres de l’UDF et les eurosceptiques du RPR. Et ce d’autant moins que la fusion a largement profité aux premiers, les dirigeants politiques du mouvement se coupant toujours plus d’une base militante elle largement venue du RPR et attachée aux notions de nation et de souveraineté… bref, gaulliste.

On a un temps permis la coexistence des deux comme lors de la campagne de ratification référendaire du traité de Maastricht (1992), permettant au flamboyant Philippe Seguin de prononcer à la tribune de l’Assemblée nationale son Discours pour la France. Ce pluralisme assumé n’a pas duré : n’ont pu s’exprimer ensuite au nom des formations de droite, lors des différentes élections ou référendums, que ceux qui  soutenaient le projet de l’Union européenne. L’aboutissement est cette tentative de « grand parti européen » - entendons acquis aux thèses de l’Union et voulant même progresser encore dans l’intégration plus poussée des États membres – qui dépasserait l’ex droite.

Dans quelle mesure ce constat peut-il être valable pour l'ensemble de la famille LR ? Quels sont ces "familles" trouvant encore leur ancrage dans un débat des années 90, mais dénué de sens sur la réalité de ce qu'est l'Europe d'aujourdhui ? 

Christophe Boutin : Il n’est pas certain que les fondamentaux des débats des années 1990 aient perdu toute pertinence. Que relevait Philippe Séguin ? Que « la souveraineté ne se partage ni se divise » ; que l »a nation demeure une réalité fondamentale », « seule gardienne de nos valeurs » ; que les nouveaux traités n’apporteraient en eux-mêmes ni prospérité ni sécurité ; que la parité entre franc et mark, puis la monnaie unique, se paieraient économiquement au prix fort. Où en sommes nous 25 ans après ? Avons-nous l’impression de lire une suite d’aberrations ou une juste mise en garde ?

Edouard Husson : Le drame de la droite française vient de ce que, à la fin des années 1970, au lieu de choisir un modèle monétaire pragmatique, anglo-américain, elle se rallie à une politique monétaire dogmatique, celle de la RFA. Du gaullisme, les hommes politiques de droite ont retenu les apparences: l’exigence de stabilité monétaire, l’attachement à une haute fonction publique de bon niveau. C’est vrai qu’il y tout cela chez le créateur de l’ENA et défenseur de l’étalon-or qu’est de Gaulle. Mais jamais le Général n’aurait accepté que la haute fonction publique française se mette à la remorque de la Bundesbank. Jamais il n’aurait enfermé la France dans l’euro alors que le reste du monde était dans un régime de monnaie flexible. Ces choix sont d’autant plus dramatiques que commence, dans les années 1960, la révolution de l’information. Le sens de l’histoire, c’était le maintien de cette « petite entité » qu’est la nation comme cadre de référence. Il est beaucoup plus facile à un Etat d’être autonome, dans les années 2010 que dans les années 1950. L’âge de l’information est un âge favorable aux petites et moyennes entités. Lorsque les Catalans ou les Ecossais pensent pouvoir être indépendants, l’évolution de l’économie sous l’impact de la révolution numérique donne de la crédibilité à leur discours. Evidemment, on peut aussi fossiliser la révolution numérique, comme s’acharne à le faire la haute fonction publique française; vouloir la piloter top down comme le pense Macron. 

Quels pourraient être les scénarios possibles de discours d'une droite française réaliste sur la question ? Quels en seraient les ingrédients ? 

Christophe Boutin : Nous allons entendre en 2018 et 2019 la même antienne, le mantra habituel : si l’Europe (entendre l’Union européenne) fonctionne mal, c’est qu’il n’y a « pas assez d’Europe » (entendre d’intégration). Le projet de loi à l’étude sur le nouveau mode de scrutin fait d’ailleurs la part belle aux partisans de cette intégration dans les émissions de propagande, et il n’est pas dit que certaines critiques, qualifiées de fake news, ne soient interdites en 2019.

Pourtant ce discours n’est plus crédible. Une part non négligeable des pays d’Europe de l’Est entend bien conserver droits et identité. Et même en France l’euroscepticisme se cristallise notamment sur ce que l’on nomme la « crise des migrants » : 66% des Français veulent durcir Schengen et restaurer des frontières (sondage ifop décembre 2017).

Par rapport à la question européenne, la droite française va devoir se poser le problème de sa visibilité. Soit elle bâtit un discours critique et cohérent, pleinement européen, mais pas laxiste face aux dérives de l’Union, et elle arrivera à se faire une place et sans doute à fédérer un électorat. Soit, incapacitée par ses divisions interne et les stigmatisations médiatiques, elle se contente d’un vague saupoudrage de termes « gaulliens »… et mourra, submergée par le « grand parti » technocratique qu’Alain Juppé appelle de ses vœux. Mais il lui restera toujours quelques sièges à Bruxelles…

Edouard Husson : Il faudrait revenir à de Gaulle, c’est-à-dire regarder le monde tel qu’il est. L’Allemagne se comporte comme une nation indépendante - bien contente que la concurrence européenne n’existe plus, grâce à l’euro. Les actuelles négociations entre la CDU/CSU et le SPD ne changeront rien à cette situation. Au contraire, le renforcement du choix « européen » garantira à l’Allemagne une nouvelle décennie de tranquillité, sans concurrence européenne directe. Tout ceci est dramatique au moment où les Etats-Unis, la Russie, la Chine, mènent une politkique d’indépendance qui sont comme autant de versions locales du gaullisme! Regardez comme se porte Israël, l’une des plus magnifiques preuves que, dans le monde actuel, ce n’est pas la taille qui compte. La droite est enfermée dans le discours du Front National vs le discours d’Alain Juppé & Cie. Il suffirait de revenir au Général de Gaulle, à l’esprit de sa politique, à l’ambition d’une France moderne, libre de son choisir son destin, dans la coopération avec toutes les autres nations libres du monde. La droite n’a pas le choix si elle veut exister face à Macron: il a confisqué, pour un moment, le créneau « giscardien ». Ce n’est même plus la peine d’essayer. Ajoutons que Macron, c’est le chant du cygne du giscardisme, qui aura été l’idéologie d’un demi-siècle, la manière dont les élites françaises ont adopté le programme des élites libérales mondiales. L’avenir est aux nations libres, réactives, capables de saisir et maîtriser tout le potentiel de la révolution numérique. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !